Jeu et enjeu de la démocratie

C’est sûr : le pouvoir a toujours et partout quelque chose d’excitant, d’enivrant. C’est ce qui pousse celui qui a du pouvoir ou qui est au pouvoir à en vouloir plus et à s’y accrocher ferme. L’attachement au pouvoir et aux privilèges qui en découlent est profondément humain. Il est de l’ordre naturel des choses. Autant on s’assure de ne point lâcher la proie pour l’ombre, autant on se rassure à l’idée qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Qu’on s’imagine un peu que par le fait du pouvoir un mortel est porté à transcender sa condition humaine. Il est au vrai, pour emboîter le pas au fabuliste « Le phénix des hôtes de ces bois ». On comprend qu’il faut être singulièrement vertueux pour marquer un certain détachement et observer une certaine distance par rapport au pouvoir. Le pouvoir attache autant qu’on s’attache au pouvoir. On n’est pas loin d’une sorte de pacte sacré entre l’homme de pouvoir et le pouvoir. L’un finit par aimer l’autre passionnément et l’autre finit par jeter un charme sur le premier durablement.

Publicité

Tant qu’on dans un régime monarchique dans lequel l’autorité politique réside dans un seul individu qui se réclame du droit divin, parce que estimé directement investi par Dieu, il n’y a pas de problème. Nul ne peut toucher à un pouvoir ainsi sacralisé sans commettre un sacrilège. Dans ces conditions, qui ose toucher à la personne du monarque défie Dieu. Le forfait suprême. On peut ainsi comprendre qu’un monarque règne jusqu’à ce que mort s’en suive.

La démocratie, qu’on dit être le moins mauvais des systèmes politiques, est venu changer la donne. Ici, la voix du peuple se veut la voix de Dieu. Dès lors tout change. Le peuple, détenteur de la souveraineté, délègue son pouvoir à ceux de ses membres qu’il juge apte à le diriger et à l’aider à donner corps à ses rêves. Et tout cela est codifié en des textes fondamentaux, telle la constitution qui définit les règles du jeu, précise les limites extrêmes de ce pouvoir délégué, c’est-à-dire jusqu’où on peut aller trop loin.
Le drame de l’Afrique, depuis que ce continent tente, au tournant des années 90, de rejoindre la caravane des pays démocratiques, est qu’il se ment à lui-même, en se complaisant dans un camouflage malsain, en se travestissant par un maquillage indécent. Elle se donne une enveloppe démocratique pour sauver les apparences et être dans l’air du temps. Mais dans le fond, la plupart de ceux qui la dirigent trouvent plus avantageux et moins stressant d’être des monarques de droit divin. Ils s’assurent ainsi de rester au pouvoir aussi longtemps qu’ils le souhaitent et d’y mourir s’il le faut. Avec une dynastie ainsi érigée, quoi de plus normal que le pouvoir se transmette de père en fils.

Ici, on décide, du jour au lendemain, de suspendre la constitution et d’en écrire une nouvelle. Pour quel motif ? Faire sauter le verrou constitutionnel qui limite le mandat présidentiel dans le temps. Est-on encore en démocratie, dès lors qu’on a accompli l’exploit de changer les règles du jeu au cours du jeu, en se donnant l’avantage de jouer les prolongations au pouvoir sans limitation de temps ? Pourquoi s’encombrer d’élections et de référendums si le monarque a pouvoir de décider de tout et de rien ? Pourquoi appeler à voter ce qui est déjà décidé. Dans ces conditions, la voix du peuple est tout sauf la voix de Dieu.

Publicité

Là, on prend le pouvoir à la faveur d’une situation trouble. On se fait la statue du commandeur, c’est-à-dire l’instrument du destin appelé à faire justice des crimes commis contre un peuple. On a la charge de remettre de l’ordre dans la maison, de nettoyer les écuries d’Augias, de libérer l’espace de la puanteur d’un passé honni, on signe avec le peuple un contrat de confiance, assorti de la promesse ferme de se retirer dès que fini le travail de salubrité publique. On s’est ainsi consacré, par sa parole, arbitre suprême chargé de l’application des nouvelles règles du jeu. Mais subitement, et contre toute attente, l’arbitre s’empare des maillots de l’une des équipes en compétition et entre dans le jeu sans cesser d’être arbitre. C’est la totale.

Ou ce sont les spectateurs qui sont soudainement devenus des mal voyants et qui voient double ou c’est l’arbitre qui prend les spectateurs pour des moutons et qui joue un double jeu.
Plus loin, ce sont quatre présidents, anciens et nouveaux qui se retrouvent au chevet du seul et même peuple dont ils n’ont pas su combler l’attente. La potion magique qu’ils veulent administrer au patient aura-t-elle plus de vertu curative que le remède de cheval qu’il lui avait administré hier ? Le malade, à la merci de son médecin traitant, n’a pas à discuter des prescriptions de ce dernier. Motus, bouche cousue. Il faut se taire et subir. Nous avons failli oublier que nous nous sommes éloigné depuis des terres de la démocratie. Le roi est mort, vive le roi !

Jérôme Carlos

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité