Pour une véritable réforme de la gouvernance du Fonds Monétaire International

T. M. KpayagbeDans le monde post seconde guerre mondiale, la nécessité d’instaurer un nouvel ordre mondial marqué par le multilatéralisme s’est traduite par la création d’instances planétaires de gouvernance démocratique. Ces instances sont censées mettre fin à l’hégémonie des anciennes puissances coloniales en faisant cohabiter en leur sein, les colons et leurs anciens dominés.
Sur le plan économique et financier, les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) ont pour mission de garantir la stabilité du système monétaire international par la libre convertibilité des monnaies, le suivi des politiques économiques et monétaires des pays membres ainsi que la direction de la gouvernance financière mondiale en vue de la libéralisation des échanges entre tous les pays du monde. Elles sont plus connus des africains par leurs programmes d’ajustements structurels de connotation libérale avec pour corollaires des effets sociaux négatifs en raison des politiques d’austérité budgétaires.
Le sommet de Londres du 02 avril 2009 a enfin permis de constater qu’un pas supplémentaire a été fait par les décideurs de la planète pour réformer le système de Bretton Woods. Outre l’élargissement du traditionnel G8 aux pays émergents, le renforcement des moyens et pouvoirs des deux institutions internationales a été constaté.
Le cas du FMI nous intéresse plus particulièrement, d’une part après la tenue des assemblées annuelles de printemps (25-26 avril 2009) censées mettre en œuvre les grandes résolutions du dernier G20, et d’autre part en raison de son influence sur les politiques publiques des pays du tiers monde. Il faut remarquer que les efforts d’adaptation du Fonds aux réalités géopolitiques et économiques mondiales sont insuffisants. Avant de formuler les propositions visant à insuffler plus de démocratie dans cette enceinte, nous allons jeter un coup d’œil sur le projet mis en œuvre par son Directeur Général, M. Dominique Strauss-Kahn qui avait axé sa campagne sur la nécessité de dynamiser cette institution.
Les grands axes de la réforme de M. Strauss-Kahn
Les points ci-après ont été évoqués par ce dernier lors de sa prise de fonction:
1) Du recrutement du personnel
Il faudra «introduire davantage de diversité dans le personnel pour faire en sorte que le Fonds développe toute l’expertise nécessaire sur les pays à qui il dispense ses conseils». Mais une plus grande ouverture géographique ne doit pas se faire «au détriment de la qualité» du personnel.
2) De la représentation des pays pauvres et en émergence
Il est nécessaire de donner aux pays émergents et en voie de développement «une voix plus forte au sein de l’institution». «Nous devons aller beaucoup plus loin» dans la réforme des quotes-parts «et nous accorder sur une réforme ambitieuse au bénéfice des pays dont le dynamisme et le rôle croissant dans l’économie mondiale ne sont pas adéquatement reflétés dans la répartition des quotes-parts, tout en veillant à donner aux autres pays une voix suffisante».
«Il peut être utile de réfléchir à de nouvelles règles de vote au sein du conseil d’administration du Fonds. Une double majorité de quotes-parts et de pays pourrait, par exemple, être exigée pour un petit nombre de décisions cruciales, ce qui garantirait un soutien incontestable aux décisions affectant les principaux aspects de l’institution».
3) Du financement
«Le FMI a besoin d’un cadre budgétaire rénové, économisant les ressources des pays membres, ainsi que d’un modèle de financement plus viable». M. Strauss-Kahn dit à cet égard adhérer «à la plupart des recommandations du rapport Crockett, paru en 2007. Parmi les pistes qui y sont explorées figurent le placement d’une partie du capital du Fonds ainsi que la vente d’une partie «limitée» de ses stocks d’or. Simultanément, le Fonds doit se doter d’un dispositif pour «mieux contrôler ses dépenses».
4) Du champ d’action de l’institution
«Le rôle du Fonds n’est certes pas de se substituer aux agences de développement. Cependant, étant donné l’importance de la stabilité macroéconomique pour la réduction de la pauvreté, il ne fait aucun doute que le FMI doit rester actif dans les pays à faibles revenus».
5) Du processus de désignation du Directeur général  
«Pour occuper un poste aussi primordial, il faut bénéficier du soutien international le plus large». Le directeur général «doit être choisi pour ses mérites sans la moindre référence à sa nationalité», alors que traditionnellement le poste revient à un Européen.
Voici ainsi énumérés les cinq axes majeurs des actions visant à redorer le blason du Fonds.
Une fois cette présentation faite, nous devons nous interroger sur sa portée réelle, car toute réforme, n’a de la valeur que quand elle rompt avec la bonne conscience, l’immobilisme et le conservatisme.
Sur le plan pratique, il convient de retenir que les réformes ont eu les effets suivants :
Augmentation des droits de vote pour la Chine, la Corée du Sud, le Mexique et la Turquie à hauteur de 2,5% pour l’ensemble ;  légère modification à discuter de la formule de calcul des quotas et droits de vote ; doublement des droits de vote de base et, au minimum, engagement à ce que le poids total des droits de vote de base ne diminue pas ; augmentation du personnel pour les administrateurs représentant plusieurs pays.

L’insuffisance de la « non-réforme » du Fonds

Contrairement au battage médiatique et aux déclarations de bonnes intentions, la montagne a accouché d’une souris. Cette non-réforme frise la supercherie intellectuelle et confirme le mépris affiché par les pays riches envers les pays moins fortunés ou désargentés. Sur un plan pratique, plusieurs archaïsmes sont à relever :

L’Inde et le Brésil, pourtant des économies les plus dynamiques, n’ont pas connu le relèvement de leurs quotas au motif qu’ils seraient déjà sur-représentés par rapport au mode de calcul actuel des quotas, alors que les pays européens seraient sous-représentés. Cela ne fait que mettre en évidence l’obsolescence totale du mode de calcul ;
Le Fonds s’est engagé à ne pas diminuer le poids des droits de vote de base pour les pays du tiers-monde. Mais celui ci s’est déjà effondré de 11,3 % à 2,1 % : ces pays ne représentent pratiquement plus rien au sein du système décisionnel du Fonds.
Le droit de véto des Etats Unis (il faut le souligner car personne n’en parle) n’est aucunement remis en question ;
Et comme cerise sur le gâteau de l’iniquité, les pays européens ne sont pas prêts à laisser un de leurs sièges aux pays sous représentés, notamment les pays africains qui ont deux sièges pour plus de 40 pays.
De ce qui précède, les 80 pays les plus pauvres pourront au mieux prétendre à 0,9 % de plus des droits de vote. Ce qui est absolument ridicule et dénote de la persistance de l’ordre établi, pendant qu’une bonne partie des pays en situation inégalitaire, étaient sous la domination coloniale des architectes du système. Les déséquilibres profonds ne sont en rien remis en question : l’Europe, le Japon, le Canada et les Etats Unis possèdent 63% des droits de vote. Le cas le plus étrange est celui de la Belgique qui garde un contrôle supérieur à l’Inde ou au Brésil et par ricochet à l’Afrique toute entière. Manifestement, cette situation doit être revue pour induire plus d’équité et de justice dans cette instance plurinationale.
Que faire pour renforcer le poids de l’Afrique et des pays émergents au sein du FMI ?
Au préalable, une action fondamentale mérite d’être effectuée, l’Union Africaine, en tant qu’institution d’intégration économique régionale, garante des intérêts des Etats africains et dont l’action tire sa légitimité de la Charte des Nations-Unies, doit obtenir un statut de membre à part entière au sein des institutions de Bretton Woods, ainsi qu’au G20 qui deviendra un G21. Cette aspiration est légitime étant donné les largesses faites à l’Union européenne qui cohabite avec ses membres dans les institutions internationales et ce, malgré les dispositions des statuts qui ne reconnaissent la qualité de membre qu’aux Etats.
Compte tenu des disparités constatées dans la gouvernance du FMI, les pays africains à travers l’Union Africaine devrait soumettre et défendre une réforme fondamentale du FMI qui, au minimum, doit inclure les points suivants :
1) Mettre un terme aux inégalités dans le processus décisionnel
Le Conseil d’administration et le Conseil des gouverneurs du FMI ne donnent pas aux pays membres l’opportunité d’être représentés équitablement. Les droits de vote sont attribués d’après le principe « un dollar, une voix ». Un système qui privilégie la richesse à la démocratie. Quand bien même le Fonds consacre de plus en plus ses activités aux seuls pays à faibles revenus et à revenus intermédiaires, les pays riches dominent le Conseil d’administration à la fois en termes de voix et de chaises.
Il faudrait mettre en place une structure pleinement démocratique. Pour ce faire, il doit être adopté un système de vote à double-majorité. Les décisions du Conseil d’administration devraient être seulement adoptées lorsque, à la fois une majorité de pays membres et des droits de vote sont réunis. La règle « un pays, une voix » doit contrebalancer la règle « un dollar, une voix ». Le système actuel en matière de droits de vote combiné à la nécessité de réunir au moins la moitié des pays membres serait un premier pas vers la fin des inégalités dans le processus décisionnel au FMI.
2) Ouvrir le processus de sélection des dirigeants
Le Directeur général du Fonds et son premier adjoint jouent un rôle de premier plan pour orienter les directions politiques que prend l’institution. L’accord tacite entre les Européens, qui nomment le Directeur général du FMI, et les Etats-Unis, qui nomment le Président de la Banque mondiale et le Directeur général adjoint du Fonds est inacceptable et ne doit plus perdurer.
Un processus de sélection transparent et démocratique pour l’ensemble des dirigeants des organisations multilatérales doit être mis en place avec l’application du principe de la discrimination positive en faveur des candidats du tiers-monde. L’implication équitable de l’ensemble des pays membres et des groupes d’actionnaires est à ce titre indispensable. La nomination aux postes de direction en fonction des compétences et non d’une simple appartenance géographique doit être activement encouragée. Une telle réforme n’est néanmoins pertinente que si elle s’accompagne de la fin des inégalités dans les processus décisionnels, de manière à ce que tous le pays membres puissent effectivement participer au processus de sélection.
3) Induire de la transparence au sein des instances de décisions
Les progrès réalisés pour accroître la transparence du Conseil d’administration du FMI ont été insuffisants. Alors que cette institution prend des décisions qui affectent des citoyens à travers le monde entier, ces derniers ont le droit de connaître les positions que leurs représentants défendent au sein du FMI.
Il doit être procédé à la retranscription des séances du Conseil d’administration du FMI afin de permettre une évaluation des efforts entrepris dans le sens de sa démocratisation. Ces reformes, complémentaires des précédentes, sont essentielles pour que le FMI et les gouvernements qui en sont membres soient pleinement redevables envers leurs citoyens.
4) De quelques mesures visant le renforcement de l’équilibre démocratique
Des mesures complémentaires pour palier au déficit démocratique de cette institution devraient inclure :
Une augmentation des droits de vote de base accordés à chaque pays en tant que membre de l’institution ;
Une réduction du nombre de chaises européennes au Conseil d’administration ;
La mise en place d’un contrôle démocratique des administrateurs ;
Le déliement des systèmes institutionnels du FMI et de la Banque mondiale ; La création de formules séparées pour déterminer les droits de vote, l’accès aux ressources et les contributions financières au FMI.
Plus de démocratie et plus de transparence dans le contrôle du système financier mondial sont essentielles pour espérer parvenir à un contrôle équitable et efficace de l’économie mondiale.  Il y a de cela cinq ans à peine, le Fonds était comparé à un pompier mis au chômage par l’absence d’incendie: personne (hormis les pays en voie du développement) ne lui empruntait plus, son personnel était devenu oisif. Dans l’exubérance financière qui prévalait alors et ne sachant trop quelle tâche nouvelle lui confier, beaucoup le considéraient déjà comme une relique du passé. Mais la crise financière mondiale est passée par là et le monde a bien changé. Une sorte de résurrection du FMI pourrait bien être le moins médiocre résultat du G20 réuni à Londres le 2 avril.
Le FMI est de retour d’abord parce que les difficultés de financement externes auxquelles sont confrontés de nombreux pays redonnent une pleine actualité à sa mission traditionnelle. Les demandes d’intervention se multipliant, en particulier en Europe centrale, le Fonds a besoin de ressources supplémentaires. Il en a déjà trouvé pour 100 milliards de dollars auprès du Japon, en attendant des montants beaucoup plus élevés dans les mois qui viennent. C’est indubitablement un élément important du dispositif de lutte anti-crise à l’échelle internationale. Mais il y a des raisons de douter que l’accord entre les membres du G20 aille, à l’heure actuelle, bien au-delà d’une augmentation des ressources de l’institution.
Par ailleurs, on ne saurait parler de réforme du FMI, sans soulever à la fois la question de la logique de ses interventions et celle de la représentation des pays émergents. La répartition des pouvoirs au sein des organes de direction du Fonds repose comme on le sait sur un état de choses totalement dépassé. Au-delà des procès traditionnellement faits au Fonds quant à la justesse de ses remèdes, il faudrait mettre un terme à la sur-représentation manifeste des pays coloniaux qui disposent chacun de leur siège au Conseil d’administration.

L’Afrique doit œuvrer de concert avec les autres pays du tiers monde, pour une réforme des quotas (la répartition du capital du Fonds) et des «chaises» (les sièges au conseil d’administration) et ne pas se complaire dans son éternel attentisme, ni attendre les retombées de la mansuétude occidentale. Il y va de son intérêt à mettre fin au paternalisme archaïque contraire aux valeurs prônées par la Charte des Nations-Unies.

Par Théophile M. KPAYAGBE

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