L’adultère n’est plus un délit au Bénin…

© Beboy - Fotolia.comUne décision de la Cour constitutionnelle est passée inaperçue pour n’avoir pas été relayée par la presse. Pourtant, les praticiens du droit (magistrats, avocats et autres associations de défense des droits l’homme etc.) ainsi que les citoyens gagneraient à connaître cette décision historique. Il s’agit de la décision DCC 09-081 du 30 juillet 2009 par laquelle la Haute Juridiction déclare les articles 336 à 339 du Code Pénal en vigueur au Bénin contraires à la Constitution. Ce sont ces dispositions qui incriminent l’adultère dans le droit positif béninois. Comment en est-on arrivé à ce point ?

Le contexte

En février 2007, une brave porto-novienne « ose » traduire un magistrat devant le TPI de Porto-Novo aux fins d’obtenir le divorce. Elle fait état de sévices graves et de maltraitance. Le mari ne daigne pas comparaître, un homme aussi puissant ne se laisse pas entraîner aussi facilement devant la justice de son pays. Mais cela ne l’empêche pas de riposter en traduisant son épouse devant un juge pénal du TPI de Cotonou, plus d’un an après la demande en divorce de celle-ci. Il l’accuse d’avoir commis l’adultère avec un sémillant homme du monde la culture. Alors que la procédure engagée par l’épouse n’avait enregistré aucune audience utile à cause de la politique de la chaise vide adoptée par le défendeur, celle du mari était menée à pas de charge. L’objectif était simple : obtenir un jugement pénal constatant l’adultère de l’épouse et le verser dans le dossier de Porto-Novo afin d’avoir un divorce aux torts exclusifs de Madame.

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Le décor et la méthode

Pour y arriver, le mari ne ressent pas le besoin de comparaître au procès par lequel il compte prouver l’adultère de sa femme. Sans doute, n’en avait-il pas besoin puisqu’il s’était fait représenter par une dizaine d’avocats, et non des moindres. L’épouse, sans revenus fixes, avait contacté l’Association des Femmes Juristes du Bénin et le Wildaf qui l’ont orientée vers une autre brave dame, Maître ALAPINI-GANSOU qui assure sa défense. Celle du présumé complice est assurée par Maître Magloire YANSUNNU.
Il est reproché aux prévenus d’avoir contrevenu aux articles 336 à 339 du Code pénal hérité du colonisateur français pour avoir entretenu des rapports sexuels alors qu’ils étaient unis chacun de son côté par des liens de mariage.
La prévenue et son complice, s’ils étaient convaincus d’adultère, encouraient trois mois au moins et deux ans au plus d’emprisonnement. Cerise sur la peine, le complice sera puni d’une amende de 24.000 F à 480.000 Fcfa.

Habitée par la « peur-panique » d’être condamnée par les collègues de son mari sans que sa culpabilité soit prouvée, l’épouse se présente à l’audience du 17 avril 2009. C’est à cette occasion que Maître Ibrahim SALAMI substituant Maître Reine ALAPINI-GANSOU (Activiste des droits de l’homme et Défenseure des défenseurs des droits de l’homme était retenue par une mission à la Commission Africaine des Droits de l’Homme), soulève une exception d’inconstitutionnalité contre les articles 336 à 339 du Code pénal. Maître YANSUNNU appuie de toutes ses forces et talents cette question préjudicielle qui est renvoyée devant la Cour constitutionnelle.

Il s’agit en l’espèce d’un procès constitutionnel fait aux dispositions du Code pénal dans le cadre d’un procès ordinaire. Les avocats des prévenus reprochaient à ces dispositions légales d’être contraires à la Constitution en ce qu’elles organisent un régime juridique différent selon que l’auteur de l’adultère est un homme ou une femme. Alors que les exceptions sont habituellement utilisées de façon dilatoire par les avocats, la présente permet à la Cour constitutionnelle de rendre une décision historique.

I)UNE EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITE PROSPERE.

L’exception était ainsi articulée : les articles 336 à 339 du Code Pénal de ladite loi (norme contrôlée devant la Cour constitutionnelle) sont contraires au principe d’égalité garanti par les articles 26 de la Constitution, 2 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples d’un triple point de vue : de la constitution de l’infraction, de la poursuite de l’infraction et de la peine encourue.

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A) Une infraction différemment constituée et poursuivie

Alors que l’adultère de la femme peut être constatée à tous endroits, tout adultère du mari n’est pas un délit. L’adultère du mari n’est un délit que dans le cas où il a entretenu une concubine dans la maison conjugale (article 339 du Code Pénal). Ce qui veut dire a contrario que tout adultère commis par le mâle chez sa maîtresse ou dans un hôtel n’est pas constitutif d’un délit. Le délit pour ce qui concerne l’homme doit donc être en somme un délit d’habitude. Il faut pour cela que le mari entretienne une concubine dans la maison conjugale c'est-à-dire un commerce illicite avec une concubine vivant dans la maison conjugale.
 Il s’ensuit que l’adultère du mari n’est plus punissable, après un jugement ayant prononcé la séparation de corps entre les époux. Ce qui n’est pas prévu pour la femme.
En ce qui concerne l’adultère commis par la femme, le législateur a prévu des règles qui ont pour objet d’en modérer la poursuite :
d’abord, cette poursuite ne peut être exercée que sur dénonciation du mari ;
ensuite, le mari peut l’arrêter par son désistement ;
enfin, en consentant à reprendre sa femme, il arrête les effets de la condamnation.

Par ailleurs, la possibilité pour la femme qui après avoir déposé sa plainte, de se désister pour en arrêter les effets, n’est pas prévue par la loi litigieuse : l’article 337 n’attribue qu’au mari seul le droit d’arrêter la poursuite.
Cette discrimination fondée sur le sexe est contraire au principe d’égalité entre l’homme et la femme. La violation du principe de la non discrimination est ici flagrante. La générosité manifestée en faveur du mari est univoque. Or, il n’y a aucune différence objective entre les candidats à l’adultère selon qu’il s’agit de l’homme ou de la femme, à part celle fondée sur le sexe. On rétorquera peut-être que l’adultère commis par la femme lui fait ramener des enfants adultérins dans le foyer. En réalité, les enfants ne sont que la conséquence d’une infraction qui doit être constatée indépendamment de ses effets. Dans les deux cas, l’infraction est également commise, mais le traitement légal n’est pas identique.

B) Une infraction différemment sanctionnée

Plus grave encore, pour la même infraction, la peine n’est pas la même selon que l’auteur de l’adultère soit homme ou femme. Alors que la femme est condamnée à une peine privative de liberté (plancher : trois d’emprisonnement et plafond de la peine : deux ans), l’homme n’est condamné qu’à une amende. Le seul critère de discrimination est fondé sur le sexe et rien d’autre. En définitive, l’homme et la femme ne sont pas égaux devant la même infraction. Cette discrimination est si injuste qu’aucun homme n’est jamais condamné par nos tribunaux.
Les avocats de l’épouse en concluent que les dispositions litigieuses créent des conditions plus favorables à l’homme qu’à la femme au triple point de vue de la constitution de l’infraction, de la poursuite de l’infraction et de la peine encourue et demandent en conséquence qu’elles soient déclarées contraires à la Constitution.

II)UNE DECISION HISTORIQUE.

Se conformant à sa jurisprudence constante relative au principe d’égalité qui interdit toute discrimination, la Cour constitutionnelle constate que les dispositions litigieuses ont instauré une disparité de traitement entre l’homme et la femme. La Cour constitutionnelle DOSSOU déclare les articles 336 à 339 du Code pénal contraires à la Constitution.
Cette décision historique n’a pourtant rien de féministe ou d’immoral. Elle est toute en nuance puisque la Cour y précise que: « l’incrimination ou la non incrimination de l’adultère ne sont pas contraires à la Constitution, mais que toute différence de traitement de l’adultère entre l’homme et la femme est contraire aux articles 26, 2 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples… ».

A) La portée de la décision

L’exception d’inconstitutionnalité est souvent utilisée par les avocats comme un moyen dilatoire. Mais les non avocats ont du mal à comprendre que gagner du temps dans un procès peut être parfois un moyen de préserver les intérêts d’un client : c’est un moyen légal d’assurer les droits de la défense. La Cour constitutionnelle s’agace de voir les avocats faire du dilatoire. Chacun est dans son rôle… La décision de la Cour constitutionnelle du 30 juillet 2009 est avant historique en ce qu’elle aboutit, grâce à une exception d’inconstitutionnalité soulevée par des avocats, de déclarer des dispositions législatives contraires à la Constitution.
La décision est historique en ce qu’elle fait sortir les dispositions incriminant l’adultère de notre droit positif. Désormais, plus personne ne peut être poursuivi et condamné sur la base de ces dispositions déclarées contraires à la Constitution. Contrairement à ce qui est défendu par une partie de la doctrine, la déclaration d’inconstitutionnalité même dans le cadre d’une exception d’inconstitutionnalité ne s’applique pas seulement inter partes, c'est-à-dire entre les parties au procès ordinaire. Elle emporte la disparition des normes déclarées contraires à la Constitution, du droit positif béninois…
C’est en cela que la décision du 30 juillet 2009 dépasse largement la dimension du procès d’espèce.
En l’espèce, bien que ce soit l’épouse sans revenus fixes qui s’occupe seule de leurs enfants communs, la procédure en adultère constituait l’épée de Damoclès qui planait sur elle : ou elle se ravise en retirant sa demande en divorce, ou alors elle se fait condamner à de la peine de prison. En retirant cette arme fatale au mari magistrat, l’épouse peut, si elle le désire, poursuivre sa procédure en divorce.
En effet, à partir du moment où l’élément légal de l’infraction d’adultère est déclaré contraire à la Constitution, l’adultère ne peut plus être sanctionné au plan pénal dans notre pays, jusqu’à nouvelle législation.

 La Cour s’est-elle posée la question de savoir ce qu’entraînera le vide juridique que sa décision entraîne ? La Cour constitutionnelle ne statue pas en équité, en éthique ou en morale mais en droit. Nos juges constitutionnels ne sont pas des pasteurs, des prêtres ou des imams, ils sont des juristes de haut niveau. Et c’est la logique juridique qui les a conduits à cette décision.
L’adultère continue d’être considéré comme une cause légale et valable de divorce conformément à l’article 234 du Code des Personnes et de la Famille. La dépénalisation de l’adultère n’est donc pas un appel ou une incitation à la débauche, au vice ou à la luxure. Ce que la Cour constitutionnelle béninoise a censuré, ce n’est le fait de vouloir réprimer l’adultère, mais simplement le fait de le réprimer de façon discriminatoire.
Ce faisant, la Cour poursuit son œuvre de modernisation du droit privé qu’elle a commencé à l’occasion du contrôle de constitutionnalité du projet de Code des Personnes et de la Famille.

B) La responsabilité du Parlement béninois

La grande nuance de la décision de la Cour constitutionnelle est la suivante : l’incrimination ou la non incrimination de l’adultère ne sont pas contraires en soi mais toute différence de traitement est interdite.
Cela signifie qu’il est loisible au législateur béninois d’incriminer l’adultère ou de ne pas le pénaliser comme dans les démocraties avancées. Il lui est même loisible de prévoir l’emprisonnement comme sanction. Mais s’il opte pour la pénalisation ou l’incrimination, le législateur doit prévoir la même règle pour tous, sans discrimination entre l’homme et la femme.
Cette décision doit donc être compris comme un appel lancé au législateur afin qu’il prenne ses responsabilités et adopte un Code pénal qui épouse les réalités actuelles et futures de notre société ouverte sur le monde et d’un Etat qui se veut pionnier en matière de protection de droits de la personne humaine.
On peut se rassurer en rappelant que les articles 367 et 368 du projet de Code pénal de 2001 réprime sans discrimination l’adultère de l’époux et de l’épouse, d’une amende de 50 000 à 250 000 francs sur dénonciation de son conjoint.

Par la décision DCC 09-81 du 30 juillet 2009, la Cour Constitutionnelle béninoise supplante et ringardise un législateur en peine de légiférer.
En attendant une législation pénale digne d’un Etat de droit démocratique, l’adultère cesse d’être un délit au Bénin.
En attendant, le technicien du droit découvre sa capacité à changer la société par le droit.

Koutongbé, à Porto-Novo, ce 26 août 2009.
Ibrahim SALAMI

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