L’Afrique doit s’engager effectivement dans la lutte contre l’impunité

/food/gnonhoue.jpg » hspace= »6″ alt= »J-B Gnonhoué » title= »J-B Gnonhoué »  » />Le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, sont de très graves crimes de droit international, des atteintes foncièrement ignobles à la dignité humaine qu’il faut absolument réprimer. Il convient de rappeler que l’interdiction de bafouer cette dignité chère à chaque individu est une norme impérative sous la forme d’une obligation erga omnès.

Personne ne peut se permettre d’oublier que, ce sont des événements d’une violence exceptionnelle survenus en Ex Yougoslavie et au Rwanda, qui ont motivé la création par le conseil de sécurité de l’ONU des tribunaux connus de tous, et auxquels s’est ajoutée quelques années plus tard, la cour pénale internationale, fondée sur un traité favorable aux principes de souveraineté et de l’ingérence acceptée.

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L’action de l’Afrique contre l’impunité  peine manifestement à s’inscrire dans la dynamique souhaitable et souhaitée, bien qu’une trentaine d’Etats membres de l’UA aient ratifié le traité fondateur de la CPI. Ce que l’on attend d’eux, c’est une véritable appropriation de cet important instrument juridique, qui vise à punir et à dissuader pour assurer la protection de la dignité humaine. Ratifier un traité d’une importance capitale, et ne pas faire grand-chose par la suite, ne constitue pas un comportement conséquent. Ce qui fait problème actuellement en Afrique dans le domaine de la lutte contre l’impunité, précisément dans l’appropriation réelle du traité de Rome du 17 Juillet 1998, se perçoit sans coup férir dans les interrogations soulevées par le Professeur Dorothée SOSSA dans son allocation à l’ouverture d’un atelier sur le droit pénal international tenu récemment à Cotonou. Selon le Professeur titulaire de la chaire UNESCO des droits de l’homme et de la démocratie de l’Université d’Abomey Calavi, « de nombreuses situations, largement médiatisées, posent un certain nombre de problèmes scientifiques. Qu’avons-nous fait depuis plus de dix ans que  le statut de Rome a été adopté pour faciliter sa mise en œuvre dans nos Etats ?

Les codes pénaux et les codes de procédure pénale nationaux ont-ils été adaptés aux normes internationales pertinentes ? Et les juridictions, magistrats, avocats et officiers de police judiciaire, ou agents de prison ont-ils été mis à  niveau ? » Il s’agit là d’autant de questions reflétant des réalités amères, donc ne relevant pas de l’affabulation, et qui empêchent de réaliser ce qu’il convient d’appeler l’appropriation rationnelle du statut de Rome créant la CPI.  Pour aller de l’avant, il faut trouver des solutions adéquates aux questions ci-dessus évoquées par le Professeur Dorothée SOSSA. Sur trente Etats africains parties au statut de Rome, il y a bien moins de cinq qui possèdent actuellement une loi d’adaptation, tandis que pour une vingtaine, on ne parlera que de projet de loi.

Si l’Afrique veut réellement s’acquitter de son devoir de lutter effectivement contre l’impunité, il y a urgence à adopter des lois d’adaptation de manière à habiliter les juridictions nationales à juger les auteurs de crimes internationaux. Il convient de se garder de sous estimer l’importance d’une telle répression, car, ces graves exactions portent atteinte à l’essence même de l’être humain. Fait partie également de l’appropriation de l’instrument juridique fondateur de la CPI, la formation des acteurs spécifiques des juridictions ; magistrats, avocats, officiers de police judiciaire … etc, laquelle devra être accompagnée d’un système permanent de recyclage. Parce que la société civile aussi a un rôle non négligeable à jouer dans l’éradication de l’impunité, il est indiqué que des dispositions soient prises pour la mettre dans les conditions lui permettant d’agir convenablement.

Le statut de Rome est conçu de manière à faire comprendre aux Etats parties qu’ils ont le droit, et même le devoir de jouer un rôle de premier plan quant à la répression des crimes internationaux, étant entendu que la CPI n’intervient que lorsque des insuffisances réelles sont constatées. Les lois de mise en œuvre devraient tenir compte du principe de complémentarité, auquel s’ajoute évidemment celui de coopération, sans lequel l’action de la CPI serait paralysée. Ce n’est donc pas pour rien que le conseil de sécurité, en déférant la situation du Darfour à la CPI, a  rappelé aux Etats qui ont ratifié le statut de Rome, leur obligation de coopérer. Ces Etats africains parties devraient rester dans une logique juridique et non politique, en déclarant collectivement qu’ils se désolidarisent de la demande de sursis à poursuivre Omar EL Béchir adressée au conseil de sécurité par l’Union africaine, en tant qu’organisation régionale. Soutenir une telle initiative, est un comportement insolite que le tribunal de l’histoire condamnera sans appel.

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Car, ces Etats parties ignorent pratiquement les victimes pour soutenir d’une manière ou d’une autre un chef d’Etat, auteur présumé de crimes foncièrement attentatoires à la dignité humaine. Ce n’est pas une exagération que de dire qu’il y a vraiment de quoi avoir honte, de quoi s’indigner du fait que les droits des victimes que sont la vérité, la justice et la réparation ne constituent pas pour les 30 Etats parties, encore moins pour l’UA, la véritable priorité, la priorité des priorités, bref, la mère des priorités. Les victimes étant africaines, on ne voit pas le bien fondé d’une telle vision du monde et des choses. Nul n’est censé perdre de vue que la dignité humaine est sacrée et que, se permettre de la bafouer à travers des crimes de droit international, ne saurait faire partie des fonctions souveraines d’un chef d’Etat en exercice. Sacrifier sur l’autel de la logique syndicale, de la solidarité et de la politique les droits fondamentaux des victimes, c’est s’inscrire dans un processus contraire au sens des valeurs.

L‘obligation de sévir

Les Etats africains ont le devoir de se doter de moyens requis pour traquer et juger eux-mêmes les auteurs de crimes internationaux indépendamment de leur qualité officielle. En cas d’incurie, d’incapacité caractérisée, il n’y a pas lieu de s’étonner que le conseil de sécurité de l’ONU défère à la CPI les situations extrêmement graves, une procédure dont on doit tirer toutes les conséquences juridiques. Rien n’empêche nos Etats d’agir, d’adopter même le principe de compétence universelle pour être conséquemment en position de punir sur leur sol, tout auteur de crimes internationaux, qu’il soit blanc ou noir. Si l’Union africaine veut concrétiser son soutien à la CPI en particulier, et à la justice internationale en général, si elle veut exorciser le spectre des crimes internationaux, elle doit encourager tous ses membres à ratifier le traité du 17 Juillet 1998, et à incorporer ses dispositions dans le droit interne. On constate au contraire avec stupeur que le soutien de l’Afrique n’est que verbal, alors que, comme le dit le philosophe allemand Hégel : « La vérité de l’intention est l’acte ». Si l’engagement du continent était dynamique, chaque pays africain, pourrait jouer le rôle qui est le sien dans la consolidation de la justice internationale, un rôle d’autant plus important qu’il dispose d’une force coercitive. Au lieu de cette exhortation à l’heure actuelle, et pendant que la situation des victimes n’est pas encore ce qu’elle devrait être, l’Union africaine a fait le choix délibéré d’un processus élaboré de diversion à la manière des byzantins.

Par ailleurs, certains Etats dont le Bénin « ont fait gaffe » à la réunion des Etats parties qui s’est tenue à Addis Abéba du 08 au 09 Juin 2009 sur l’avenir de la CPI. Pourquoi notre pays, le Bénin, berceau du renouveau démocratique en Afrique, ainsi que le Sénégal, Djibouti, les Iles comores, le Burkina Faso et le Gabon se sont-ils permis d’avoir un comportement négatif inattendu au sujet de la jeune juridiction pénale internationale ? Pourquoi ces Etats n’ont-ils pas eu le courage de leurs opinions ? Pourquoi ont-ils succombé de façon éhontée à la manipulation ? Est-ce le triomphe de la Réapolitik ? Des questions se posent à l’infini. Ces « négatives countries » comme on les appelle en Anglais quelque part, viennent d’étaler la preuve qu’ils relèguent non pas au second plan, mais plutôt au dernier plan les intérêts des victimes. Je suis remonté contre ce groupe de pays qui suscite l’indignation et qui mérite un langage incisif. Mon pays, notre pays, le Bénin doit quitter ce groupe malsain au cours de la réunion qui se tient en Libye du 24 Juin au 03 Juillet 2009 pour rejoindre celui des « supportive countries » comme l’Afrique du Sud , La RDC, le Nigeria et le Ghana pour ne citer que ces quatre. On a le  sentiment qu’au sujet de la CPI, notre diplomatie qui clame son dynamisme est influencée par des Etats auxquels les droits de l’homme et la démocratie donnent la nausée.

Je suis dans mon rôle lorsqu’au nom de la coalition béninoise pour la CPI, je dis à l’endroit du gouvernement de notre pays, qu’aucune disposition du statut de Rome ne l’autorise à avoir le comportement qu’il a eu lors de la réunion des Etats parties africains qui s’est tenue du 08 au 09 Juin Addis Abbéba. Ce n’est d’ailleurs pas un secret, puisque RFI a tout mis à nu. Vraiment j’ai honte et je redis à l’exécutif de mon pays, au nom du droit constitutionnel à la liberté d’expression que la demande de sursis à poursuivre Omar El Béchir ne l’engage pas en tant qu’Etat partie, et que la loi dans le domaine des crimes contre l’humanité s’applique  à tous de manière égale. C’est dommage que Des Etats parties prennent des libertés vis-à-vis des du statut de Rome du 17 Juillet 1998, tout en affirmant leur soutien à la CPI dont il est le texte fondateur.

La logique élémentaire exige d’eux une résistance farouche aux autres Etats opposés à la CPI  qui exercent des pressions malsaines et irresponsables, et qui du reste, crachent littéralement chez eux sur les droits de l’homme et la démocratie. Je suis persuadé que des amendements au statut de Rome auront lieu lors de la conférence de révision, que l’on réaffirmera qu’il y a défaut de pertinence de la qualité officielle pour les crimes de droit international, et que le principe de la  dignité humaine surplombe l’immunité des chefs d’Etat en exercice ou non. Nul n’est au-dessus de la loi. En cette première décennie du 21 siècle, la lutte contre l’impunité est une nécessité incontournable. L’engagement réel de l’Afrique ne peut que sauvegarder la paix et le développement.

Par Jean-Baptiste GNONHOUE
Président de la coalition béninoise pour la Cour Pénale Internationale

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