Mon pays, es-tu là ?
Le Bénin est loin de vivre une crise majeure. Les revendications catégorielles, appuyées par des grèves, sont toujours à l’ordre du jour. Mais l’Etat a jusqu’ici honoré, mois après mois, ses obligations salariales envers ses agents.
Le marché international de Dantokpa, véritable baromètre de l’économie nationale, fait grise mine. Mais aucun vent de panique ne souffle sur les étagères et les boutiques qui restent fort bien achalandées.
Il n’en demeure pas moins qu’un certain malaise est ressenti par la majorité de nos compatriotes. Il s’agit d’un sentiment diffus, indéfinissable qui colore d’une teinte grise les propos des uns ou qui plombe littéralement l’enthousiasme des autres. Personne ne veut s’engager franchement. Tout le monde se tient dans une démoralisante expectative. Mais attente de quoi ? De qui ? Dans quelle perspective ? Nous avons quelques réponses à cette série d’interrogations.
Quand certains de nos compatriotes notent, pour s’en plaindre, que nous sommes rentrés dans une campagne électorale précoce, ils n’affabulent ni ne racontent leur vie. Il s’est opéré comme un glissement d’intérêt des tâches de développement vers un activisme politicien à tout crin. Ainsi et depuis un moment, la classe politique, mouvance présidentielle et opposition non déclarée confondues, fait feu de tout bois. On n’a plus le temps de la réflexion sur le devenir du pays. Mais on sacrifie au jeu des marches de soutien et des meetings de remerciement. On se détourne du débat démocratique sur les grands dossiers de l’heure. Mais on se sent assez d’énergie pour alimenter une guérilla par presse interposée, assez de force pour se répandre en des déclarations incendiaires, les mots ayant souvent tôt fait de trahir les intentions…
Un pays qui choisit ainsi de se mettre prématurément sous pression électoraliste, s’oblige à vivre une longue veillée d’armes. Il peut perdre la capacité discursive de distinguer l’essentiel de l’accessoire, de se concentrer sur son devenir. Oublieux du présent et négligent de l’avenir, ce pays peut sombrer dans une panne totale d’initiative.
Heureuse initiative que celle du pouvoir de renouer les fils du dialogue avec toutes les forces vives de la nation. L’initiative fut ajournée pour une question de calendrier, parce qu’elle devait alors interférer avec des activités déjà programmées de longue date par les ténors de l’opposition non déclarée. Mais depuis, plus rien : silence radio. A la question : « Qui veut encore du dialogue ? », seul l’écho nous répond.
Il nous faut pourtant relever le défi politique d’un dialogue inclusif qui rassemble les segments significatifs de notre pays autour des problèmes et des sujets d’intérêt commun, dont par exemple, la mise en place d’une Liste électorale permanente informatisée (LEPI), sur la base du consensus le plus large, avant les toutes prochaines échéances électorales.
C’est dire l’importance que revêt le dialogue au jour d’aujourd’hui, dans le souci de décanter une situation trouble, mais qui ne saurait le rester trop longtemps sans tourner au vinaigre, sans échapper au contrôle des principaux acteurs. Il est impératif de trouver une alternative apaisante à la fièvre qui agite, en ce moment, la presque totalité des états-majors politiques, des organisations de la société civile et des centrales syndicales.
La situation qui prévaut au niveau de notre Parlement est source de malaise. Du fait d’incessants tiraillements internes, l’Assemblée nationale fait l’école buissonnière. Comme si nos honorables députés préfèrent s’égailler aux quatre vents, plutôt que d’être et de rester les gardiens du temple de la loi. Tout se passe comme si le second pilier de la République se meurt lentement de ses contradictions internes, frappé par un méchant cancer à un stade avancé. Que reste-t-il d’une démocratie quand le symbole de la loi qu’est le Parlement n’est plus qu’une maison divisée contre elle-même, en proie à de violentes convulsions épileptiques ?
Enfin, la communication du gouvernement a le chic pour générer du stress, justement par déficit de communication. Celle-ci se fait la plus discrète, sinon la plus absente possible sur nombre de dossiers ou de chantiers de portée nationale. Les populations à l’écoute peuvent attendre. Les travaux d’approche pour lutter contre l’érosion marine n’ont guère cessé depuis. Mais on en dit rien, comme si le dossier était estampillé « Secret défense ». Celui de l’essence de contrebande dite « Kpayo » n’est pas clos. Mais on préfère le gérer en off. Quant à la promesse présidentielle de reverser les contractuels de l’enseignement dans la Fonction publique, elle est toujours d’actualité. Mais la suite à lui donner se trouve dans les mains de cadres techniques passés maîtres dans l’art de cultiver le secret et la confidentialité. Il reste que quand on ne sent plus rien et que tout devient flou, il se peut encore que l’on comprenne quelque chose. Mais, malheureusement, tout à l’envers.
Jérôme Carlos