Nouveau découpage territorial

/food/djankaki.jpg » hspace= »6″ alt= »C. Djankaki » title= »C. Djankaki »  » /> Les raisons techniques qui plaident pour les 12 départements
La commission mise sur pieds suivant Décret N°02008-573 du 15 Octobre 2008 par le Chef de l’Etat vient de produire son rapport. Cette commission supervisée par Monsieur Albert Tévoèdjrè, Médiateur à la Présidence de la République et présidée par Monsieur Richard Adjaho est composée de vingt et un (21) membres et a pour mission de faire l’histoire…
du découpage territorial et de proposer entre autres un découpage territorial ambitieux, susceptible d’acquérir un large consensus national. A cet effet, 21 départements ont été proposés par les 21 membres de cette commission. Eu égard aux nombreuses contestations qui entourent le pléthore de départements ainsi proposés, nous n’allons pas engager un débat théorique qui apparaît finalement comme une querelle d’aristocrates qui du reste n’a jamais contribué à une véritable lutte contre la détresse et la misère dans notre pays.

Cependant, les travaux de la commission d’enquête qui comporte en son sein d’éminentes personnalités de notre République dont je ne doute pas de la rigueur d’analyse et du sens de l’obligation de réserve et de résultat en de pareilles circonstances, me confortent dans les observations de forme et de fond ci-après :

I – Sur la forme   
L’article 1er de la loi N°97-028 du 15 Janvier 1999 portant organisation de l’administration territoriale de la République du Bénin énonce « l’administration territoriale est assurée par les autorités et services déconcentrés de l’Etat et par les collectivités territoriales décentralisées dans le cadre défini par la présente loi. Les circonscriptions administratives de la république du Bénin sont les départements. Il est créé une collectivité décentralisée dénommée la commune. D’autres collectivités décentralisées peuvent être créées par la loi.» (souligné par nous). Par ailleurs l’article six (6) de la loi citée supra découpe le territoire du Bénin en douze (12) départements. Les contingences politiques en cours dans notre pays n’ont pu aboutir à la désignation des chefs-lieux des six (6) nouveaux départements dans la mesure ou nous sommes passés de 6 départements à 12.

C’est dire donc qu’en vérité les 12 départements n’ont jamais été expérimentés même si l’on considère que chacun des six Préfets cumule les fonctions de deux Départements à savoir le réel et le virtuel qui peine à connaître son chef lieu. C’est dans ces confusions peu responsables pour notre pays que nous passons de six départements fonctionnels à un projet de 21 départements soit 21 Préfets, 21 Secrétaires Généraux, des chargés de Mission, des attachés de Cabinet, etc. dont il faut désormais assurer les véhicules de fonction, les frais de carburant et que sais-je encore. Face à la crise financière mondiale dont nous sentirons les effets les mois à venir comme une bourrasque, est-il opportun de passer de 6 à 21 Départements sans avoir expérimenté au préalable les 12 Départements déjà fixés par le législateur ?

N’est-il pas mieux de garder les 12 départements en adoptant une décision courageuse qui consiste à fixer enfin les chefs-lieux ? Lorsque l’on parle de l’émergence, j’estime qu’on ferait mieux de donner d’abord les moyens aux communes, notoirement les villes à statut particulier avant de penser à l’existence ou non d’autres Empereurs aux petits pieds que sont les Préfets. La ville de Dakar reçoit de l’Etat la somme de dix (10) milliards par an pour l’enlèvement des ordures soit l’équivalent de l’ensemble du budget de la ville de Cotonou déjà insuffisant pour jouer le rôle de la vitrine de notre pays. Je pensais qu’après avoir lancé mon ouvrage «la décentralisation au Bénin : L’impasse, le cas de la commune d’Abomey-Calavi » quelque chose changerait.

Mieux, avons-nous vulgarisé le concept de la déconcentration qui nous autorise ces pratiques ? Le concept de la  déconcentration.

Par déconcentration, on entend l’acte de dévolution des fonctions administratives venant du centre (le Chef de l’Etat) et en allant au niveau local (les Préfets) dans notre cas. Il s’agit donc dans le cadre des départements de relais territoriaux dans la commodité que représente le fait de décharger un gouvernement central trop accaparé. Il en résulte donc que les services ainsi créés ne disposent pas de la personnalité juridique, ils agissent au nom d’une seule personne morale : c’est l’Etat. La déconcentration est donc une variante de la centralisation, on a pu dire, c’est toujours le même marteau (Chef de l’Etat) qui frappe, mais on a raccourci le manche ou si vous préférez « c’est l’empereur aux petits pieds » les préfets. Les coups fourrés n’en sont que mieux ajustés comme c’est le cas lors de l’installation sélective des conseils communaux par chacun des six préfets des douze (12) départements.

Eu égard au phénomène bureaucratique en cours dans nos administrations encouragé par la souveraineté du chef (le Président de la République) une tradition africaine favorable au jeu du «ponce pilatisme», il ne reste qu’à fixer simplement les chefs-lieux et ce, sans passion. A ce jour six Préfets sont fonctionnels et 12 Préfets seraient l’idéal comme l’exige la loi. En vérité les Préfets ne seront installés que pour renvoyer la balle d’étage en étage au lieu de l’assumer courageusement en chef. Par contre, les Maires de nos communes sont plus libres de leurs décisions dès lors qu’elles respectent les délais d’approbation. Le Préfet assure un contrôle de légalité et non d’opportunité sur les actes des communes. Malheureusement, les élus locaux ne maîtrisent pas la décentralisation pour faire jouer le juge administratif au cas échéant.

II – Sur le fond
Le souci d’un découpage ambitieux ne saurait nous éloigner des préoccupations d’un second niveau de décentralisation voire du 3ème niveau comme c’est le cas au Mali et dans bon nombre de pays et prévu à l’article 1er de la loi N°97-028 citée supra.

La tendance aujourd’hui est favorable à l’addition de plusieurs communes et non à leur éparpillement pour rendre difficile les pôles de concentration lorsqu’on sera tenté par les autres niveaux de décentralisation à savoir les élections des conseils départementaux ayant à leur tête le Président du conseil départemental ou les conseils régionaux consacrés par un Président du conseil régional. Il s’agit là des étapes progressives et nécessaires pour faire des collectivités locales un véritable levier de développement. Les communes susceptibles d’entraîner celles qui sont déshéritées doivent faire l’objet d’une attention particulière. Car conformément à l’article 153 de notre constitution «l’Etat veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale, des potentialités régionales et de l’équilibre  inter-régional.»

Dans le cas d’espèce, la commune d’Abomey-Calavi du département de l’Atlantique s’échappe de ce rôle et devient département le Nokoué et dans le même temps les 3 communes à savoir Allada, Toffo, Zè essentiellement pauvres se mettent ensemble pour partager la pauvreté. Mieux, la question cruciale de délimitation des frontières entre départements, communes, arrondissements et villages demeure des sujets tabous. Aussi, la question a-t-elle été agitée ces derniers jours entre le nouveau département du Nokoué et la ville département du Littoral Cotonou. Cela suppose une bataille en perspective autour du CEG le Nokoué situé dans l’emprise querellée comme ce fut le cas du marché Dantokpa à l’événement de la décentralisation. Par ailleurs, aucun découpage n’est neutre dans un processus démocratique qui conduit à la règle de la loi de la majorité sur la minorité. La question du leadership départemental ou régional est une logique des hommes politiques.

Dans ces conditions, le département du Borgou par exemple regroupe Parakou, Tchaourou, N’Dali, Sinendé et Bembérèkè (département d’origine du Chef de l’Etat) soit 5 communes, le département de la Sota en quête d’un rayonnement aussi important dont il a été légué Malanville et Karimama n’aurait-il pas des arrières pensées ?

Le département du nom Agonli : Est-il un précédent dangereux ?
Dans la foulée, le département Agonli  a été créé oubliant que nous sommes une jeune nation à la recherche d’une unité nationale. Faut-il dès lors, non pas parler d’un Etat de droit au Bénin, mais «d’Etats de droits» plus ou moins moderne ? Le nom traduit quelque chose de sacré en lui et le suit généralement dans la façon d’agir, de percevoir et de s’épanouir. Le nom Agonli est une ethnie de ce département qui fait partie intégrante du regroupement ethnique Fon et peuples étroitement apparentés à savoir les Fons, les Mahi, etc.

Nous ne sommes pas à l’abri des tendances sécessionnistes (exemple du Biafra, Tchad, Erythrée, Niger, etc.) dont les gouvernements aux prises des rebellions n’ont pu imposer leur autorité qu’au prix d’un bain de sang. Conscients de notre devoir d’éliminer l’apartheid et toutes formes de discriminations fondées sur la race et l’ethnie, nous estimons que le choix de ce nom viole le consensus national à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, le département du Mono dont est originaire le Président de l’Assemblée nationale garde le statu quo. Les suspicions légitimes doivent nous interpeller pour éviter un dialogue de sourds.

L’arrondissement de Godomey et d’autres, statu quo ?
L’arrondissement de Godomey par exemple est plus peuplé que l’ensemble des 3 communes formant le département Agonli. Certains de ses villages sont plus peuplés que certaines communes. C’est dire donc qu’un découpage ambitieux concernerait au prime abord les plus grands villages, arrondissements, communes et ensuite départements de notre pays pour lutter efficacement contre entre autres l’insécurité grandissante.

En guise de conclusion
Dans la problématique de quel moyen pour quel résultat, ce que les économistes appellent fonction de production, il est clair qu’au-delà des objectifs visés par ce projet, l’impact sera nul mais pesant sur les caisses de l’Etat. Il serait peu responsable de quitter 6 départements réels et six autres départements virtuels assurés par 6 Préfets à 21 départements soit 21 Préfets par ces temps de crise financière mondiale. Il y a lieu de souligner 9 Préfets de trop. L’idéal aurait été de désigner courageusement les nouveaux chefs lieux de département sur la base des critères objectifs déjà fixés par le législateur. La volonté manifeste de rechercher à défaut un découpage plus ambitieux serait préjudiciable à la décentralisation eu égard à nos réalités politiques. Une nouvelle procédure longue se dessine pour un résultat incertain.

Toute gouvernance pour mieux fonctionner doit avoir des approches économiques, politiques et administratives pour un résultat acceptable par tous. Le souci d’un découpage ambitieux ne passe t-il pas d’abord par la mise en application conséquente des douze (12) départements ? Quel compromis peut-on espérer sans avoir appliqué ce qui est contenu dans la loi ? Le choix des 21 membres de la commission qui ont créé 21 départements, respecte t-il un compromis des différents acteurs de la classe politique nationale ?

Ce qui aurait pu compter avant c’est qu’on ne cherche pas à priori les arrières pensées chez les autres, qu’on compare ensuite objectivement les différentes conceptions des uns et des autres, qu’on soit enfin capable de trouver les compromis tant recherchés. Plus les règles de jeu qui ont mené à un certain découpage aurait respecté la répartition des rôles entre la mouvance et l’opposition dans une totale transparence mieux seront respectées par tous les acteurs, les différentes approches de solutions susceptibles d’éviter des blocages inutiles qui empêchent le développement de toute la nation.

A cet égard, même si le système ne peut pas être parfait, surtout que l’idéal n’existe nulle part, la volonté de s’entendre et d’accepter les opinions des uns et des autres et de les intégrer dans le processus de découpage peut quand même être parfaite. Le gouvernement doit faire preuve de responsabilité lorsqu’il parle de gouvernance concertée dans les discours sociaux de politesse. En dehors de certains villages, certains arrondissements de notre pays, aucun découpage fût-il ambitieux n’irait pour l’instant au-delà des 12 départements en prévision des autres niveaux de décentralisation. Faisons preuve de sagesse et de tolérance pour éviter à ce que nos collectivités locales ne soient atomisées ou désarticulées.

Claude C. DJANKAKI Administrateur des Finances A1-12 Expert Consultant en Finances  Publiques  et les Questions de décentralisation. Ancien DEP-DAFA- Chef de cabinet au MISAT
Ancien secrétaire Général Adjoint de l’Assemblée Nationale
djankakic@yahoo.fr 

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