L’art d’être injustement juste

L’égalité est un beau mot. Elle est aussi, et encore plus, un beau principe. L’égalité parfaite est dans la quantité, dans la dimension, dans la nature, dans la qualité et dans la valeur des êtres et des choses comparés. Pour les êtres humains, et dans nos sociétés démocratiques, l’égalité réside dans le fait qu’ils sont égaux devant la loi, qu’ils jouissent des mêmes droits. Voilà pour le principe. Dans les faits, les politiques de développement que nous élaborons, les stratégies dont nous les assortissons ont besoin quelquefois que l’égalité soit bousculée, secouée, voire niée en son principe pour créer, à la fin et dans les faits, les conditions d’une plus grande égalité.

Quand on affirme par exemple que les êtres humains sont égaux devant la loi, alors qu’ils ne le sont pas ou qu’ils tardent à l’être effectivement, il vaut mieux bousculer le principe de l’égalité, lui tordre le cou s’il le faut, pour opérationnaliser l’égalité dans les faits. Trois catégories de citoyens, dans notre société, méritent ce traitement privilégié.

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Il y a d’abord la femme. Inutile de rappeler les obstacles sans nombre qui se dressent sur le chemin de son émancipation, de son affirmation et de son autoréalisation, dans le Bénin d’aujourd’hui. Tant qu’il en sera ainsi, nous en resterons à nos vœux pieux et à nos pétitions de principe. Et la constitution peut continuer de clamer et de proclamer le principe de l’égalité.

La seule manière de mettre les faits en conformité avec l’esprit et la lettre de la constitution, c’est de bousculer le principe de l’égalité en prenant le parti d’un dérèglement du jeu en faveur de la femme. Cela s’appelle de la discrimination positive. C’est comme si nous organisions un match de football entre une équipe d’hommes et une équipe de femmes. Compte tenu du déséquilibre flagrant entre les deux équipes, on gratifie d’une avance de cinq buts l’équipe féminine. Une avance compensatoire qui, à défaut de donner à celle-ci le gain du match, l’aide à s’en sortir avec un score honorable. Cela veut dire que nous ne devons pas renoncer au principe de l’égalité ; que nous ne devons pas non plus rester indifférents ou inactifs face aux inégalités ; que nous devons agir sur celles-ci dans le noble dessein de restaurer et de célébrer l’égalité.

Il y a ensuite les opérateurs économiques. Il faut croire que l’expression « partenariat public/privé » n’est pas qu’un simple slogan à la mode. En tout cas, il n’est pas dans l’intérêt de l’Etat béninois d’entrer en partenariat avec un secteur privé faible, sans assise financière forte. D’où la nécessité pour l’Etat et dans l’intérêt de l’Etat, de savoir donner le coup de pouce nécessaire à l’émergence et à l’affirmation d’opérateurs économiques nationaux capables de résister avantageusement dans la guerre transnationale de la concurrence.
Disposer d’un secteur privé fort renforce l’Etat et fait gagner le Bénin. Mais cela n’arrive pas tout seul, miraculeusement ou par enchantement. Une politique volontariste, délibérée doit y aider. Nous avons mis dix ans à dépenser 16 milliards pour construire le Stade Charles De Gaulle de Porto-Novo, réceptionné, au bout du compte, dans des conditions problématiques. Une chose est sûre, le Bénin, dans cette affaire, est perdant sur toute la ligne.

Aurions-nous eu le même résultat si, dès le départ, nous avions pensé à un montage financier et technique qui aurait consacré, autour de cet ouvrage, un partenariat public/privé ? Nous aurions pu dire la même chose de toutes nos unités de production privatisées ou en attente d’être privatisées. La cession récente à un privé d’un terminal au port de Cotonou aurait dû consacrer, comme adjudicataire, un consortium, c’est-à-dire un groupement d’entreprises, dont des entreprises privées béninoises. Plutôt que de laisser Bolloré jouer en solo. Les grandes puissances, gardiens intraitables d’un libéralisme pur et dur, font du protectionnisme quand leurs intérêts l’exigent. A moins qu’on veuille nous faire croire que les intérêts du Bénin ne sont mieux gérés qu’en des mains étrangères ou qu’aux bons soins des autres.

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Il y a, enfin, les jeunes. On ne peut pas continuer de dire qu’ils sont l’avenir de nos pays et manquer de les compter au rang de nos priorités. Non seulement par rapport aux investissements nécessaires pour les instruire, mais à ceux, matériels et immatériels indispensables pour les éduquer. Des diplômés sans emploi, voilà qui devrait empêcher les membres d’un gouvernement, tous départements confondus, de dormir. Si les jeunes, qui sont l’avenir, sont au chômage, c’est l’avenir qui risque bien d’être en panne. En tout cas, nous avons mission de faire de nos jeunes des êtres accomplis, attachés à des valeurs qu’ils savent défendre et illustrer, des citoyens qui ont une haute idée d’eux-mêmes, des autres, de leur pays. C’est finalement Chateaubriand qui a raison : « Toute révolution, écrit-il, qui n’est pas accomplie dans les mœurs et dans les idées échoue »
Jérôme Carlos

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