«L’art contemporain a bougé au Bénin ces dix dernières années»
Edwige Akplogan parle de son travaille artistique. Avocate plasticienne, sa dernière exposition au Bénin date d’octobre 2009 au Centre culturel français de Cotonou. Elle y a croisé son style avec celle de la Française Cécile Borne. Interview Vous avez fait une exposition lors du Festival international des arts et spectacles, en duo avec la française Cécile Borne, à Cotonou. Quel a été la particularité de cette exposition ?
Mon travail a été autour de la mondialisation. J’ai présenté une installation qui était composée de trois sculptures, trois Lègba en plexiglas, c’est-à-dire très modernisées sur un support de journaux. Ces journaux étaient tirés de l’ancien projet que j’ai fait avec la Fondation Zinsou sur «Bénin 2059». J’ai présenté trois grands panneaux de 5m de hauteur auxquels étaient adossés les Lègba. J’ai appelé cette exposition Mondialisation. On mondialise très exactement cette installation. J’ai présenté avec cette installation six tableaux avec du papier ciment et de la moustiquaire. C’est mon travail actuellement. Je mélange de la matière, des toiles, du papier et de la moustiquaire.
Quelque part, cette installation a pratiquement donné le nom et le ton à l’exposition parce que nous avons exposé à deux. C’est une rencontre qu’on a trouvé très fructueuse et en même temps riche de sens puisque mondialisation pour nous, c’est aussi se retrouver dans un autre type d’universalité, dans un autre type de dialogue égalitaire. Et Cécile Borne qui est de la Bretagne et qui travaille essentiellement avec des matériaux récupérés, utile des chutes de tissu, des choses qu’elle ramasse au bord de l’eau, au bord de la mer. Elle était venue à Cotonou il y a un an courant 2008. Elle avait récupéré des chutes de tissus qu’elle a retrouvées le long de la plage de Cotonou. Elle a aussi ramassé dans des poubelles, d’anciens dossiers administratifs, d’anciens Procès verbaux de police, des tranches de vie en somme. Et quelque part c’est ça son travail. Elle ramasse des tranches de vie à qui elle redonne vie en les montant, faisant des toiles très douce en agençant ces morceaux de Procès verbaux, etc. qu’elle place sur plexiglas.
J’ai trouvé que ce travail à côté du mien se rencontrait parfaitement d’autant plus que, en ramassant les morceaux de Procès verbaux sur les tas d’ordure à Cotonou elle est passée aussi à l’exposition «Bénin 2059» qu’il y a eu à la fondation Zinsou fin 2008 début 2009 et dans cette exposition où je présentais des journaux préfigurant des événements de 2059, c’est-à-dire le Bénin dans 50 ans. Elle a récupéré ces journaux qui ont fait parti de l’exposition. Elle en a fait d’autres œuvres. Des lambeaux de journaux ont été pris comme des tranches de vie, des lambeaux de tissus qu’elle avait. Elle les a imprimé, photocopié sur du plexiglas. Et quand on voit l’exposition, on a du mal à savoir qui a fait certaines œuvres puisque les mêmes matériaux ont servi dans les œuvres de Cécile et que, parfois, les œuvres de Cécile rentraient complètement dans mon travail d’installation. Alors que, nous ne nous étions pas vraiment rencontré avant. Nous n’avons fait aucun travail commun mais nous avons cheminé ensemble pendant six jours, six jours qu’a duré le montage de l’exposition et le résultat a été quelque chose d’assez harmonieux, d’assez homogène.
Imaginer le Lègba dans une mutation d’ici 50 ans, est-ce juste un projet artistique ou bien une prophétie?
Dans le projet de la fondation Zinsou, il s’agissait de préfigurer le Bénin dans 50 ans, le Bénin de 2059. Et je me suis dis que j’avais envie de prendre l’option optimiste, c’est-à-dire la vision dans 50 ans d’un Bénin prospère, d’un Bénin en développement, d’un Bénin développé et réellement associé à la marche du monde. Pour configurer cela, je suis parti du principe de la vision que le Bénin doit se réapproprier sa culture et choisir des options de développement innovant. Donc pas un développement calqué sur l’Occident mais un développement qui part réellement de l’histoire endogène du pays, de la culture. Et cette réappropriation de la culture, c’est aussi la réhabilitation d’un certain nombre de symbole.
De mon point de vue, le Lègba en tant que archétype, symbole du vodou, est l’intermédiaire entre le prêtre du vodou et les divinités. Le Lègba est le dieu fantasque, une divinité connue en Afrique du nord au sud parce qu’il a quelque part toujours intercédé entre l’homme et les divinités. Par ailleurs, le Lègba, si je l’ai pris, c’est parce que quelque part avec la colonisation et la superposition d’autres religions, il a pris un sens parfois très négatif notamment chez les catholiques. Or moi, je ne veux pas présenter un Lègba chargé de choses négatives. Je veux présenter ce Lègba modernisé, mondialisé. Il est en plexiglas, il est transparent, il est plein de lumière donc c’est un dieu de lumière. C’est étymologiquement ce qu’est ce dieu.
Le Lègba, normalement, sa tête représente le soleil. Moi j’ai introduit des lumières et des trucs scintillants et tout le personnage lui-même est transparent. Ce qui voudrait signifier qu’il n’y a pas d’occultisme ni d’obscurité en son sein, les choses obscures qui sont associées depuis la colonisation à cette religion du vodou qui, en réalité, est une réelle philosophie, une option de vie. C’est quelque chose d’extrêmement ouvert.
Vous avez transformé aussi la moustiquaire en une matière artistique. Comment est-ce que l’idée est née ?
Depuis 2001, j’ai travaillé avec la moustiquaire. Je l’ai intégrée dans mes tableaux parce que je voulais y inclure une certaine transparence. Cette transparence me permettait de présenter un tableau qui montre qu’on est à la fois avec le masque et sans le masque. Nous vivons tous avec un masque. Ce n’est pas forcement par hypocrisie mais c’est pour se protéger aussi. Dans la vie, tout le monde fonctionne avec quelque chose par rapport à autrui. La relation au monde est ainsi. Comment j’ai introduit la moustiquaire en même temps que le papier ciment, cette matière très riche à côté de la matière très souple qu’est la moustiquaire et que j’ai également introduite dans la sculpture parce que j’utilise aussi le grillage qui renvoie toujours à cette transparence ? Je fais des sculptures très souples avec du fil de fer souple habillé de grillage et de moustiquaire. Je crois que ce travail me permet aussi à la fois de présenter des tâches de couleurs mais en même temps de présenter de la matière, du relief dans mon travail.
Le visage de la création artistique au Bénin aujourd’hui. Est-ce que il y a une tendance à la recherche, à la créativité ou bien c’est la monotonie ?
La question n’est pas simple parce que ça dépend de quel côté on la prend et disons ce qu’on veut privilégier. Si on veut simplement prendre ces dix dernières années, on peut dire que l’art contemporain au Bénin a bougé parce qu’il a reçu aussi les secousses et les soubresauts de l’art contemporain au niveau africain et peut-être aussi le dynamisme de l’art africain au niveau mondial. Donc dans les dix dernières années effectivement ça a bougé. Ça a bougé aussi parce qu’une nouvelle génération de peintres a afflué en s’inspirant plus ou moins de la génération précédente, en travaillant par exemple avec de nouveaux matériaux. Que ce soit depuis la latérite jusqu’aux matériaux de récupération, on a vu quand même que ces dix dernières années, quelques artistes béninois ont opté pour des matériaux récupérés ou pour les travaux un peu latérite.
De ce qui précède, on peut dire que ça a évolué et ça a bougé dans le même dynamisme que ce qui se passe en Afrique. Mais en même temps, on ne peut pas dire qu’il y ait réellement une évolution autour d’un mouvement structuré. C’est ce qui ne se passe pas au Bénin. Il n’y a pas un mouvement qu’on pourrait dire collectif ; mais qu’on sentirait un groupe de peintres ou quelques plasticiens qui pourraient réfléchir par exemple ensemble et aborder une recherche esthétique commune. Même s’il y a une base diversifiée de part les itinéraires individuels de chacun, il n’y a pas ça au Bénin.
Au Togo par exemple, à un moment donné, il y a eu un petit mouvement qui s’est structuré autour de la latérite, autour de jeunes comme Azankpo, Papisco… Il y a eu une petite montée de jeunes peintres et qui ont décidé de travailler ensemble. Mais ici au Bénin, cela a été difficile. Moi j’ai pensé par exemple que les jeunes qui ont commencé autour de Makef, Adogra, Midy, Grek… avaient entamé quelque chose d’intéressant au niveau de la rue qui justement a été repris. Le mouvement de Miwononvi ou Rencart, j’avais pensé qu’à un moment, cela allait imprimer à cette jeune génération un dynamisme qui allait faire bouger les choses. Mais, peut-être qu’ils n’ont pas théorisé leur démarche. Ce qui fait que, je crois, c’est resté un petit peu un mouvement sans lendemain. La manifestation existe toujours mais est-ce que cette démarche intellectuelle a continué à se poursuivre ? Je ne pense pas.
Propos recueillis par Fortuné Sossa
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