L’Afrique face à la « démocratie dégradée »

Que peut faire la communauté internationale ?

Il n’est un secret pour personne que la démocratie est une forme de pouvoir exercé par le peuple, pour le peuple et par des représentants élus à cet effet. Cette forme de gouvernance, après avoir été largement combattu par les pères de l’indépendance, qui prônaient la spécificité de la culture africaine pour se maintenir à vie au pouvoir dans les pays africains, a fait son apparition. Cette émergence de la démocratie sur le continent n’est pas un effet du hasard, mais elle est plutôt due à la conjonction de plusieurs facteurs et faits internationaux. Cette conjoncture internationale favorable a permis que les germes de la démocratisation se vulgarisent sur le continent et ce, malgré la détermination de certains acteurs politiques à ne pas céder à cette situation. Et on peut sans risque de se tromper affirmer que la démocratie en Afrique, à l’instar des normes de gouvernance et de la façon de vivre a été importée. C’est ce qui nous amène à nous interroger sur le rôle de la communauté internationale en général et des organisations internationales en particulier dans l’affermissement de la démocratie qui se trouve être en proie à des situations surréalistes au regard des normes qui sous tendent son fondement. Les lignes suivantes seront consacrées aux facteurs qui ont permis l’éclosion démocratique sur le continent à la fin de la décennie 1980, l’observation de la pratique de ce mode de gouvernance et les actions que les organisations internationales peuvent mener en vue de barrer la voie aux corsaires des temps modernes qui écument l’Afrique.

Des facteurs qui ont induit l’éclosion de la démocratie

L’observation du paysage politique à partir du milieu des années 1980 laisse apparaître un certain nombre d’éléments importants qu’il faut mettre en relief. Sur ce volet, il convient de souligner la Perestroïka, le printemps de Prague et le bicentenaire de la Révolution française qui a induit le discours de la Baule.
A son avènement au pouvoir en Union soviétique, Michail GORBATCHEV a décliné sa politique de réformes qui a mis un terme aux trois monopoles exercés par le Parti communiste à savoir : le monopole de l’idéologie, le monopole de la décision politique et le monopole de la décision économique. Cet état de choses a induit une certaine ouverture politique doublée d’un relâchement du gant de fer qui pesait sur les libertés démocratiques dans la sphère soviétique. De ce fait, le soutien inconditionnel apporté par le « grand frère » aux pays socialistes d’Europe centrale et orientale a faibli. Les dirigeants de ces derniers pays se sont vus notifiés la nécessité de pratiquer à leur tour une politique d’ouverture. C’est ce qui a conduit aux bouleversements politiques observés en Pologne (avec l’action du syndicat Solidarnosc) en Hongrie, en République démocratique allemande, en Bulgarie et en Tchécoslovaquie avec l’instauration du pluralisme. Seul Nikolae Caucescu (Roumanie) qui a refusé de mettre en pratique cette politique a été renversé par une insurrection populaire et exécuté le 25 décembre 1989.

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D’un autre côté, ce vent d’est a soufflé jusqu’en Chine, véritable temple du marxisme léninisme. Après le décès « suspect »de Hu Yao Bang, ex Secrétaire Général du Parti communiste qui militait pour une ouverture politique au sein du parti, la contestation gagna l’empire du milieu. Après cinq semaines de crise, les centaines de milliers de manifestants prirent d’assaut la place Tien-An-Men où ils manifestèrent leur ras le bol au cri de : Vive la démocratie ! Vive la liberté ! La violente répression qui a suivi et l’image du jeune étudiant debout contre un char de l’armée ont fait le tour du monde. Cela a eu comme corollaire des réactions politiques vives ainsi que des manifestations de soutien dans les capitales occidentales.

Le dernier élément de ce tryptique est la célébration en 1989 du bicentenaire de la Révolution française. Au cours des célébrations, les idéaux traduits dans la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen ont fait l’objet d’une internationalisation. Sur cette lancée, le président François Mitterrand dans son célèbre discours de la Baule priait instamment les dirigeants africains d’appliquer les principes cartésiens de la démocratie à savoir : l’organisation d’élections libres et transparentes ; l’instauration du multipartisme ; la liberté de la presse, l’indépendance de la magistrature et le refus de la censure.
La conjonction des trois évènements supra, a eu des incidences positives sur la situation politique en Afrique. Les leaders des deux blocs antagonistes prônant les mêmes valeurs, leurs affidés africains n’avaient pas d’autre alternative que de suivre les consignes. De ce fait, le signal fort de la décrispation vint du régime de l’apartheid qui a procédé le 11 février 1990 à la libération de Nelson Mandela après 27 ans de bagne. Ensuite, survint l’indépendance de la Namibie dont la Constitution est la première en Afrique à garantir le pluralisme politique avec d’importantes garanties sur les libertés individuelles, des contre-pouvoirs au Président dont notamment le mandat est renouvelable une seule fois.

Le bilan après vingt ans de pratique

Face aux profondes crises qui minent le continent et à l’acceptation du fait que le postulat du parti Etat avec un homme-dieu présidant à vie les destinées de son peuple est politiquement incorrect, les dirigeants africains ont accepté également de pratiquer la politique d’ouverture et de démocratisation. C’est le temps des historiques conférences des forces vives de la nation dont le Bénin a été le précurseur. La conférence béninoise s’est vue reconnue la souveraineté et a pris des décisions visant à la transcription du discours de la Baule dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. Dès lors, les idéaux démocratiques sont mis en pratique au quotidien et l’alternance est devenu un fait. Le général Mathieu KEREKOU a été le premier chef d’Etat africain à quitter le pouvoir par les urnes et à le reprendre par ce biais contrairement à la pratique des coups d’Etats qui rythmaient l’alternance.
D’autres conférences nationales furent organisées avec des succès mitigés. L’observation de la situation après une vingtaine d’années de pratique démocratique et à la lueur des derniers évènements que ce soit en Afrique australe, au Maghreb, en Afrique de l’est ou de l’ouest fait apparaître les constats suivants :

–    Manipulation récurrente de la loi fondamentale ;
–    Organisation d’élections libres mais dont la transparence est sujette à caution ;
–    Multiplicité de clubs électoraux à connotation ethnique ou régionale qui se déclarent des partis politiques. Les mobiles et les objectifs de ces partis sont plutôt l’accointance avec le pouvoir en place au mépris des règles démocratiques ;
–    Soviétisation des parlements qui deviennent des caisses d’enregistrement et pratique institutionnalisée du transformisme  ;
–    Intrusion récurrente des militaires dans les processus démocratiques ;
–    Liberté nominale de la presse garantie par des textes mais dans la pratique, le bâillonnement a toujours cours ;
–    Magistrature aux ordres et dont la partialité est prouvée au gré des pirouettes juridiques.

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Quelques exemples traduisent bien cet état de choses. On peut sans être exhaustif et sans parti pris citer pêle-mêle les cas du Niger, de la Mauritanie, du Togo, de la Guinée, de la Côte-d’Ivoire pour ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest ; le Kenya et le Zimbabwe pour d’autres pays africains. Notre objectif n’est pas de nous répandre en conjectures, mais plutôt de faire le constat qui découle des dysfonctionnements de la machine démocratique. Car, c’est un secret de polichinelle que de vouloir passer sous silence les massacres post électoraux, les nettoyages ethniques, l’accaparement du pouvoir ainsi que ses effets néfastes sur la gouvernance économique. Un dernier exemple peut être tiré des pays de l’Afrique centrale, région du défunt président BONGO ONDIMBA (42 ans de pouvoir), qui cumulait avec ses pairs 148 ans de pouvoir . C’est un chiffre vertigineux qui doit donner à réfléchir, cela représente 18 présidences américaines en supposant que chaque président a obtenu le second mandat. Il n’est pas insidieux de penser que cet état de choses est source d’immobilisme et contribue au sous-développement avec son cortège de misères et de précarités pour les « chers peuples ».

Des actions à mener par les organisations internationales

Les relations internationales sont marquées par l’interaction des acteurs publics que sont les Etats et les organisations internationales ainsi que des acteurs privés que sont les firmes multinationales et les organisations de la société civile internationale. De cette interaction naissent les règles de droit qui régissent leurs relations. Il faut remarquer que la prégnance de la souveraineté des Etats marque profondément leurs relations. Car, en raison du principe de la souveraineté, un Etat n’a pas d’ordre à recevoir d’un autre pour être trivial. Mais, cette capacité absolue est encadrée par les règles du Droit international dont la diplomatie en est une illustration. Avec la mondialisation et ses corolaires, la nécessité de mettre ensemble les prérogatives publiques internes à l’échelon international, a donné naissance aux institutions internationales de coopération ou d’intégration. Ces institutions produisent dès lors des normes juridiques qui sont intégrées dans leur traité fondateur peuvent sanctionner ou faire sanctionner leurs membres face au non respect de leurs engagements. Pour ce faire, elles peuvent se fonder sur leurs règles internes ou sur les préceptes du droit international public dont la violation est assurée par la mise en œuvre de la responsabilité internationale de l’Etat. S’agissant de l’Europe, le problème de l’application des normes ne se pose pas avec autant d’acuité. Malheureusement, les Etats africains souscrivent toujours de façon indifférenciée au respect de leurs engagements. Les principes de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen ont été incorporés à la Constitution des Etats africains en général. La défunte Organisation de l’Unité Africaine qui a muté en Union Africaine a adopté la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Les Etats africains sont également parties prenantes à toutes les conventions internationales, quand bien même les grandes démocraties refusent de les signer (c’est le cas du Traité de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale que les USA refusent de signer et empêchent d’autres Etats de la faire).

Pour éviter que ne s’ancre définitivement ce dévoiement du principe démocratique qui prend une allure de monarchie républicaine où le père cède le pouvoir à son fils au nom des intérêts supérieurs du peuple et sur plébiscite du peuple (suivez mon regard), il faudrait que la communauté internationale accentue la pression exercée au début des années 1990 pour changer le cours des choses en Afrique. Car, il convient de le signaler, la conditionnalité démocratique a été l’élément contraignant qui a poussé les dictateurs à « accepter» la démocratie. Des actions doivent être menées aussi bien par les institutions internationales que par les organisations non gouvernementales pour mettre fin à cette tropicalisation démocratique.

Etant donné l’importance de l’aide financière extérieure dans l’élaboration des budgets des Etats ainsi que la réalisation des programmes concourant aux Objectifs du Millénaire pour le Développement, la conditionnalité doit être corsée. De nouvelles modalités d’attribution de l’aide doivent être définies en vue de permettre d’apporter un appui aux pays qui le méritent. De ce fait le rôle de la communauté financière internationale est de la plus haute importance. Sur un plan normatif, l’ONU dans le cadre de sa réforme, doit procéder à l’édiction de nouvelles règles visant à brider la souveraineté des pays où les corsaires de la démocratie opèrent. La résolution des Nations-Unies visant à combattre les pirates somaliens même dans les eaux territoriales de ce pays est un exemple édifiant. Si les peuples ont la capacité absolue de se doter du système politique de leur choix, il est légitime que ces peuples aspirent au meilleur choix. Ainsi, il faut que l’universalisation du principe de limitation des mandats soit une norme juridique dirimante quelque soit le type de constitution. Cela permettra de rendre inopérant les manipulations de la loi fondamentale.

D’autre part, il faudrait que les putschistes soient interdits de se présenter aux élections. La codification de ces principes permettra à la communauté internationale de disposer de règles de droit dont la sanction peut être invoquée à l’égard des contrevenants. Enfin, il ne serait pas inutile de suggérer que des mesures de rétorsion soient prises et appliquées effectivement contre les gouvernements usurpateurs du pouvoir politique. Car seul l’isolement diplomatique ne peut permettre d’exercer une pression pouvant faire céder ces régimes. D’où l’importance du rôle des firmes multinationales qui doivent également participer à renforcer la démocratie dans les pays où elles opèrent. Il ne serait pas superflu de préciser que le libre échange ne devrait pas servir à occulter l’aspiration des peuples à faire librement des choix politiques. Les pays d’origine des firmes multinationales doivent également jouer leur partition et contraindre leurs firmes à exercer également des mesures de rétorsion à l’égard des pouvoirs voyous.

Par Théophile M. KPAYAGBE
Master en Économie internationale et intégration européenne à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble
Licencié en Diplomatie et Relations Internationales de l’Université d’Abomey-Calavi
Spécialiste de l’information de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature du Bénin

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