L’union africaine et le traité fondateur de la cour pénale internationale

Le mandat d’arrêt international contre Omar El Bachir a suscité çà et là des propos inconvenants, des prises de position purement émotionnelles répondant à une logique renversante. L’Union africaine, lors de sa réunion à Syrte en Juillet 2009, a décidé de ne pas coopérer avec la CPI en ce qui concerne le président soudanais, et ce, en se fondant sur sa propre interprétation de l’article 98 du traité de Rome.

Certaines dispositions de cet important instrument juridique seront au cœur d’une réunion que l’organisation continentale se propose de tenir à Addis Abéba du 3 au 6 Novembre, en prélude à la Conférence de révision qui aura lieu à Kampala en 2010.
Selon le rapport publié par les Etats parties après la réunion des 8 et 9 Juin 2009 à Addis Abéba, les questions relatives aux articles 13, 16, 27 et 98 du statut de Rome seront abordées,  ainsi que celle concernant l’expression d’une voix régionale quant aux preuves à rassembler et à la décision de poursuivre ou non, notamment – soulignons-le, s’agissant d’éminents représentants de l’Etat. Il convient de préciser une chose avant d’aller plus loin. Le traité fondateur de la cour pénale internationale est une œuvre humaine, et comme telle, elle est perfectible. Si une conférence de révision est prévue, c’est justement pour corriger les imperfections dont le but unique est de rendre plus performante à certains égards, la jeune juridiction pénale internationale. Que l’union africaine contribue à cette œuvre de perfection, n’a rien de répréhensible. C’est l’attitude contraire qui ne serait pas responsable. Prenons point par point les dispositions qui préoccupent l’UA.
– Article 13
Cet article envisage entre autres l’intervention du conseil de sécurité en raison de sa responsabilité première de garantir la paix et la sécurité partout dans le monde, et si besoin est, sur la base du chapitre VII de la charte de l’ONU, instrument fondateur de l’ordre internationale d’après guerre. Cette possibilité d’intervention est une bonne chose, puisque d’une part, la compétence de la cour n’est pas universelle, et de l’autre, tout crime de droit international, où qu’il soit commis doit être réprimé.
– Quant à l’article 16, les organisations de défense des droits de l’être humain elles-mêmes ne partagent pas son objectif. Il est considéré comme funeste parce que le politique peut brider à tout moment pour une durée d’un an renouvelable l’action du judiciaire. Il est à espérer que la conférence de révision parviendra à une solution tendant à préserver l’action du judiciaire. Mais l’Union africaine n’aurait soulevé certainement aucun problème, si le conseil de sécurité, en vertu de son pouvoir, avait ordonné un sursis à poursuivre Omar El Bachir. Il faut alors conclure que la préoccupation de l’organisation continentale n’a rien de commun avec celle des ONG de défense des droits de la personne humaine, et qu’elle ne constitue en vérité qu’une réponse ponctuelle au silence du conseil de sécurité sur la demande  de sursis au profit du président soudanais.
– L’organisation continentale entend aborder aussi lors de sa réunion de Novembre 2009 « la clarification des immunités des représentants dont les Etats ne sont pas parties au Statut ». La compétence de la cour, pour le moment, ne peut s’exercer à l’égard des Etats non parties. Mais elle devient pleinement possible en cas de sa saisine par le conseil de sécurité sur la base du paragraphe B de l’article  13 du statut de Rome et du chapitre VII de la charte de l’ONU. Nul ne peut alors soulever une quelconque immunité pour un suspect quelle que soit sa qualité officielle, puisque l’interdiction de porter gravement atteinte à la dignité humaine relève du jus cogens sous la forme d’une obligation erga omnès.
– Lors du sommet de Novembre prochain, il sera également question de « l’analyse comparée des implications de l’application des articles 27 et 98 du statut de Rome », ainsi que de « la possibilité d’exprimer une voix régionale » dans la procédure mise en œuvre et de toute autre préoccupation soulevée par les Etats africains parties au statut de Rome. L’article 27 met en exergue l’absence de  toute immunité par une expression lapidaire bien significative :
« défaut de pertinence de la qualité officielle ». Ce principe sacro saint est reconnu en droit international depuis plus de 60 ans. Rappelons que l’absence d’immunité avait déjà été prévue par l’article 7 du statut du tribunal de Nuremberg, mis en œuvre par le tribunal de Tokyo, et réaffirmé par la suite dans des instruments juridiques ultérieurs. Le procureur Robert H. Jackson  a eu d’ailleurs à donner le ton en écrivant : « Nous ne pouvons accepter le paradoxe que la responsabilité pénale devrait être la plus faible alors que le pouvoir est le plus grand ». Cet article et l’article 98 donnent lieu à une analyse comparée. On s’aperçoit de toute façon qu’aucune immunité n’empêche la cour d’exercer sa compétence à l’égard de la personne qui s’en prévant, parce que les dispositions de l’article 27 l’emportent sur les obligations conventionnelles d’un Etat. C’est la cour, en principe, qui a le dernier mot et qui doit apprécier. Il n’appartient donc pas à l’Etat requis de se comporter de façon cavalière.
Les points ci-dessus évoqués suscitent quelques remarques d’ordre général. Il convient de dire encore une fois que le statut de Rome a besoin de perfection dans la sérénité et non dans un contexte conflictuel. La CPI, contrairement à ce que l’on raconte, n’est dirigée contre aucune race spécifique, aucune région déterminée du  globe. En tant qu’institution emblématique de la justice internationale, elle entend accomplir sa mission sans parti pris. D’ailleurs son traité fondateur accorde la primauté des poursuites aux Etats parties. C’est une arme redoutable à la disposition des Etats pour faire reculer les crimes les plus odieux, les  crimes les plus attentatoires à la dignité humaine. Il est de bon ton qu’ils en fassent usage. Ce n’est qu’en cas de mauvaise volonté ou d’incapacité logistique ou technique avérée que la cour intervient selon le principe de complémentarité dûment inscrit dans le statut de Rome. Nos Etats africains ont donné jusqu’ici l’impression de se préoccuper exclusivement du sort des dirigeants en  oubliant que les victimes ont besoin de la vérité juridique des faits, de la justice et de la réparation. Les victimes doivent être au cœur de la justice pour une paix réelle et durable. On a même lu sous la plume de certaines personnalités qu’il est impératif de protéger la dignité africaine. A ce sujet, il faut se réserver le droit d’affirmer que, en poursuivant un chef d’Etat du continent soupçonné de crimes de droit international, on ne porte en aucun cas atteinte à la dignité africaine. Ce sont plutôt les crimes que ce chef d’Etat a commis qui constituent une atteinte à la dignité africaine, puisque les victimes sont africaines, une atteinte à la dignité tout court, étant donné que c’est un concept qui caractérise tous les êtres humains sans considération de frontières. Un autre point important sur lequel il est convenant d’insister. C’est la pression qu’exerceront sans doute les Etats non parties sur les Etats parties lors de la conférence préparatoire de Novembre 2009. Ces   derniers devront opposer une résistance farouche aux premiers en se comportant courageusement comme le Botswana. Il leur revient de dire en termes non ambigus qu’ils ont ratifié souverainement le traité fondateur de la CPI, et que c’est de façon souveraine aussi  qu’ils rempliront  leurs obligations aux termes du droit international.

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L’Union africaine n’a pas le droit de les amener à ne pas respecter leurs engagements internationaux. La cour pénale internationale n’est pas une institution judiciaire occidentale, parce qu’elle est fondée sur des principes universels. Les Etats parties à son statut ont le devoir de la soutenir et de barrer avec acharnement la route aux Etats qui lui sont viscéralement hostiles sur la base d’une vision pervertie du monde et des choses. C’est à ce prix qu’ils œuvreront véritablement pour la paix, et le développement que chacun appelle de ses vœux.

Par Jean-Baptiste GNONHOUE
Président de la coalition béninoise pour la Cour Pénale Internationale (CPI)

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