Les « G » et les « F », réunis en « Un », à savoir l’Unité fait la nation, étaient dans la rue ce jeudi 28 mai 2001. Ils entendaient sortir d’un silence qui n’a que trop duré. Il se posaient comme la voix des sans voix, la voix des agents de santé notamment. Histoire de ne plus laisser le pays aux seules initiatives du pouvoir. Histoire de se refaire une santé, de marquer son territoire face aux toutes prochaines échéances.
La rue est le symbole de la vie urbaine. Elle est plus généralement le symbole des milieux populaires. Dans le sens où l’on parle de l’homme de la rue pour désigner Monsieur tout le monde ou de fille des rues pour parler des étoiles qui illuminent les nuits torrides du quartier « Jonquet » à Cotonou. La rue est à prendre ainsi pour un espace public opposable à l’espace privatif de nos maisons.
On peut en conclure que, dans un pays de liberté, la rue n’est la propriété de personne. C’est un espace ouvert à tous. C’est l’espace où le citoyen lambda, dans les limites de ce que la loi autorise, peut exercer son droit d’aller et de venir, peut éprouver son droit à une expression libre et publique.
C’est ce qu’ont compris les têtes d’affiche de l’opposition, d’Adrien Houngbédji à Nicéphore Soglo, de Lazare Sèhouéto à Issa Salifou, de Bruno Amoussou à Séfou Fagbohoun et tous les autres. Ils ne s’étaient que trop confinés jusqu’ici dans leurs bureaux. Il leur faut aller chercher dans la rue leur part d’un pouvoir qu’ils ont abandonné aux autres.
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L’essentiel, ici, n’est ni de trouver juste une telle décision ni d’y voir un prétexte à leur action. Ces leaders ont incontestablement créé l’événement. Parce qu’ils ont su diriger et orienter sur eux les feux de l’actualité. Ces leaders ont pris possession, comme de vrais acteurs, de la scène sans frontières de la rue. Parce qu’ils se sont offerts le privilège d’être vus, entendus et appréciés par le public vaste et indifférencié des usagers de la rue. Ces leaders, des vedettes dans une action de haute portée politique, se sont ainsi donnés, dans la rue et par la rue, un pouvoir. Ce à quoi ils n’auraient jamais pu prétendre dans le calme des espaces feutrés et insonorisés de leurs cabinets.
Ces leaders politiques tirent certainement déjà avantage d’un tel exercice. Mais empressons-nous de dire qu’ils n’en sont pas les inventeurs. Venus tard à cet exercice, ils devraient, au contraire, se plier à payer des droits d’auteur à nombre d’autres acteurs. Ceux-ci ont eu à connaître et à éprouver depuis longtemps le pouvoir de la rue.
Le monde du travail, avec ses différents syndicats, par exemple, nous a habitués à des marches à travers les différentes artères de nos villes, ceci en appui aux grèves décrétées, aux revendications catégorielles articulées. Les syndicats, à l’intérieur de l’administration ou dans l’entreprise, vont ainsi pêcher dans la rue un supplément de force et de puissance pour mieux s’affirmer. Ils se mettent ainsi en position de construire à leur avantage de nouveaux rapports des forces.
Les organisations de la société civile connaissent l’espace de la rue comme leur poche. Quand elles se sentent à l’étroit dans les espaces réglementaires de leurs activités, elles courent vite prendre la rue à témoin. Elles ont bien besoin de montrer et de démontrer à la face de tous qu’elles sont et qu’elles demeurent l’avant-garde des populations dont elles entendent épouser et défendre les intérêts. Et les Béninois n’oublient point qu’un jour, le premier d’entre eux, le Président Boni Yayi, s’est fait marcheur aux côtés d’autres marcheurs qui sollicitaient alors le pouvoir de la rue dans leur lutte contre l’hydre immonde de la corruption.
La mouvance présidentielle, à travers le large spectre des partis, mouvements et groupes qui la composent, a quasiment donné aux marches le caractère d’un exercice militant. Marches par ci, marches par là aux quatre coins du pays : c’est désormais le rituel porté au menu de nos week-end. Y sacrifient assidûment ceux qui veulent soutenir l’action du Chef de l’Etat, le remercier d’avoir associer, à différents titres, leurs fils ou leurs filles au gouvernement de la République. Ici, de bonne heure, le pouvoir de la rue c’est le trophée qui se gagne à la force des jambes et à la sueur de son corps.
Mais la rue est une arme à double tranchant. Il y a un endroit et il y a un envers du pouvoir de la rue. Il faut le savoir. Car la rue c’est également l’espace du badaud, plus intéressé à regarder le spectacle de la rue qu’à conquérir un quelconque pouvoir de la rue. La rue, c’est le règne de l’émotion en fusion, de l’action grégaire, donc de la démagogie facile et du populisme à bon marché. Tout le contraire de ce qu’il faut pour un débat serein, profond, policé. Parce que la rue se vide vite de réflexion, se lasse vite de méditation, se fatigue vite de concentration. De quel côté de la rue nous situons-nous ?
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 29 mai 2009
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