Lettre ouverte à son Excellence M. le Pr. de la République

« Un des grands problème de l’Afrique c’est la lutte pour un échange culturel équitable. Pour cela il nous faut infrastructurer nos cultures, une culture sans base matérielle et logistique n’est que vent qui passe». Joseph Ki-Zerbo

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat,
Le 1er Août prochain, notre pays fêtera le 49ème anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale. C’est cette occasion que la Ligue Africaine des Professionnels de Théâtre (LAPRO THEATRE) – Section Bénin a choisi pour vous adresser, en toute humilité, cette lettre dont l’ambition, au-delà d’un simple état des lieux de la Culture au Bénin, est d’induire une nouvelle vision de la culture dans notre  pays. Un pays qui doit hisser la Culture au rang des priorités de l’Etat. Car s’il existe une recette qui puisse nous sortir, sortir notre pays de son état de pays pauvre, sous-développé, très endetté, c’est d’abord et avant tout, notre culture. C’est une vérité éternelle que sans culture, pas de développement. 

Excellence Monsieur le Président de la République,
Vous conviendrez avec nous que l’occasion de ce 49ème anniversaire est indiquée pour jeter un regard critique sur le chemin parcouru pour voir ce qui est fait, évaluer ce qui reste à faire pour mieux se projeter dans l’avenir. C’est dans cette optique que nous nous intéressons à l’aspect culturel de ce bilan qui interpelle chacun et tous, mais surtout nous, qui avons décidé d’être des soldats de la culture, les gardiens du temple.

Excellence Monsieur le Président de la République,
Selon le dictionnaire Larousse, la  Culture est l’ensemble des structures sociales et des manifestations artistiques, religieuses, intellectuelles qui définissent un groupe, une société, par rapport à une autre. Mais c’est sur la définition proposée par l’UNESCO que nous voudrions nous appuyer pour dire que : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. ».

  Il apparaît que la culture, c’est ce qui donne vie et rythme le quotidien; elle est constitutive du développement et doit représenter un atout majeur pour les populations. Evolutive et dynamique, la culture est facteur d’union et de communion entre divers groupes. Elle est le fondement et l’aboutissement de l’éducation et est un tremplin pour le développement économique. C’est grâce à elle que l’Afrique ne se laissera plus aller à s’aliéner à l’école des autres ou à consommer, de manière passive, des produits venus d’ailleurs et réaliser une production autonome de biens culturels, d’oeuvres de beauté.

Excellence Monsieur le Président de la République,
C’est une question trop sérieuse. Ce n’est ni de la poésie, encore moins une simple banalité que de dire que rien de bien, de beau ou de durable n’est possible sans la culture. Elle est si importante,  aussi bien pour l’individu que pour la société, qu’elle fait dire à André Malraux, éminent homme de culture français, écrivain et ancien Ministre de la Culture que «  La culture, c’est ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». A ce titre, elle mérite qu’on y prête plus d’attention et de soin. Mais chez nous, la culture a été toujours été le parent pauvre, et une part congrue lui a toujours été réservée dans les plans de développement. C’est pourquoi, il convient de vous rendre hommage et de rendre hommage à deux importantes décisions que vous et votre gouvernement avez prises. La première, c’est la définition de l’axe culture, artisanat et tourisme comme l’un des 05 (cinq) pôles de développement de notre pays. La deuxième concerne l’augmentation du Fonds d’Aide à la Culture qui est passé de 234 000 000 FCFA à 1 milliard, même s’il y a à dire et redire sur sa gestion. Nous saluons ces deux actes de grande portée. Seulement quand on a pris  ces décisions, quand on a initié ces chantiers mémorables, on ne peut s’arrêter en si bon chemin. Au contraire, on a le devoir d’aller plus loin. C’est ce que nous sommes venus solliciter de vous. Oui, aller plus loin, et rendre la vie dure aux habitudes qui empêchent le progrès dans l’administration et la gestion de la Culture. Car la Culture, ce n’est pas ce qui reste à faire quand on a tout fait. Au contraire, il nous faut être à l’avant-garde dans ce secteur pour espérer que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Excellence monsieur le Président de la République,
Quelle est la place de la culture dans les plans de développement de notre pays ? Quelle est la part de la culture dans le projet de faire de notre pays, un pays émergent ? Quelles missions pour le ministère et les ministres de la culture ?  Dans notre entendement, le ministère de la culture, est un ministère sensible car il est le lieu de tous les enjeux : économiques, symboliques et politiques. D’après les statistiques de l’UNESCO et de la CNUCED, le commerce international des biens culturels constitue l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie mondiale. En moins de vingt (20) ans (entre 1980 et 1998) les échanges internationaux de biens culturels ont été multipliés par cinq (05). Les industries culturelles contribuèrent au PNB mondial à hauteur de 7% dans le monde et 3% dans les Pays en Voie de Développement. Aux Etats-Unis, elles contribuent à 12% du PIB et à 9% de la création d’emplois ; se positionnant de fait comme leur 1er produit d’exportation. Selon un rapport de la CNUCED réalisée en 2001, le produit des industries musicales dans les Pays les Moins Avancés a atteint 50 Milliards de Dollars par an ; soit bien plus que les 17 Milliards que leur rapporte le café, les 20 Milliards du Coton, les 21 Milliards du Tabac et les 27 Milliards de la Banane. D’un autre point de vue, la société productrice de culture se renvoie à elle-même son image. Celle-ci est projetée sur l’extérieur dans une relation de rencontre, de partage ou de rapports du dominant au dominé,  allusion faite au colonialisme. D’où la nécessité de construire une culture enracinée, forte et épanouissante pour ne pas nous laisser submerger ou coloniser à nouveau. Au regard de ce qui précède, le ministère de la culture devrait être un super ministère. Un ministère d’Etat, le tout premier des ministères si nous voulons accélérer notre marche vers le développement de façon rapide et durable. Mais quel état des lieux peut-on faire de notre culture et du ministère qui a la charge de la préserver et de la promouvoir ?

Excellence Monsieur le Président de la République,
La culture telle qu’elle émerge de l’état des lieux qu’on peut sommairement en dresser, est une culture baladeuse, “sans domicile fixe“ et toujours en quête d’arrimage. En un demi siècle, la culture a toujours été considérée comme cet enfant malade dont personne ne veut et à qui l’on refuse les soins. Elle a été successivement associée à presque tous les départements ministériels qui existent : éducation nationale, sports,  jeunesse. Elle est devenue ministère de la Culture populaire et a été associée à l’alphabétisation. Redevenue ministère de la Culture au début des années 1990, la culture a été arrimée à la communication ; à l’artisanat et au Tourisme. Depuis 2006, on est retourné à la formule : Culture, Jeunesse, Sports et Loisirs, puis Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme. Et enfin depuis Octobre 2008, nous parlons du Ministère de la Culture de l’Alphabétisation, de la Promotion des Langues Nationales. Il en est de même du siège de ce ministère, c’est-à-dire des bâtiments qui abritent ce ministère. Chaque remaniement ministériel est l’occasion pour notre culture de déménager, de se balader, de migrer. Comment ce qui constitue notre socle puisse être aussi mouvant, sans point d’encrage sérieux ? Dans ces conditions comment pouvons-nous espérer nous développer ?  Le moins qu’on puisse dire aujourd’hui est que nous avons pris un sérieux retard dans ce secteur et il urge de faire quelque chose. Et, nous le devons. A ce jour, le Bénin ne dispose pas à ce jour d’une vraie salle de spectacles. Il n’y a pas une politique de formation dans un secteur aussi important. Comment expliquer l’état de notre patrimoine culturel qui sent l’abandon et la négligence à l’heure où certaines nations en font une source importante de fierté et de devise ? Quelle législation est mise en place pour l’avènement de véritables industries culturelles ? Quel est le statut de nos artistes qui chaque jour se battent pour inscrire en lettre d’or notre génie créateur dans le concert des nations ? Comment vivent-ils et comment travaillent-ils ? Quel est aujourd’hui l’état de notre théâtre, de notre musique, de notre littérature, de notre cinéma? Comment la culture est-elle financée aujourd’hui dans notre pays? Le système est-il équitable car le Fonds d’Aide à la Culture fait partie des questions qui fâchent et qui divisent ? 

Excellence Monsieur le Président de la République,
Pendant que nous traînons les pas, un pays comme, le Sénégal a inauguré le Théâtre National Daniel Sorano depuis 1965, sous le président Léopold Sédar Senghor. Il s’agit d’un édifice moderne dans sa conception architecturale et sa scénographie. Il répond aux mêmes normes que les théâtres de type classique  avec une scène à l’italienne. Les dépendances comprennent des loges, des ateliers  de conception de costumes, une réserve à décors,  une salle de répétitions, des bureaux, un hall d’exposition et un bar. Il dispose de plus 1000 places. Il a été réfectionné il y a quatre ou cinq ans et les travaux ont coûté quelques milliards. Dans la même veine, Dakar, la capitale dispose de plusieurs autres espaces culturels comme la Maison de la culture Douta Seck, le Centre Culturel Blaise SENGHOR et autres. A Cotonou, c’est le désert plat. C’est inacceptable. Tout récemment le Président Abdoulaye WADE a lancé le concept des Très Grands Projets (TGP). Le concept de Très Grands Projets (TGP) se résume à un ensemble de structures renforcées. Parmi ces infrastructures, on peut citer, un nouveau théâtre national qui sera construit par les chinois. Toujours dans le cadre de ce que le président WADE appelle les Très Grands Projets (TGP), il y a un parc culturel qui va abriter le grand théâtre et le Musée des civilisations noires. A ce niveau, il y sera créé le musée d’art contemporain pour le patrimoine national et, peut-être le patrimoine africain. Il y a aussi le musée des arts africains, Une école d’architecture, La bibliothèque nationale avec les archives nationales au sous sol, la maison de la musique avec une place où il y aurait la Promenade des artistes. Il y a enfin le grand projet du Monument de la renaissance  qui va symboliser vraiment l’ensemble de toutes les idées panafricaines du président. Ce sera la statue la plus haute du monde avec 150m. C’est cela une vision et une volonté de prospérité culturelle. Et ce pays s’apprête à organiser avec beaucoup d’ambition et de moyens  la 3ème édition du Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN III).  C’est là un exemple d’un pays qui a compris cet impératif du professeur  Joseph Ki-Zerbo: « Un des grands problèmes de l’Afrique c’est la lutte pour un échange culturel équitable. Pour cela il nous faut infrastructurer nos cultures, une culture sans base matérielle et logistique n’est que vent qui passe.». La question des infrastructures de qualité et adaptées est essentielle pour le rayonnement de nos arts et de notre culture. Et tout ça, nous le pouvons, sous votre houlette. Nous sommes capable de faire mieux. Permettez-nous de rêver, Monsieur le Président de la République. Aujourd’hui, au Bénin, l’économie des arts de la culture devrait nous préoccuper. Elle n’est pas du tout ce qu’elle devrait être. Les lieux de diffusion de spectacles et des œuvres artistiques font cruellement défaut. Il n’existe pas de pôles de circulation au plan national. Les espaces culturels sont inadaptés s’ils ne sont existants. Le comble,  les rares initiatives qui peuvent promouvoir l’art et la culture sont en souffrance. Par exemple, le projet CASVI de réhabilitation du siège du FITHEB (Ex ciné VOG) dure depuis plus de 7 ans et le bout du tunnel n’est pas pour demain, privant ainsi les acteurs d’un espace de travail et d’éclosion de talents. C’est un scandale et il faut faire quelque chose. La construction d’un théâtre national évoqué depuis plusieurs années demeure un rêve sinon une incantation. Des études de faisabilité et techniques ont été faites. Un site a été retenu (à côté de la Caisse Nationale de la sécurité Sociale). Pourquoi, les travaux ne démarrent-ils pas ? Il est inadmissible que bientôt 50 ans après les indépendances, que notre pays ne dispose pas d’un Théâtre National, véritable sanctuaire pour notre culture. Il est intolérable que nous n’ayons pas un véritable espace culturel, ne serait-ce qu’un par ancien département. Or, dans un pays qui se respecte, chaque municipalité doit disposer d’un espace culturel propre et appuyer les initiatives culturelles locales. Il urge de faire quelque chose et nous voudrions compter sur vous pour que ça change dans ce secteur. 

Excellence Monsieur le Président de la République,
En conclusion, on peut dire que le bilan dans le domaine culturel n’est pas reluisant. Et nous devons changer de fusil d’épaule si nous voulons amorcer le chemin du développement. Et avec vous,  nous voudrions rêver. Nous voudrions voir réalisées sous votre impulsion, des infrastructures culturelles de rêve, comme c’est le cas ailleurs. Nous voudrions qu’une vision claire et ambitieuse soit élaborée. Nous voudrions que le financement de la culture soit repensé fondamentalement pour que ce soit un financement qui développe le secteur contrairement à ce qui se fait aujourd’hui. Nous voulons de la formation, nous voulons des lois pour protéger et développer le secteur et ses acteurs. Nous voudrions rêver que des grands chantiers, de grands travaux dans le domaine culturel seront lancés à l’occasion des 50 ans d’indépendances de notre pays.  Car, nous l’avons vu plus haut, le secteur de la culture peut être une véritable source de prospérité, d’autant qu’il peut rapporter plus que le Coton, la tabac, la banane, etc.

Excellence Monsieur le Président de la République,
après les autres solutions, il est maintenant temps pour nous d’essayer de placer la culture au cœur de nos plans de développement. C’est un pari qui est à notre portée. Nous pouvons le réussir! Oui, nous le pouvons !

Osséni SOUBEROU
Coordonnateur de la Ligue Africaine des Professionnels de Théâtre (LAPRO THEATRE)

Laisser un commentaire