Interview Jacques Amoussou

« Le principe de l’arbitrage est tributaire d’une convention d’arbitrage qui est l’œuvre des parties »
Suite à notre fructueuse rencontre avec l’homme d’affaire Martin Rodriguez, sur le contentieux qui l’oppose à l’Etat béninois, il nous est apparu opportun, pour une meilleure compréhension du dossier,  d’éclairer l’opinion sur les subtilités juridico-judiciaires qui l’entourent. C’est ainsi que nous nous sommes rapprochés de monsieur Jacques Amoussou, un juriste consultant, qui exerce à Genève, en Suisse.

-La Nouvelle Tribune : depuis quelques jours, il ya une polémique relative à une convention d’arbitrage que s’apprêteraient à signer l’homme d’affaire Martin RODRIGUEZ et l’Etat béninois. Pourriez-vous nous éclairer sur la question ?
*Jacques Amoussou : merci. Permettez-moi d’abord de vous rappeler que notre pays est signataire du traité OHADA. Ce traité OHADA dont les dispositions s’imposent à tous les Etats signataires désigne lui-même déjà l’arbitrage comme mode de règlement des conflits. Ledit traité en son article 2 énumère les matières du droit des affaires, susceptibles d’être soumises à arbitrage. C’est sur cette base que l’acte uniforme qui organise le droit de l’arbitrage a été élaboré et adopté par les Etats. On peut donc dire que l’article 2 du traité OHADA constitue le fondement légal de l’arbitrage pour notre pays et même pour tous les autres Etats signataires.

-Si nous avons bien compris, vous êtes en train de nous dire que l’arbitrage est un mode de règlement légal des conflits. S’il en est ainsi, l’Etat peut-il être partie à une instance arbitrale ?

*La nouveauté et la particularité introduite par le droit de l’arbitrage est qu’il abroge certaines dispositions de lois de certains pays comme la Côte d’Ivoire aux termes desquelles, les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics n’étaient pas arbitrables. La réponse à votre question est d’ailleurs simple et se trouve dans les dispositions communautaires qui régissent l’arbitrage, notamment l’article 2 de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage qui dispose : « Toute personne physique ou morale, peut recourir à l’arbitrage sur les droits dont elle a la libre disposition. Les Etats et les collectivités publiques territoriales et même les établissements publics peuvent également être parties à un arbitrage, et ce, sans pouvoir invoquer leur propre droit pour contester l’arbitralité d’un litige ou la validité d’une convention d’arbitrage ». Il ressort donc de cette disposition ainsi que vous pouvez le deviner, que l’Etat peut belle et bien choisir de procéder au règlement d’un conflit qui l’oppose à un tiers, par voie d’arbitrage.

Publicité

-Quand vous parlez de l’arbitralité d’un litige, à quoi faites-vous allusion ?
*L’arbitralité d’un litige s’entend tout simplement de la résolution de la question de savoir si un litige peut être tranché par des arbitres ou s’il doit relever au contraire des juridictions étatiques c’est-à-dire les tribunaux. Or je vous avais signalé dès mes premiers propos que le traité OHADA en son article 2 énumère lui-même déjà les matières qui peuvent être soumis à arbitrage. Quand on prend lecture de cette disposition légale, il n’y a nul doute qu’il s’agit, entre l’Etat béninois et l’opérateur économique en question, d’un litige qui peut être soumis à arbitrage.

-Ce qui inquiète dans ce dossier est que selon le confrère qui a relayé l’information, l’opérateur économique serait sur le point de perdre devant le tribunal et c’est ce qui justifierait sa décision de recourir à arbitrage.
*Selon ce que je sais, les textes qui règlementent la fonction du magistrat consacrent le principe du secret du délibéré. A cet égard en principe, ni l’une, ni l’autre partie au procès n’est en mesure d’anticiper valablement sur la décision à intervenir, de sorte que s’il s’avérait vrai que les parties où l’une des parties ait pu lever le voile sur le sort qui est réservé à l’affaire soumise à l’appréciation souveraine du juge, alors il se pose un problème sur la justice et l’équité auxquelles les parties aspirent en s’en remettant au tribunal.

-Mais la question qui se pose à nous est qu’il y a, selon toujours les informations relayées par le confrère, une instance en cours depuis quatre années devant le tribunal de première instance de Cotonou. Les parties peuvent-t-elles toujours dans cette condition recourir à arbitrage ?
*Bien sûr que cela est possible. D’ailleurs tout ceci a été prévu par la loi notamment l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage en son article 4 aux termes duquel : «… Les parties ont toujours la faculté, d’un commun accord, de recourir à une convention d’arbitrage, même lorsqu’une instance a déjà été engagée devant une autre juridiction ». Donc à mon avis, la question de savoir si les parties ont la volonté d’aller en arbitrage (et elles en ont entièrement le droit) devrait plus préoccuper que celle de savoir tout simplement si elles peuvent choisir d’aller en arbitrage, en l’état d’une instance en cours devant une autre juridiction, soit-elle étatique. La loi leur en donne plein pouvoir.

-Que pensez-vous alors quand le confrère parle de « Magouille entre l’Etat et RODRIGUEZ » ?
*Si vous avez suivi mon développement jusqu’ici, je ne vois pas comment on peut parler de magouille. En fait, il s’agit toujours d’un tribunal comme les autres juridictions étatiques pour ainsi dire, à la seule différence qu’ils sont parfaitement indépendants et que surtout, ils prennent en compte la volonté des parties, ce qui est très important. Toutefois, le principe de l’arbitrage est tributaire d’une convention d’arbitrage qui est l’œuvre des parties. La loi veut qu’elle soit faite par écrit ou par tout autre moyen permettant d’en administrer la preuve. Elle est indépendante du contrat principal qui lie les parties et, même si ce contrat principal venait à être nul, sa nullité n’affecte pas la convention des parties qui traduit le choix qu’elles ont fait de soumettre le règlement du litige qui les oppose à un tribunal arbitral.

Publicité

-A votre avis, quel est l’intérêt pour l’Etat d’aller en arbitrage ?
*Il y a un intérêt certain d’aller en arbitrage et ce, aussi bien pour l’Etat que pour l’opérateur économique en question. D’abord, c’est une procédure qui permet aux parties de gagner du temps. Ainsi que vous l’avez souligné vous-même, il y a une instance qui est en cours depuis quatre ans. Pour un homme d’affaire, ceci est suicidaire car une procédure qui perdure depuis quatre ans en première instance, il est difficile de préjuger de sa durée en appel ou bien encore en cassation. Or, voila une question qui est totalement réglée par l’arbitrage qui au total, ne dispose que de six mois pour rendre sa sentence.  Ensuite il y a le coût, vous convenez avec moi qu’une procédure qui prend énormément de temps nécessitera certainement beaucoup de dépenses…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité