La charte de l’ONU, adoptée en 1945, constitue l’instrument juridique fondateur du nouvel ordre de paix et de sécurité sur le plan international. En vertu de cette charte, les Etats s’engagent à agir tant individuellement qu’en coopération avec l’ONU pour la sauvegarde des droits de l’homme partout dans le monde. De plus, le conseil de sécurité, organe politique de l’organisation mondiale, a la lourde responsabilité de prendre toutes les dispositions requises pour assurer la paix et la sécurité internationale.
Que constatons nous en fait s’agissant de la question du Darfour ? Après avoir tergiversé pendant longtemps, le conseil a déféré à la cour pénale internationale la situation profondément tragique qui prévaut dans cette région du Soudan par la résolution 1593. Les amis de ce pays, la Russie et notamment la Chine ont gelé leur droit de véto en raison du caractère extrêmement troublant des faits constatés, et aussi, pour ne pas être taxées d’inhumanité par la communauté internationale. Agissant conformément à cette résolution parfaitement légale, parce que fondée sur le chapitre VII de la charte et le traité fondateur de la cour pénale internationale, la CPI a émis d’abord deux mandats d’arrêt contre deux personnalités soudanaises, et un troisième concernant le président soudanais lui-même pour crimes de droit international. Aucun de ces mandats n’a été exécuté, parce que les autorités soudanaises n’ont pas cru devoir coopérer avec la cour, invoquant de façon aberrante que le Soudan n’a pas ratifié le traité de Rome du 17 Juillet 1998, alors qu’il est de notoriété publique que, les décisions du conseil de sécurité fondées sur le chapitre VII de la charte, sont opposables à tous les Etats membres de l’ONU. C’est en raison de cette opposabilité que l’organe politique a demandé aux Etats de coopérer avec la cour. Dans la résolution 1593, il rappelle aux Etats parties au statut de Rome leur obligation générale de coopérer, et exhorte les autres à faire de même. Quant à ceux-ci, la résolution devrait être plus ferme, car une exhortation n’a pas valeur de rappel d’une obligation juridique.
Depuis le 04 mars 2009, la CPI fait l’objet d’attaques malveillantes et de critiques acerbes par l’union africaine et la ligue arabe, pendant que le président soudanais sort comme il veut de son territoire, sans être inquiété, donnant ainsi l’impression qu’il défie la CPI. Défie-t-il réellement la jeune juridiction pénale internationale ? Je crois que non. C’est plutôt le conseil de sécurité qu’il défie, un défi fondé sur des amitiés et l’irresponsabilité notoire des Etats qui ont une perception absurde de la CPI, et sur le fait que d’autres, sachant bien ce que c’est que la jeune juridiction pénale internationale, préfèrent faire les zélés de manière expresse pour des intérêts à long terme, alors qu’ils ont ratifié le statut de Rome de juillet 1998. Tout le monde sait que la CPI n’a pas de force coercitive. Elle n’a ni police ni armée. La cible du défi de Omar El Béchir est plutôt le conseil de sécurité, bien qu’il soit un organe politique, ayant une capacité d’intervention appropriée selon des dispositions pertinentes de la charte. Il lui appartient de le relever au nom des victimes du Darfour. Le conseil de sécurité a le devoir, le pouvoir de le faire pour ne pas faillir à sa mission de protection de la dignité humaine et de maintien de la paix à travers le monde. Ces deux concepts étant menacés au soudan, il lui appartient d’adopter des mesures véritablement contraignantes pour les autorités soudanaises et le reste de la communauté internationale. Ces autorités donnent malencontreusement l’impression que le conseil de sécurité a déféré la question du Darfour à la jeune juridiction pénale internationale pour rien. Cet organe politique doit montrer sa raison d’être toutes les fois qu’il y a une tragédie humanitaire où que ce soit dans le monde. Ce serait raisonnable de sa part de transcender les intérêts stratégiques et géopolitiques pour que justice soit pleinement rendue aux victimes du Darfour. Il lui incombe de s’efforcer de montrer que la souveraineté des Etats n’est pas un rempart dans le domaine de la répression des crimes internationaux, et que c’est bien pour cette raison qu’il a aidé à la tenue à Rome de la conférence diplomatique qui a adopté le traité fondateur de la CPI. Le conseil de sécurité est tenu d’agir de telle manière que les organisations comme l’union africaine et la ligue arabe qui ont des comportements partisans et éhontés au sujet de cette question du Darfour ne l’emportent pas sur lui. Il importe que l’organe politique de décision qu’il est, prouve que force doit rester à la loi et que personne n’est autorisé à la transgresser impunément quelle que soit sa qualité officielle. Il s’agit pour lui de relever le défi que lui lance Omar El Béchir en montrant que l’Etat de droit international s’impose à tous de manière égale.
C’est une question de responsabilité et de bon sens en ce début de siècle. A l’ordre ancien, il faut substituer un ordre nouveau pour la paix et la sécurité de chacun et de tous. La crédibilité de l’ONU à travers le conseil de sécurité est en jeu. L’organisation mondiale, créée en 1945, est tenue de se donner les moyens d’affirmer son autorité partout dans le monde, surtout s’agissant du règlement des crises humanitaires comme celle du Darfour. Ce serait convenant que le conseil de sécurité ne se laisse pas distraire par des organisations régionales rompues au tapage et à la désinformation qui constituent l’antinomie de la raison.
Par Jean-Baptiste GNONHOUE Président de la coalition béninoise pour la cour pénale internationale