C’est quoi et c’est comment ?
Le suicide en politique, qu’est-ce ? C’est le fait de se tuer politiquement. C’est l’action qui consiste à causer volontairement sa propre mort politique et à disparaître de l’esprit et du cœur de ses sympathisants. Nombre de politiciens choisissent cette voie radicale. Ils se font hara-kiri, cette manière japonaise de se suicider en s’ouvrant le ventre.
Le hara-kiri, au regard des traditions japonaises, est un mode de suicide particulièrement honorable qui grandit le suicidé aux yeux des vivants. Le suicide politique, sous nos cieux, tient davantage de la faiblesse ou de la lâcheté. Dans un contexte de misère et de pénurie où l’essentiel se rapporte au ventre, il n’y a pas grand honneur à se suicider politiquement.
Il ne peut en être autrement, en l’absence de toute balise idéologique pour éclairer les choix du politicien réduit à n’être qu’un cerf-volant, cet objet en papier qui peut s’élever en l’air lorsqu’on le tire face au vent. C’est au gré de la météo de ciel que le politicien cerf-volant agit ou plutôt est agi.
Il ne peut en être autrement, dans un contexte où la politique reste encore une course au trésor. L’on s’y engage davantage pour se servir que pour servir, le politicien étant la figure accomplie du nécessiteux soucieux avant tout de prendre sa part et de se renflouer à bon compte. C’est pourquoi, chez nous, la politique se limite souvent à une action de survie sociale. Il faut bien s’éloigner de la ligne rouge de la misère. Il faut échapper à la dictature de la pénurie. Il faut régler ses problèmes du ventre. Mais comment se suicide-t-on politiquement ? Des nombreuses voies offertes, chez nous, aux candidats au suicide politique, retenons-en trois.
L’homme public se suicide politiquement sous nos latitudes quand il en vient à devenir l’ombre de lui-même, silhouette insignifiante et fantomatique de celui-là qui fut « le phénix des hôtes de ces bois », Jupiter en son Olympe, la pleine lune dans le vaste champ des étoiles. Selon la loi du milieu, on ne compte politiquement qu’en marquant l’arène de sa présence par son discours, par ses faits et gestes et surtout par sa libéralité, sa générosité.
Car l’homme politique n’a de relief et de consistance qu’à sa capacité à donner généreusement, à se pencher charitablement sur les bobos des autres. Et donner, dans un tel contexte, c’est savoir entretenir la flamme de la reconnaissance. C’est cela qui vous fait rappeler constamment, continûment au souvenir de vos clients, sympathisants et courtisans. Tant que vous savez donner, on sait aussi comment vous faire exister.
Mais quand s’estompe ou s’interrompt cette relation entre la main qui donne et celle qui reçoit, entre le politicien intéressé de donner pour exister et la foule de ses sympathisants intéressés de recevoir pour faire exister, prend fin un contrat de partenariat sanctionné, presque toujours, par la mort du politicien. L‘incapacité de ce dernier à continuer d’assurer le pain aux siens a valeur d’un arrêt de mort, a valeur d’un suicide politique, pour être plus précis.
L’homme public se suicide politiquement sous nos latitudes quand il a eu fini d’épuiser son registre de mensonges, de promesses qu’il ne sait pas tenir et qu’on découvre, au bout de son bavardage stérile, qu’il est de la race, mais en pire, d’un arracheur de dents. Car beaucoup entrent en politique et pensent bien naïvement conduire leur carrière en s’attribuant, d’office et d’autorité, le ministère de la parole.
L’homme, c’est dans sa nature profonde, s’exalte et s’enflamme sous l’aiguillon de ce qui le fait rêver, de ce qui le fait décoller du sol prosaïque de son quotidien pour le projeter dans la féerie d’un univers poétique baigné de lumières et de sons. Le politicien, remarquablement doué pour connaître ce penchant humain, l’exploite à fond. Sauf à se reconnaître la limite selon laquelle on ne peut tromper tout le peuple tout le temps. Et comme le dit le proverbe « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ». Car qui va trop loin dans le mensonge finit par lasser et par se casser. Ci-gît le politicien qui n’a pas su méditer, avant son suicide, ce sage proverbe arabe : « Ta langue est un lion : si tu l’attaches, il te gardera ; si tu le laisses échapper, il te dévorera »
L’homme public se suicide politiquement sous nos latitudes quand il se met soudainement à dérailler, brusquement à détonner, inopinément à nouer des alliances contre nature. Il brouille alors toutes les pistes à s’emmêler les pédales. Il s’y ajoute que si le plat ainsi concocté est puant au possible, dégoûtant au superlatif qu’on ne puisse expliquer ses motivations à s’empresser de brûler aujourd’hui ce qu’il a mis une égale jubilation à adorer hier, de retourner se repaître de ses vomissures, alors, comme l’a dit l’autre, seul le silence est grand. Silence, en effet, à la mémoire d’un suicidé, politiquement mort pour cause gravissime de rupture d’un contrat, synonyme de profanation. Suivez notre regard.
Jérôme Carlos