Les analystes et autres spécialistes assermentés n’en reviennent pas : comment le gouvernement Yayi a-t-il pu laisser prospérer la bête immonde de la corruption sans qu’aucun tocsin n’ait donné l’alerte ? Comment se fait-il que les chantres de la lutte contre la mauvaise gestion aient pu mordre avec des dents – pourtant censées être de sagesse – les rares morceaux de viande qui garnissaient la marmite ?
Tandis que les thuriféraires du régime reprennent à coups de communiqués les résultats du dernier Conseil des Ministres, félicitant leur champion d’avoir autorisé la publication des audits et la sanction des responsables présumés, les opposants se frottent les mains, trouvant dans cet événement du maïs à faire moudre à leurs moulins passablement inactifs. La société civile, elle, continue de se gratter la tête, se demandant si le « changement » ait pu changer au point que rien, même jusque dans les habitudes les plus retorses, n’ait véritablement changé.
Et pourtant, les signes avant-coureurs de cette dérive étaient perceptibles. Bruno Amoussou avait parlé, qu’on s’en souvienne, des louches qui se promèneraient dans la cuisine du changement et qui prendraient, à elles toutes seules, les parts du lion ou de l’éléphant. Il avait même ajouté que parmi les « bouffeurs » il s’en trouverait qui priaient pour que le Bon Dieu leur attribue une troisième main afin que la mangeaille soit boulimique.
Mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas le fait qu’il y ait détournement, que des malversations soient réelles avec tous les fondamentaux du genre (fausses factures, surfacturation, marchés passés de gré à gré…) ; ce qui m’intéresse, c’est l’attitude du régime devant ces scandales. Une attitude de « jamais responsable, de jamais coupable », dictée par une posture toute yayienne, depuis que le vent de l’Histoire a poussé le natif de Tchaourou dans les hamacs de la Présidence de la République.
Car Yayi Boni est constant dans cette posture. Si son attitude n’emprunte pas la forme du poncepilatisme, cela ressemble à du messianisme. En effet, auréolé par les clameurs de ses partisans qui lui chantent à longueur de journée que le pouvoir est divin, le président croit qu’il est sorti de la cuisse de Jupiter et que l’infaillibilité lui est totalement due. Les exemples ? Légion.
En 2006, aux lendemains de son élection, le docteur avait laissé à son ministre du commerce via le Conseil des Ministres, l’initiative de prendre un arrêté pour lutter contre la vente du kpayo. Soumanou Moudjahidjou, le bien nommé, avait alors donné quinze jours aux infâmes vendeurs de débarrasser les trottoirs de leur présence inflammable en même temps que de leurs activités. Décision aussi irréfléchie que l’âne qui se surprend dans la peau du cheval et qui veut hennir comme un étalon. Devant le tollé soulevé par cette mesure, Yayi s’était rétracté, rejetant le tort sur son ministre qu’il cribla d’anathèmes: «je n’ai jamais été au courant », avait-il larmoyé.
Avant cette affaire, ce furent les intrants agricoles qui avaient mobilisé l’opinion. Les opérateurs du secteur avaient hurlé au scandale quand le gouvernement avait lancé un appel d’offre limité aux importateurs de ces produits. Face au lever de sagaies des autres membres de la corporation, le docteur avait dû revenir sur terre, en changeant la décision, estimant coupable son ministre. « C’est Dossoumon, l’incompétent » avaient fait chorus les conseillers techniques au bavardage de la Présidence.
Mais la méthode ne changea guère. En 2007 et 2008, les mêmes décisions précipitées prises au Conseil des Ministres furent accompagnées par les dénégations du président lorsque la réaction de la rue se fit agressive. Et que dire de l’avant dernier cas qui fait état de la « légèreté »de Soulé Lawani coupable avec Kessilé Tchalla d’avoir autorisé le paiement des primes aux personnels de la santé ? Une décision pourtant examinée et adoptée au Conseil des Ministres depuis plus d’un an !
Un ami écrivain togolais me disait : « le pire pour un dirigeant, c’est de croire en ses propres mensonges ». Le régime du Changement est-il si frileux, si fragile qu’il a besoin, pour évacuer la panique provoquée par sa mauvaise gouvernance, de se fabriquer, à chaque fois, un bouc émissaire ? Pourquoi s’inventer une fiction à chaque pas trébuché ? La peur de la responsabilité est-elle devenue si rédhibitoire ? A ce vent, on pourra accuser facilement un caillou d’avoir fait tomber un baobab.
En tout cas, personne ne peut faire croire aux Béninois que leur président, qui a développé ces derniers temps la contrôlite aigue, puisse prétendre n’avoir pas été au courant des dossiers pilotés par ses collaborateurs immédiats. Boni Yayi, qui veut tout régenter, depuis la présidence jusqu’au dernier hameau du pays, ne peut convaincre personne que des décisions qui se prennent au cœur de l’Etat lui soient étrangères. A moins que ce soit de l’irresponsabilité. Dans tous les cas, la République est en danger.
Florent Couao-Zotti