On ne doit pas décourager les bonnes volontés. Et nous croyons que Joseph Ahanhanzo Glèlè, ministre de la Réforme administrative et institutionnelle, appartient au cercle restreint de gens disponibles pour servir. Joseph Ahanhanzo Glèlè constate que le retard est l’un de nos péchés mignons ; qu’il coûte à l’Etat et chaque année, la bagatelle de 75 milliards Cfa. Aussi décide-t-il de lancer, ces jours-ci, une campagne de sensibilisation new look.
Le ministre s’est porté à utiliser à fond les nouvelles technologies en matière de communication. Le texto ou le SMS est à l’honneur. Il fait crépiter nos téléphones portables avec des messages engagés, signés du ministre. Nous sommes invités à être à l’heure à notre travail. Nous sommes placés devant nos responsabilités citoyennes, le retard et le développement ne faisant pas bon ménage.
Chapeau pour la modernité. Le téléphone portable qui a depuis pris pied et racine dans notre vie de tous les jours, compte au nombre de ses nombreux usages l’éveil des consciences. Et Joseph Ahanhanzo Glèlè a su utiliser ce créneau. Tant et si bien qu’il a franchi la ligne blanche. Trop de viande a malheureusement gâté la sauce. Et nous en avons eu notre claque avec des messages à la queue leu leu qui se télescopaient, jour après jour, sur nos téléphones. Le ministre, qui est un virtuose de la langue fon, doit le savoir « Kléhoun wê énonnon bonon gnon ».
Les messages du ministre n’avaient pas de destinataires précisément ciblés. A partir de la liste des abonnés à un réseau GSM, on s’est livré en aveugle au plaisir de toucher qui on ne sait. A qui s’adresse-t-on ? Quelles sont les conditions d’accueil du message ? Quel impact possible du message sur ce destinataire aussi invisible qu’inconnu ? Pour que cette opération ne tourne pas en un simple éclat moderniste, il serait bon de la faire suivre d’une enquête sur son efficacité. Pour guider et orienter utilement les prochaines initiatives du genre.
Le souci d’innover de Joseph Ahanhanzo Glèlè, nous ne le comprenons que bien. Il faut sortir, en effet, des sentiers battus avec des séminaires, des ateliers ponctués des mêmes discours, des mêmes recommandations et résolutions. On parle. On s’entend parler. Mais rien ne bouge. La vraie innovation, en matière de retard, ne serait-elle pas de commencer par renouveler notre regard sur le phénomène ?
Car on peut exemplairement afficher « zéro retard », être d’une ponctualité d’amoureux à son travail, mais retarder le travail. Parce qu’on est distrait et dissipé. Parce qu’on perd du temps à faire ce qu’on doit. Parce qu’on ne montre pas assez d’enthousiasme à le faire. D’où la nécessité de dépasser une approche mécanique et comptable de la ponctualité et du retard. Nous devons interroger nos modes de recrutement des agents de l’administration, quand on pense aux interférences politiciennes, claniques et autres qui faussent le jeu et font perdre de vue les enjeux. Nous devons, également, interroger les aptitudes, la capacité des agents en poste à être à la hauteur d’une mission de service public. Nous devons, enfin, interroger notre système de contrôle de ses agents. Soit pour récompenser l’effort, quand les bons résultats sont au rendez-vous. Soit pour sanctionner le laxisme, quand le sens de l’initiative et des responsabilités vient à faire défaut.
La semaine dernière, le responsable du syndicat des policiers révélait devant le chef de l’Etat que le gros de la troupe de la Police nationale, est encore à un salaire dérisoire de 37 500 francs. Et il y a gros à parier que la police ne constitue pas un cas isolé au sein de notre Fonction publique. S’il devait en être ainsi, pourrait-on, honnêtement, traiter de la question du retard en fermant les yeux sur les conditions de vie et de travail des retardataires ? Un minimum de bien être sera toujours nécessaire à la pratique de la vertu. La ponctualité n’est pas à exclure de ce champ de réalités.
Dans le même ordre d’idée, qui peut prétendre à la ponctualité, même animé de toute la bonne volonté du monde, avec un système de transports des plus aléatoires ? A l’impératif formel d’être ponctuel à son lieu de travail devrait répondre un système de transport public formel par la desserte de plusieurs destinations, à des temps de passage formellement établis. Ce que la débrouillardise du système de taxi moto du brave « Zémidjan » n’est pas et n’offre pas. Aussi, devons-nous tenir compte, dans nos réflexions sur le retard, de cette faille entre la demande formelle de ponctualité et l’offre plutôt informelle de nos systèmes de transport.
Et pour camper, grandeur nature, les maux qui accablent le citoyen lambda, nous nous sommes engagés à construire la double voie Godomey- Akassato sans voie de contournement. Franchement, si l’Etat voulait ainsi nous gratifier d’une prime au retard, avouons qu’il ne s’y prendrait pas autrement. L’art parfait de vouloir une chose et son contraire.
Jérôme Carlos
La chroniquedu 13 août 2009