Le Bénin, modèle du bio africain

Depuis 1985, le Centre Songhaï forme des agriculteurs à l’économie durable. Un succès qui s’exporte.
«La meilleure manière de combattre la pauvreté, c’est de rendre les pauvres producteurs.» Dans son bureau aux étagères chargées de livres, le père Godfrey Nzamujo résume son credo avec un français impeccable. Ce prêtre dominicain, d’origine nigériane et de passeport américain, est arrivé au Bénin en 1985 pour créer un modèle agricole alternatif : le Centre Songhaï. «Je voulais construire une économie durable qui convienne à l’Afrique, une économie basée sur la nature, raconte-t-il. Pour cela, il fallait amorcer de nouvelles forces, développer le capital humain et la technologie.» Le gouvernement marxiste-léniniste de l’époque lui alloue un hectare de terres à Porto-Novo, la capitale. Vingt-quatre ans plus tard, Songhaï s’étend sur 17 hectares.
Le centre regroupe une immense exploitation bio (agriculture, élevage et pisciculture), des sites de transformation de la production et une école. Une initiative modèle. Promu «centre d’excellence pour l’agriculture» par les Nations unies, le modèle Songhaï va être reproduit dans douze pays africains (1). Parce qu’il s’efforce de donner les moyens techniques aux paysans de renforcer leur sécurité alimentaire. Et développe un savoir-faire local qui vise à l’autonomie, évitant l’érosion des terres ou l’utilisation d’engrais.
«énergie». Le lieu a des allures de fourmilière. Près de 400 employés s’y bousculent, autant d’étudiants venus se former à l’agriculture durable. Car, dans cette ferme-école, on applique un principe simple : rien ne se perd, tout se transforme. Nzamujo résume le principe ainsi : «Dans la nature, il n’y a pas de perte, le végétal nourrit l’animal qui nourrit le végétal. C’est efficace. En Afrique, on est mieux placés pour reproduire ce cycle car la nature fonctionne douze mois sur douze. Elle nous bombarde d’énergie.» L’élève-agriculteur consacre, lui, son énergie à un autre cycle. Produire, transformer et commercialiser. Fabriquer ses machines en recyclant des métaux ou récupérer les déchets agricoles. Jusqu’aux déjections animales.
Ainsi, certaines volailles sont élevées dans des abris sur pilotis pour récolter plus facilement les fientes sous le plancher. Entassés sous de grandes branches de palmiers, ces déchets servent à la fabrication du compost utilisé pour les cultures maison, ou revendu par sacs de 50 kilos. Les eaux usées sont recyclées en passant dans des bassins communicants couverts de jacinthes, une plante qui purifie l’eau. Des canaux acheminent ensuite l’eau propre dans l’étang où sont élevés des milliers de poissons, nourris avec des résidus agricoles. Après, les jacinthes sont ramassées. Mélangées à des excréments d’animaux, elles se décomposent et donnent du biogaz utilisé pour les fours. Il y a aussi quelques panneaux solaires. Importés. Donc chers.
Mais les rendements sont en plein boom. Songhaï produit par exemple six tonnes de riz par hectare trois fois par an, contre moins d’une tonne par hectare une fois par an à ses débuts. Les prix, compétitifs, sont obtenus avec des installations d’une simplicité déconcertante. Le père Nzamujo, docteur en électronique, en microbiologie et en sciences de développement, a conçu lui-même la plupart des outils et des machines. Les pièces sont fondues et fabriquées sur place avec des débris métalliques. «Il faut que les producteurs aient accès aux moyens de production. Cette technologie doit être simple, réfléchie, peu coûteuse. Pas besoin de l’importer, on fait avec ce qu’on a.»

recette. Sur une des allées en terre, Tony, un solide Nigérian, pousse une brouette remplie de sciure. Après deux ans et demi de formation pour un coût modique, il rentrera bientôt chez lui, au Nigeria. «Je suis l’aîné, j’ai donc hérité des terres familiales. Je vais créer une ferme. Avec ce que j’ai appris ici, je n’ai pas besoin de gros moyens.» Grâce à un système de crédits, l’école soutient l’installation de ses élèves devenus des entrepreneurs agricoles. En partie subventionné par des bailleurs internationaux, Songhaï cultive son indépendance et génère un bénéfice d’un million de dollars (700 000 euros). Mais réinvestis pour développer les capacités du centre et mieux s’émanciper de l’assistanat.
Le gouvernement béninois l’a compris et veut s’appuyer sur cet exemple pour freiner l’exode rural. Il va aussi donner 6 hectares supplémentaires pour l’extension du site de Porto-Novo. C’est là que sera implanté le futur centre régional. Il pourra accueillir jusqu’à 1 000 personnes, tous ces voisins africains qui viendront voir, apprendre pour adapter la recette Songhaï à leur milieu et à leur climat. Recette miracle ? Plutôt symbole d’une émancipation loin des modèles de copié-collé importés des pays du Nord.

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De la créativité et du système D. «Dans chaque pays, ça va demander de l’engagement et de la volonté politique dans un contexte de ressources limitées», dit Erick Abiassi, du Programme des Nations unies pour le développement, à Cotonou. Le père Nzamujo le sait bien. Il a résumé son expérience dans un livre, Quand l’Afrique relève la tête (2), mais reste modeste : «Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour aboutir à la création d’une nouvelle société africaine.»
(1) Nigeria, Togo, Burkina, Ghana, Côte-d’Ivoire, Guinée, Liberia, Sierra Leone, Gabon, Zambie, Malawi, et Kenya. (2) Ed. du Cerf, 2002, 14,40 euros.
Delphine Bousquet envoyée spéciale à Porto-Novo (Bénin)

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