La vérité qu’on ne vous dira pas
Les pouvoirs publics ont décidé de se réunir pour cogiter, pour nous parler des médicaments ou plutôt des faux médicaments. Belle initiative, s’il en est ; bravo donc, Pourrait-on dire. Mais prenons garde de ne point vendre la peau de l’ours avant de le tuer. Car, quand on décide de s’attaquer au marché africain des médicaments qui rapporte chaque année des centaines de milliards de francs Cfa aux grands laboratoires d’Europe, d’Amérique et d’Asie, les risques de manipulation ne sont pas bien loin. A défaut d’abreuver les populations africaines de mensonges grotesques et autres fanfaronnades, il suffit pour les gourous et autres représentants occultes des grands laboratoires internationaux de faire économie de vérité pour anesthésier la conscience collective des consommateurs et préserver ainsi leurs intérêts financiers en Afrique.
En attendant les conclusions auxquelles vont aboutir les travaux de cette grande messe, il importe de planter le décor et lever le voile sur certaines idées reçues au sujet de ce qu’il est convenu d’appeler les bons et les faux médicaments. Mais d’abord et avant tout, accordons nos violons autour de quelques définitions aux apparences toutes simples mais qui constituent le vivier naturel et la source première de la polémique fallacieuse sur les bons et les mauvais médicaments. Car entre les médicaments génériques et les spécialités d’une part, les contrefaçons médicamenteuses très nocives qui sont vendues en vrac sur les étales d’autre part, le commun des Béninois y perd son latin.
Qu’appelle-t-on médicaments génériques et qu’en est-il des médicaments dits des spécialités ?
Sans tomber dans les considérations techniques et pharmaceutiques, on peut dire que les médicaments génériques sont des copies authentiques et officielles des « Spécialités » qui ont perdu leur brevet après cinq, dix ou vingt ans d’âge et qui sont tombées dans le domaine public. Leurs prix deviennent de ce fait plus abordables après de longues années d’utilisation.
Quant aux spécialités, on comprend par déduction que ce sont des médicaments nouvellement mis sur le marché et qui ne sont pas encore suffisamment commercialisés pour permettre à leurs fabricants (les laboratoires) d’amortir les investissements consentis dans la recherche et la fabrication.
Les deux questions cruciales ci-dessus en appellent une autre non moins importante.
Comment reconnait-on un médicament générique d’une spécialité ?
« L’habit ne fait pas le moine », dit un adage populaire qui par ailleurs reconnait que « c’est à l’habit qu’on reconnait le moine ». Les médicaments dits des spécialités répondent parfaitement à cette définition, s’agissant tout au moins de leur présentation. En effet les spécialités ont la particularité physique d’être présentées dans des emballages très soignés, très jolis et naturellement plus chers et même souvent plus chers que les comprimés eux-mêmes. En clair, on soigne plus la présentation en donnant à l’écrin plus de valeur que le bijou qui est à l’intérieur. De ce point de vue, et nonobstant leur valeur thérapeutique, les « spécialités » apparaissent comme des produits de luxe, du moins jusqu’à ce qu’elles perdent leur brevet pour tomber dans le domaine public.
A l’opposé de ces médicaments de spécialité destinés implicitement à des personnes nanties, les médicaments génériques apparaissent comme les parents pauvres de la grande famille des produits pharmaceutiques. Ils sont souvent mal habillés, présentés dans des emballages ordinaires qui ne payent pas de mine ; et pourtant ils sont aussi efficaces que leurs géniteurs.
Mais ça, personne ne vous le dira ; du moins en Afrique où, en raison du niveau de vie et du faible pouvoir d’achat des populations, une vraie campagne devrait être engagée en faveur des médicaments génériques. Hélas! A quoi assiste-t-on dans nos pays ?
Pour écouler leurs « spécialités » sur le marché africain et augmenter leurs marges bénéficiaires, les industries pharmaceutiques et les laboratoires des multinationales ont une forte tendance machiavélique à diaboliser les médicaments génériques. Résultats, les citoyens lambda séduits par l’emballage des produits et le beau discours des délégués médicaux se saignent à blanc pour acheter à prix d’or des médicaments dits des spécialités ; alors même que les médicaments génériques tout aussi efficaces sont disponibles et souvent trois à quatre fois moins chers. Les consommateurs éclairés des pays du Nord ne s’y trompent d’ailleurs pas. A en croire les statistiques médicales qui ont établi que dans les pays suivants : Etats-Unis, Japon, Chine, Inde, Brésil etc etc les médicaments génériques sont les plus consommés à hauteur de 95 à 98%.
Dès lors on est en droit de se poser des questions sur les dessous de ces grandes réunions internationales organisées à grands frais sur les faux médicaments ? Et surtout quels sont-ils ces faux médicaments ? Que cache-t-on aux consommateurs africains mal informés en la matière ?
S’il convient de féliciter les autorités béninoises et les personnalités internationales qui sont à l’origine de cette initiative pour mettre de l’ordre dans ce domaine très délicat de la santé publique, il n’est pas superflu de balayer devant sa porte avant d’aller le faire devant celle du voisin.
Prenons garde que l’arbre ne cache pas la forêt. Ces grandes messes ne peuvent et ne doivent pas servir de tremplin aux multinationales pharmaceutiques pour, avec la complicité des politiques locaux, manipuler l’opinion publique et asservir les consommateurs africains pour mieux les exploiter.
(Par le Dr Frédéric Kouton, Président Cercle Santé pour Tous)