L’argent sur le marché des élections

L’argent a-t-il pouvoir de décider du sort d’une élection ? Ceci, indépendamment de la valeur intrinsèque des candidats, du contenu de leurs programmes et projets de société, de leur charisme, de leur compétence, de leur expérience ? Nombre de ceux qui sollicitent nos suffrages, à l’occasion de diverses élections, doivent penser, le plus sincèrement du monde, que l’argent est la clé du pouvoir. Car l’importance qu’il prend est de plus en plus grande. Le pouvoir serait alors comparable à une marchandise qui a du prix, une marchandise qui exige que l’on y mette le prix. Il ne tomberait, en dernière analyse, comme dans une vente aux enchères, que dans les mains du plus offrant et dernier enchérisseur.
Malheureusement, une telle conception des choses n’est pas loin de s’imposer, l’argent tendant à devenir l’étalon, la référence dans toutes les élections, l’urne, symbole du suffrage des citoyens électeurs, n’étant plus qu’un simple appendice dans tous les processus électoraux.
Comprenons-nous bien. L’argent dont nous parlons, ici, a peu affaire avec les dépenses utiles et nécessaires liées à l’organisation d’une élection ou à la conduite d’une campagne électorale. Il faut bien payer les cautions exigées. Il faut mettre en place une équipe de spécialistes dont l’expertise a un coût. Il faut mobiliser des fonds pour organiser des meetings, faire face à des charges incontournables comme le transport, l’animation, la sonorisation, la restauration, la communication…
L’argent dont nous parlons est celui-là qui n’entre dans aucune comptabilité claire et propre, légale et justifiable. C’est l’argent de la corruption. Il sert à acheter les consciences, à détourner les suffrages des électeurs, à organiser les circuits de la fraude, à réduire les citoyens électeurs en un cheptel votant, du bétail électoral sans plus. C’est l’argent du crime. Il sert à payer les services des nervis et autres mercenaires, fauteurs de troubles, de désordres et de guerres. Il sert à diviser un pays et à lui préparer de funestes lendemains. Il sert à vider la démocratie de tout contenu, le peuple souverain n’étant plus que l’ombre de lui-même, un pantin articulé dans des mains de monstres tapis dans l’ombre.
Cet argent-là réduit toutes nos élections à une vaste comédie jouée à saison régulière pour respecter un certain calendrier électoral, alors que les dés sont pipés, dès lors que l’argent a dicté sa loi. Tout le monde joue un personnage. Personne n’est en vérité et en toute responsabilité dans son rôle, à sa place. Chaque élection est ainsi l’occasion d’un grand bal masqué. En jouant à cache-cache, on se joue de soi, on se joue surtout du présent et de l’avenir du pays. Le fabuliste n’est pas loin, avec la cigale qui a chanté tout l’été pour se retrouver à découvert, la mauvaise saison venue.
Cet argent-là insulte l’intelligence, parce qu’il disqualifie l’homme. Cet argent-là crache sur la chose publique, parce qu’il piétine les intérêts du citoyen. Celui-ci n’est plus, en effet, maître de ses choix : il est réduit à n’être plus qu’un cheval fermement tenu en bride par l’argent devenu son seigneur et maître. L’argent ainsi installé dans le rôle suprême du cavalier peut chevaucher à loisir sa monture, la mener où il veut, quand il veut, comme il veut.
Cet argent-là efface, de toute élection, tout ce qui pourrait se réclamer de l’étincelle et de la flamme de l’esprit pour éclairer les chemins de nos quêtes, tout ce qui pourrait prendre la forme d’un programme, d’un projet de société. Pourquoi s’investir à réfléchir, à chercher, à explorer les arcanes du savoir et de la connaissance dès lors qu’avec l’argent on peut tout acheter, on peut tout s’offrir, on peut tout avoir ?
Cet argent-là évacue l’espace national de toutes les valeurs qui peuvent encore nous rappeler, sur le terrain du devoir, que nous sommes et que nous demeurons des êtres soumis aux impératifs de la morale et de l’éthique. Nos bêtises n’abolissent pas les lois de la nature, celles gravées au plus profond de nos consciences. Les Fon du Bénin comparent le monde dans lequel nous vivons à un immense récipient armé d’un couvercle. On ne saurait manipuler celui-ci à tort et à travers. Il y a des règles à observer. Il y a des interdits à respecter. On a tôt fait de sauter tous les verrous de sécurité. Dans d’autres cultures, on parle de la boîte de Pandore.

Il nous faut retrouver les chemins de la sagesse afin que l’argent, pour utile et pour nécessaire qu’il soit, n’ait jamais à sortir du périmètre de sa fonctionnalité. Nos élections gagneront en crédibilité et l’honneur du citoyen électeur sera sauf. Du reste, les Peuls du Mali n’ont point attendu les ravages de l’argent dans nos sociétés modernes pour recommander, ce que nous devons graver partout et toujours : « Sois le cavalier de ta fortune, non son cheval »

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Jérôme Carlos
La chronique du jour du 4 novembre 2009

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