Sous l’empire de la culture du faux

C’est sûr : l’histoire retiendra un certain « Appel de Cotonou contre les faux médicaments ». C’était sous l’impulsion de la Fondation Chirac, un mois d’octobre de l’an de grâce 2009. Un appel de cette nature est à l’image de la fameuse bouteille jetée à la mer et censée porter un message sans destinataire certain. Et la bouteille de dériver au gré des courants, avec des fortunes diverses, dans l’immensité océane. Un jour, peut-être, le message parviendra à quelques personnes qui se chargeront de le relayer. Un appel entendu, c’est l’accomplissement de changements attendus.
Restons dans cet optimisme, mais sans illusion. Nous n’en aurons pas encore fini avec les faux médicaments que nous devons déjà nous préparer à livrer bataille contre d’autres faux ceci, d’autres faux cela. C’est le cycle infernal d’un travail à la Sisyphe : chaque fois amorcé, mais jamais terminé, toujours entamé, mais jamais conduit à son terme. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nous sommes et parce que nous vivons dans un environnement faux, où tout est faux, où tout transpire et pue le faux.
L’univers de la politique, c’est, par excellence, l’épicentre du faux et le discours politique peut être tenu pour un bouillon de culture du faux. Aussi a-t-on pitié de ceux qui se fourvoient dans cet univers, la vérité à la bouche. La politique étant, avant tout, la gestion des intérêts contraires, le politicien se trouve constamment pris entre deux feux. Aussi, pour qu’il tienne debout, avec l’espoir de tenir en équilibre instable, le politicien se contraint à adopter diverses figures d’acrobatie. Il ment par devoir, par intérêt ou par omission.
Le faux n’épargne pas l’univers du beau. Et l’esthétique, à comprendre comme la science du beau, se trouve constamment piégée par les contre-valeurs que privilégient nos sociétés contemporaines, en termes d’apparences, en termes d’artifices. Dans une rue d’une grande agglomération africaine, Cotonou ou Kampala, Lagos ou Kinshasa, Abidjan ou Dakar, il y a gros à parier que plus de 50% des femmes que vous rencontrées n’ont pas leurs cheveux naturels, ont perdu la couleur originelle de leur peau, portent des articles et des vêtements avec de fausses griffes de marque.
Les juges, en nos tribunaux, se démènent avec des justiciables qui se rendent coupables de faux témoignages, dans l’intention de brouiller les cartes et d’égarer la justice. Tout comme ils ont affaire à ceux qui, par des faux en écritures, accomplissent l’exploit de faire évaporer des millions, voire des milliards de nos francs par les labyrinthes de la prévarication et de la corruption. Et ces graves manquements de nombre de nos cadres au devoir de leur charge, plongent nos administrations et nos entreprises dans un climat de faux permanent. Cela contraste fort avec l’apparence d’honorabilité et de respectabilité dont on cherche à s’entourer en ces milieux.
Ne parlons de l’essence Kpayo, le carburant de contrebande, qui étale et expose, au vu et au su de tous, le faux le long de nos rues et artères. Pourquoi donc, au jour d’aujourd’hui, le règne triomphant et sans partage du faux dans notre univers quotidien, dans nos existences individuelles et collectives ? Retenons, pour expliquer le phénomène, trois raisons au moins.
Le faux nous envahit et tend à s’imposer comme ce que nous avons de mieux à partager parce que nous ne savons plus que sacrifier à de faux dieux. Lesquels ont fini par nous éloigner du vrai Dieu. L’engrenage de l’argent à tout prix et à n’importe quel prix contre toutes nos valeurs humaines, dès lors que, pour de l’argent, nous sommes prêts à trahir nos idéaux, à marcher sur nos valeurs.
Le faux nous envahit et tend à s’imposer comme ce que nous avons de mieux à partager parce que nous avons écarté nos vrais modèles pour de faux modèles. Il s’agit de ces vedettes de quatre sous, de ces héros de l’éphémère, plus magiciens, que références ou des exemples à suivre. Il s’agit, pour tout dire, des produits de la mode, gonflés à coup de publicité, maquillés et fardés comme il n’est pas permis au moyen d’une communication pas souvent catholique.
Le faux nous envahit et tend à s’imposer comme ce que nous avons le mieux à partager parce que la généralisation de la culture du faux nous conduit à entretenir de fausses espérances. On rêve de voir le Bénin frapper un coup historique en gagnant la CAN 2010 en Angola. Belle ambition. Mais au lieu de donner la priorité au travail, on confie à ses talismans et à ses incantations magiques la mission d’aller nous ramener le trophée continental. On souhaite vivre dans un Bénin prospère. Désir légitime. Mais on s’emploie à faire un peu plus, chaque jour, pour s’éloigner des chemins qui conduisent à la prospérité. On ne sort du faux qu’en entrant dans le vrai, en prenant sa carte de membre du parti e la vérité.
Jérôme Carlos

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