/food/alao.jpg » hspace= »6″ alt= »Me Alao » title= »Me Alao » » />L’éclairage de Me Sadikou Alao
Le vent de la privatisation souffle à nouveau sur les entreprises d’Etat au Bénin. Vu l’expérience désastreuse connue par le passé et dans les pays voisins, Me Alao, Avocat et ancien conseiller juridique de la Bad, apporte sa contribution pour éclairer les Béninois sur les procédures pouvant permettre à l’Etat de tirer un plus grand profit de cette opération.
(Lire l’intégralité de son exposé).
PRIVATISER AUTREMENT EN AFRIQUE
Il est difficile de comprendre, pour tous ceux qui suivent l’actualité économique et financière mondiale récente, qu’en Afrique, privatiser une entreprise d’Etat continue de signifier vendre l’entreprise publique à des privés étrangers.
La présente contribution voudrait non seulement rendre la privatisation accessible au plus grand nombre, mais aussi faciliter l’adhésion populaire par l’intéressement du peuple à des privatisations qui ne rimeraient pas avec le bradage des fleurons de l’économie nationale. Cette contribution se fera à travers des réponses simples, concises et parfois inachevées à des questions complexes en apparence.
I- QUE PRIVATISE T-ON ?
Certes, on privatise ce qui jusque là appartenait à l’Etat, donc à la Nation parce que publique, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un service (une prestation).
Deux types d’entreprises publiques devraient être distinguées, à savoir :
– Les Entreprises créées par l’Etat ou prestations assurées par l’Etat
Pour répondre à des besoins sociaux ou régaliens et quelques fois hérités de la colonisation qui elle-même répondait aux mêmes besoins, l’Etat a créé des entreprises de services publics gérés par ses agents et offrant des prestations gratuites ou à titre onéreux (Exemples : La Poste des Télécommunications, les Régies et Sociétés d’Eau et d’Electricité, les entreprises agro économiques, les Hôpitaux, les Ecoles, les Universités, la Sécurité, les Routes, les Douanes les Prisons etc.) Pour peu qu’on réfléchisse, tout ou presque peut être privatisé.
– Les Entreprises nationalisées
A la faveur de certaines poussées idéologiques des années 60 à 80, dans de nombreux pays africains, des entreprises ont été «arrachées» aux opérateurs privés moyennant indemnisations les plus souvent, même a posteriori (Exemple : les Mines, les Hôtels, les Banques, les Assurances etc.)
II- POURQUOI PRIVATISE T-ON ?
a) Les grands principes
i) Le retour à la privatisation trouve sa justification première dans les excès des nationalisations où l’Etat devenait commerçant dans des économies dites socialisantes pour faire face à toutes sortes de défis ; alors que tout le monde est conscient de ce que l’Etat ne peut être qu’un mauvais commerçant.
ii) La lecture que les Institutions de Breton Woods ont eue de la crise économique des années 80 en Afrique, c’est la faillite des Etats elle-même engendrée par la faillite des Entreprises Publiques subventionnées par les Etats à coups d’emprunts.
iii) La mauvaise gestion et la mauvaise gouvernance étatique ont consolidé la nécessité de retourner à une gestion privée des entreprises d’Etat. Ce retour à la gestion privée n’aurait pas dû être géré non seulement par l’Etat mais aussi par des fleurons des économies nationales par nécessairement en difficulté (électricité, téléphone, mines etc.)
iv) Les privatisations devraient non seulement arrêter les saignées des budgets nationaux, mais aussi apporter de l’argent frais aux caisses de l’Etat tout en maintenant la continuité de prestations qualitativement élevées avec des partenaires techniques et financiers avisés et compétitifs (en théorie du reste).
b) Forces et faiblesses de la privatisation
i) Forces des Privatisations : Lorsque l’Etat, propriétaire d’un fleuron industriel, social, ou financier nationale est « essoufflé », la privatisation d’une entreprise d’Etat devrait relancer le secteur par l’apport d’investissements nouveaux, de technologies adaptées et de méthodes de gestion appropriées pour répondre aux besoins croissants des usagers.
• L’Etat peut aussi récupérer une partie de ses investissements dans le fleuron à privatiser pour relancer d’autres secteurs économiques et sociaux de la Nation.
• L’Etat, par la privatisation peut se donner une occasion réelle de percevoir des impôts dans le secteur concerné et s’il le veut, stimuler la compétition et le dynamisme du secteur.
• La privatisation donne à l’Etat l’occasion d’exercer une neutralité positive en faveur de ses populations à travers les moyens de contrôle règlementaire qu’elle met en place dans le secteur.
Mais cette présentation idyllique de la privatisation résiste rarement à l’épreuve des réalités socio-économiques de nos pays.
ii) Faiblesses des privatisations
i) Certains dirigeants africains et leurs entourages ont vite découvert dans la privatisation, des «cavernes d’Ali baba». La privatisation de la distribution des hydrocarbures au Bénin, des télécoms et autres dans d’autres pays en sont des illustrations parmi tant d’autres en Afrique. La compétition est plus vive qu’on ne le croit entre les différentes officines qui veulent s’approprier les fruits de ces bradages. La recherche d’un gain facile consiste pour les intermédiaires à faire acheter l’entreprise à un prix inférieur à sa valeur réelle. La différence étant récoltée par les «dirigeants», les intermédiaires et l’acheteur lui-même. Très peu de privatisations ont échappé à ces mauvaises pratiques qui conduisent à payer l’Etat des fois moins de la moitié de la valeur déjà «mal attribuée» à l’entreprise à vendre. Il faut espérer que demain les télécommunications et les entreprises de distribution de l’énergie et de l’eau etc. ne deviennent pas de nouveaux cas de privatisations malsaines.
ii) Par ailleurs, la crise économique et financière actuelle a révélé les limites de l’affaiblissement économique des Etats. Il devient impérieux de consolider économiquement les Etats ; ce qui incline à penser que les privatisations sont passées de mode. L’OCDE en a fait l’amer constat en Europe.
iii) Pourquoi ces faiblesses de la privatisation
La première faiblesse provient de ce que beaucoup de privatisations ne distinguent pas nettement l’entreprise (au sens matériel, intellectuel) de la prestation attendue d’elle (au sens immatériel c’est-à-dire le service)
• Les entités à privatiser se présentent souvent, comme des services administratifs et non comme des Entreprises régies par des statuts et ayant une valeur marchande chiffrée en terme d’actions avec des bilans annuels et des rapports d’audits.
• Les activités devant mener à la privatisation évitent rarement les conflits d’intérêt d’abord entre les dirigeants actuels de l’entreprise et ceux qui choisissent les évaluateurs ou les évaluateurs eux-mêmes et entre ces derniers et les candidats au rachat.
• Nos privatisations se présentent souvent sous la forme d’une cession pure et simple de l’Entreprise sans état d’âme d’une part pour ce que représente le fleuron à céder pour le peuple (en terme de fierté et de continuité des prestations de qualité, à des conditions compétitives) et d’autre part pour les employés qui sont gratifiés de quelques actions symboliques, sans aucune sécurité d’emploi.
• Très peu de privatisations s’occupent du redressement statutaire, administratif, économique et financier de l’entité à privatiser ; ce qui entraîne une vente au rabais de ces entités.
III- QUELLE EST LA FORMULE IDEALE DE PRIVATISATION ?
Après avoir distingué les actifs sains de l’entreprise à privatiser, pour la bonne privatisation d’une entreprise étatique, l’Etat devrait s’intéresser à trois préoccupations fondamentales ; le peuple, l’Etat et la continuité du service.
a) La distinction de l’actif sain
i) En l’absence de tout bilan régulier et crédible de l’entreprise, un audit indépendant s’impose selon la taille de l’entité et sa nature technologique ; cet audit peut être international. Les firmes nationales n’ayant pas souvent les outils appropriés pour évaluer la propriété intellectuelle et les nouvelles technologies, on peut toutefois y remédier en associant les cabinets nationaux à des firmes indépendantes étrangères.
ii) Il sera ensuite nécessaire de bien cerner les impératifs de la prestation attendue et de son évolution compte tenu de l’évolution démographique, technologique, économique et financière pour confectionner des cahiers de charges appropriés.
iii) Le redressement juridique et administratif et l’assainissement sont préalables au secteur ou à l’entreprise à privatiser. Il est important pour bien céder une entreprise de la redresser avec des statuts clairs et une restructuration qui en permettent l’évaluation. L’assainissement social et financier permettra la pérennité de l’activité et leur contrôle a posteriori. Le sort des dettes de l’entreprise étant préalablement réglé, la destination corps sain à céder sera aisée à régler sans oublier la nécessité ou non d’accorder un monopole total ou partiel à l’entreprise et à quelles conditions.
b) Préoccupations fondamentales de la privatisation juste
i) Les intérêts des populations
i) Si l’Etat peut avoir intérêt à se débarrasser d’une entreprise qui lui revient de plus en plus chère, tout en récupérant une partie de ses investissements et percevoir désormais ses impôts, il doit néanmoins s’assurer que le repreneur assurera la continuité des prestations de manière compétitive et qualitativement acceptable. Comment l’Etat peut-il bien assurer ces missions régaliennes s’il s’éloigne totalement de l’entreprise privatisée ?
ii) L’Etat et les populations qui le souhaitent devraient pouvoir être partiellement copropriétaires de l’entreprise cédée en détenant une partie de son capital. L’Etat devrait exercer son contrôle non seulement en tant que souverain mais aussi en tant que copropriétaire même minoritaire de l’entreprise cédée.
– L’Etat doit aussi organiser la mise en place d’un actionnariat populaire en cédant une partie des actions au peuple et si besoin en était aux travailleurs de manière à ce que l’Etat, les populations et les travailleurs soient majoritaires au capital de l’entité privatisée. L’ouverture du capital peut s’étendre au peuple de la sous région pour tenir compte de la nécessaire intégration de nos économies régionales. Cette coopération régionale améliora nos savoir-faire, nos connaissances et la protection à moyen et à long terme de nos économies.
– L’Etat y trouvera son compte, car il aura les liquidités attendues de la cession de l’entreprise, qui aura été cédée à un prix plus proche de sa valeur avec la surveillance populaire et régionale du secteur en plus.
– Le risque du désintéressement momentané des populations à l’achat des actions peut être couvert par les banques commerciales en surliquidité actuellement et qui gagneraient à faire du portage.
iii) Le Racheteur : Par ailleurs, il sera nécessaire que ce dernier soit un partenaire technique et financier révélé par une procédure d’appel d’offre sans complaisance, dont les propositions de développement du secteur devraient être garanties par un établissement bancaire de premier rang.
Fait à Cotonou,
le 30 Juillet 2009
Par Me Sadikou Ayo ALAO
ANCIEN CONSEILLER
JURIDIQUE GENERAL DE LA BAD
Président du GERDDES AFRIQUE
Site du gerddes : www.gerddes.org