Les droits de l’homme et la question de la non ingérence dans les affaires intérieurs d’un Etat

L’intérêt accordé aux droits de l’homme à travers le monde ne cesse de croitre sans équivoque depuis la dernière décennie du siècle passé, un phénomène apparemment emblématique d’un éveil de conscience. De l’antiquité à nos jours, en passant par le moyen-âge, la renaissance et les temps modernes, ces droits n’ont pas manqué de faire l’objet de diverses réflexions et de textes savamment élaborés. Depuis l’avènement de l’ONU, les obligations des états dans le domaine des droits de l’homme ne présentent aucun doute lorsque l’on lit attentivement la charte constitutive, notamment les articles 55 et 56. Pour une raison d’ordre pratique, l’élaboration de la déclaration  des  droits  a été confiée  à la commission   des droits de l homme  créée en 1946 en vertu de l’article 68 de la charte. Comme tout le monde le sait, le 10 Décembre 1948, par un vote massif et sans aucune voix dissidente, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté la déclaration universelle des droits de l’homme par la résolution 217 A (III), permettant ainsi d’espérer des lendemains meilleurs, suite aux horreurs inouïes de la deuxième guerre mondiale qui venait de se terminer par l’écrasement des forces du mal. Ce premier instrument, un véritable socle, voire un polygone de sustentation, est une source réelle d’inspiration non seulement pour les autres instruments juridiques pertinents avec lesquels il constitue le droit international des droits de l’homme, mais aussi pour les constitutions de presque tous les pays du monde. Nous aimerions faire ressortir à l’envi que les droits de l’homme sont des immunités ou privilèges fondamentaux auxquels toute personne peut prétendre. Quant au droit international contemporain, il les considère «  comme des droits et libertés dont chacun peut se prévaloir, qui interdisent aux états et aux gouvernements certains types de conduite à l’égard des personnes ». Des voix autorisées en viennent à la conclusion que les droits de l’homme ne sont pas un don qui peut être repris.

Mais qui en principe devrait assurer la jouissance sans encombre de ces droits ? Il va sans dire que c’est essentiellement l’Etat. Il lui incombe de prime abord de créer les conditions de leur promotion et de leur protection. La volonté politique affirmée qui ne devrait  pas faire défaut ici conduirait tout naturellement les états à adopter non seulement les instruments relatifs aux droits de l’homme, mais aussi et surtout à les intégrer dans leurs législations et à veiller scrupuleusement à leur mise en œuvre. La nature humaine étant ce qu’elle est, l’éducation et la lutte contre l’impunité sont de nature à prévenir les violations qui sont des faits déplorables. L’éducation aux droits de l’homme façonne admirablement les individus, les amène à s’approprier ces droits, à les considérer comme étant aussi les droits des autres, et à faire d’eux des défenseurs lucides et efficaces, des citoyens capables de participer au développement. La lutte contre l’impunité est tout aussi importante que l’éducation en raison de son caractère dissuasif. Il faut par ailleurs noter qu’il est parfaitement inconvenant que l’’Etat s’abrite derrière la souveraineté ou la non ingérence pour s’adonner à des comportements regrettables, des violations massives et itératives que l’on constate ça et là sur le continent africain en particulier, et d’une manière générale dans les pays en voie de développement  ou dits émergents. Il est essentiel d’affirmer que les principes de souveraineté, de compétence nationale, de domaine réservé ou encore d’acte de gouvernement, ne sont pas à prendre en considération pour ce qui concerne les droits de l’être humain.

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La nécessité de l’ingérence dans les affaires relatives aux droits de l’homme.

Pour ce qui concerne la compétence nationale, en d’autres termes, le droit souverain pour un état de gérer ses affaires intérieures sans aucune ingérence, le paragraphe 7 de l’article 2 de la charte de l’ONU, instrument juridique fondateur de l’ordre international contemporain est très clair, et dispose comme suit : « aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations – Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat, ni n’oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII » Il convient de se souvenir que la charte de l’ONU a été adoptée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et que l’indépendance nationale ainsi que la souveraineté internationale faisaient partie des préoccupations importantes. Ce n’est qu’en 1948 que les droits de l’homme inscrits de façon éparse dans la charte de l’ONU ont été cernés à travers une déclaration solennelle. Il est vrai que la charte accorde la primauté à l’égalité souveraine des Etats et qu’elle interdit l’intervention d’un Etat donné dans un autre sans son accord. Cependant, les idées évoluant avec le temps et l’instrument juridique fondateur de l’ordre international ne permettant pas aux Etats de prendre des libertés à l’égard des droits de l’homme, une exception de taille a fait son apparition. C’est un principe fondamentalement lié à une situation endémique de violations massives et itératives des droits de l’être humain, un état de souffrances intolérables. En termes concis, il faut dire que de nos jours la communauté internationale a un droit exceptionnel de regard sur la situation des droits de l’homme à l’intérieur de chaque Etat. Les graves évènements ainsi que la privation de liberté qui a été d’ailleurs prolongée récemment pour Aung Sun Suu Kyi n’ont jamais été l’objet de mesures énergiques, de condamnation bien ferme de la part du conseil de sécurité en raison du soutien Russo chinois dont bénéficie la junte militaire. Les occidentaux, membres permanents du conseil de sécurité, ont eu à faire comprendre que la revendication des droits fondamentaux, ne peut en aucun cas dicter de la part de la junte militaire birmane, une attitude brutale, confirmant ainsi les propos de Koffi Annan, selon lesquels, la souveraineté n’est pas un rempart. Une situation interne de souffrances intolérables, marginalisant de propos délibéré la vie et la dignité ne doit en aucun cas laisser indifférente la communauté internationale composée d’Etats, d’institutions, coiffée par l’ONU. Cette dernière a, sans conteste, un rôle déterminant à jouer dans le maintien de la paix et de l’épanouissement individuel et collectif à l’intérieur de chaque pays. Les considérations stratégiques, géopolitiques qui se manifestent de temps en temps au sein du conseil de sécurité ne sont pas de nature à assurer la sauvegarde des droits de l’homme. Le droit ou le devoir d’ingérence, ou l’obligation de réaction apparaissent comme des termes interchangeables, désignant une même nécessité : celle de mettre un terme au désastre provoqué au sein d’un Etat indépendant et souverain par le non respect  des droits de l’être humain. Le besoin absolu de l’ingérence pour libérer les peuples victimes de la tyranme a été défendu avec acharnement par des personnalités comme Bernard Kouchner et bien d’autres. Il convient, à notre avis, d’affirmer avec force, qu’il appartient à l’ONU, au conseil de sécurité précisément, d’agir vite et bien le cas échéant pour que le pire ne s’installe pas.

Un débat historique sur l’ingérence

Lorsqu’à l’occasion de la session annuelle de l’assemblée générale des Nations-Unies de 1999, le secrétaire général Koffi Annan a présenté dans son disocurs un véritable plaidoyer pour le droit d’ingérence, diverses réactions ont été enregistrées. Ce plaidoyer était si éloquent et si passionné que les milieux onusiens et d’autres observateurs n’ont pas hésité à le qualifier de doctrine Annam. L’éminent secrétaire général d’alors venait d’ouvrir en des termes qui lui sont propres un débat d’importance capitale. Car, il s’agit en réalité d’une confrontation entre le droit d’ingérence et le principe de souveraineté qui, comme l’on peut le constater, est de  nature à donner une autre orientation à la vie internationale. Pour Kofi Annan, il faut bousculer la notion de souveraineté en tenant compte de certains paramètres ; « les forces de la mondialisation et de la coopération internationale, sont en train de redefinir la notion même de souveraineté des états, en somme, de l’affaiblir. Une prise de conscience renouvelée du droit qu’a chacun de contrôler son propre destin a renforcé la souveraineté de l’individu ». Un peu plus loin Kofi Annan affirme que « les frontières ne constituent pas une défense absolue » Mais il n’a pas manqué de dire «  qu’une telle évolution dans notre conception de la souveraineté de l’état et de celle de l’individu, ne peut que se heurter à la méfiance, au  scepticisme, voire à  l’hostilité de certains milieux ». Deux camps se sont immédiatement formés. Les occidentaux d’un côté, manifestant un certain acquiescement réservé, et de l’autre les pays dits émergents toutes régions confondues foncièrement opposés à cette doctrine. Le président Algérien Abdelaziz Bouteflika s’est fait le porte-voix du continent africain et déclara entre autres « où s’arrête, où commence l’ingérence ? L’ingérence dans les affaires intérieures d’un état ne peut se produire qu’avec l’accord de cet état. L’Algérie demeure très sensible à toute atteinte à la souveraineté » Voilà quelques réactions au plaidoyer de Kofi Annan. Pour certains pays occidentaux, comme la France, toute intervention armée par exemple, décidée en dernier ressort, doit être légitimée par le conseil de sécurité. Nous pensons tout de même quant à nous, que le droit d’ingérence ne doit pas être mis systématiquement au rancart. Là où les droits de l’homme sont gravement menacés, il serait indiscutablement indécent de rester indifférent. L’inaction devant l’inacceptable est toujours vouée à une désapprobation sans appel de la part des défenseurs des droits de l’être humain et autres observateurs qui attachent du prix à la dignité. Il s’agit là d’une logique inhérente à la défense des droits de l’être humain caractérisés par l’universalité et l’indivisibilité. Le conseil de sécurité l’a compris. Il l’a si bien compris, qu’en juin 2002, il a consacré deux jours de débat à la question, deux jours pendant lesquels on a préféré parler par euphémisme de « responsabilité de protéger ». Car, l’expression droit d’ingérence semble indisposer. L’union africaine n’a pas banalisé non plus la nécessité d’intervenir pour protéger, puisqu’elle a crée le conseil de paix et de sécurité qui fonctionne à sa manière.

Comme on le constate, la vie et la dignité n’ayant pas de prix, elles  doivent être défendues, protégées partout dans le monde. Pour les défenseurs des droits de l’être humain, il serait malsain d’accorder la primauté absolue à la souveraineté, puisqu’ il est impérieux de nos jours  que les  Etats sachent qu’ils ont l’obligation  incontournable de protéger les droits fondamentaux et les libertés publiques. Comme le défunt chef d état français, François Mitterrand a eu à le dire lors d’une conférence à la Sorbonne en 1989 « le principe de non ingérence s’arrête à l’endroit  précis  où commence le risque de non assistance » C’est l’une des conditions d’un épanouissement individuel et collectif.

Par Jean-Baptiste GNONHOUE Président de la coalition béninoise pour la Cour Pénale Internationale (CPI)

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