Trente milliards de francs Cfa : voilà à quelle hauteur l’Etat de Côte d’Ivoire a tenu à placer la barre de son aide indirecte à la presse ivoirienne, ceci sur une période de trois ans. Il est attendu, au bout de cette période, que la presse ivoirienne s’assure des bases financières saines et solides, opère sa mutation en entreprise digne de ce nom, en éliminant la part de l’informel qui y est actuellement dominant.
Qu’a-t-il fait l’Etat ivoirien pour projeter un horizon aussi optimiste pour les entreprises de presse écrite et audiovisuelle de Côte d’Ivoire ? L’Etat ivoirien a décrété, au bénéfice de ces entreprises, une « trêve fiscale » de trois ans, de l’exercice clos le 31 décembre 2008 à celui du 31 décembre 2011.
Au cours de cette « période verte », l’Etat ivoirien accorde aux entreprises de presse (citation) « une exonération d’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ou d’impôt minimum forfaitaire, d’impôt sur le patrimoine foncier et de contribution nationale pour le développement économique, culturel et social de la nation au titre du personnel local » (fin de citation). De plus, « les arriérés d’impôt et taxes de toute nature dus par les entreprises de presse au 31décembre 2008 sont annulés ». L’Etat, par ces mesures et au profit des entreprises de presse, se prive d’une manne estimée à 30 milliards de francs Cfa pour l’ensemble de la période.
Il convient de rappeler que cette « trêve fiscale » intervient après l’adoption d’une loi sur la dépénalisation des délits de presse et après la mise en place d’un Fonds de soutien et de développement de la presse. Cette série d’actes significatifs et de haute portée, suffit à se convaincre de la volonté politique qui sous-tend l’engagement de l’Etat en vue d’asseoir les bases d’un développement durable du secteur ivoirien de la presse. Quelle réflexion doit-elle nous inspirer cette magnifique initiative de l’Etat ivoirien ?
C’est d’abord, au plus haut niveau de l’Etat, une manière de reconnaissance de l’importance de la presse dans un pays en émergence. Pour parodier un précepte biblique, si la touche de la presse venait à manquer dans l’oeuvre de construction nationale, c’est en vain que l’on bâtit la maison. Cela revient à statuer, tout au moins dans une démocratie pluraliste, que la presse ne peut être comptée pour quantités négligeables, réduite à la cinquième roue du carrosse. Ni une presse débridée qui ne se donne aucune limite dans ses excès. Ni une presse caporalisée, instrumentalisée et aux ordres, réduite à n’être plus que la voix de son maître. Mais une presse qui défend la liberté d’informer sans renoncer à assumer sa pleine responsabilité dans sa mission d’information.
C’est, ensuite, la prise en compte des difficultés sans nombre qui assaillent le secteur de la presse, avec la volonté affirmée de leur trouver des solutions. On indique, en effet, qu’avant 1990, le seul quotidien Fraternité Matin tirait à plus de 100 000 exemplaires/ jour. Aujourd’hui, le tirage de l’ensemble de la presse ivoirienne, avec 16 quotidiens, atteint à peine cette moyenne. Il s’y ajoute que la fragilité de l’entreprise de presse laisse celle-ci sans base financière solide, tandis que la précarité réduit le journaliste à tirer le diable par la queue, incapable de se conformer à l’éthique et à la déontologie de son métier. Dans ces conditions, la bouffée d’oxygène qu’apporte l’Etat arrive comme une manne salvatrice.
C’est enfin, la volonté de sortir des sentiers battus et de s’éloigner des solutions « prêt-à-porter » pour guérir la presse de ses maux. C’est en cela que la thérapie prescrite par la Côte d’Ivoire mérite de faire école et d’inspirer d’autres pays. C’est une bouée de sauvetage d’un type nouveau destiné à aider l’entreprise de presse, en plein naufrage.
L’aide à la presse, dans son approche classique, se limite à une simple allocation de ressources. Hors d’une enveloppe d’un montant déterminé mise à disposition, on n’explore plus avant d’autres voies. Et quand le volume d’une telle enveloppe s’essouffle à suivre le nombre toujours plus élevé de bénéficiaires potentiels, l’aide n’aide plus personne. Le saupoudrage, pour parodier La Rochefoucauld, n’est plus que l’hommage que le vice rend à la vertu.
La Côte d’Ivoire n’est pas le Bénin et il serait toujours plus sage de comparer ce qui est comparable. Il reste néanmoins que ce qui se fait de bien, de bon et de beau, où que ce soit dans le monde, ne devrait nous laisser indifférent ou de marbre. Tout en gardant notre capacité de discernement, pour ne pas copier platement et de manière inintelligente les autres, nous devons tout de même apprendre à aller l’école des bons exemples. Sur le front de la presse, et par ces bonnes mesures qui viennent d’être prises en faveur de la presse, la Côte d’Ivoire est un bon exemple. Ce serait hypocrite de faire comme si nous ne le savions pas. Ce serait stupide de ne rien faire en faveur de notre presse, maintenant que nous le savons.
Jérôme Carlos
La Chronique du jour du 15 mai 2009