Appel à candidature encore d'un "oiseau rare" (Abdoulaye Bio Tchané), erreur de Gbégnonvi
Monsieur le Professeur, J’ai lu comme beaucoup de béninois, par la presse nationale et internationale, votre lettre adressée à Bio Tchané le jeudi 11 février 2010. Vous y écriviez entre autre ceci : « …je me surprends à prendre position pour vous, alors même que vous ne vous êtes pas encore déclaré candidat, et que ce qui est possible, voire probable, peut ne pas se réaliser. Imprudence de ma part ? C’est possible. …Je me prononce pour vous et pour votre candidature à la Présidence de la République pour trois raisons qui tiennent à votre personnalité et à l’homme que vous êtes.
Mais, je vous connaissais déjà par vos chroniques. Je vous connais comme un intellectuel engagé et vous l’assumez courageusement contrairement à beaucoup d’autres scientifiques et intellectuels africains qui pensent qu’il faut rester barricadés dans les laboratoires avec les connaissances prouvées sans être rendues utiles pour la société par l’engagement des hommes de science eux-mêmes. Je veux dire cet engagement militant de l’intellectuel probe au sens de Soyinka ou de Mandela plus proches de nous ou au sens du défunt sociologue français Bourdieu. J’aime rappeler bien volontiers que le succès de l’Occident des Renaissances et des Lumières, c’était aussi en partie dû à l’engagement dans la sphère politique et sociale des hommes de culture et de science comme Diderot en France par exemple qui montrèrent la voie et lancèrent les torches. Nous avons besoin de ce type d’engagement des intellectuels en Afrique et au Bénin en particulier où l’espace politique et démocratique est envahi par des « mercenaires politiques », vous en conviendrez avec moi, pour reprendre l’expression du Président Amoussou Bruno dans ‘’Mon Combat pour l’Afrique’’ (2009)! Comme chez Russel ou Sartre, ma conviction est que les belles idées d’universalité ne peuvent avoir leur raison d’être, ou ne peuvent être appliquées que si les « philosophes eux-mêmes », les savants, hommes de science et de culture, s’intéressent, par delà les laboratoires et universités, à la question du pouvoir d’Etat pour balayer d’abord les lieux et apporter les lumières – « Scientists in Power first », comme dirait un cercle scientifique anglo-saxon. Pour quelqu’un comme moi, familier des thèmes de recherche en anthropologie de la connaissance dans les cultures non Occidentales, votre brève apparition au Ministère de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales a été un vrai succès parce que vous avez montré en quelques mois que l’écriture de nos langues est le premier gage de renaissance et de changement en Afrique. Mais il ne m’a pas semblé que vous ayez compris vos propres déboires dans ce Gouvernement dit du Changement, lorsqu’on vous a débarqué, à mon avis, parce que notre Président actuel n’a pas l’étoffe du Nationaliste éclairé qui peut résister aux pressions de ceux qui sont contre la mise en chantier des facteurs et expressions les plus intimes, endogènes et durables de l’indépendance de nos pays d’Afrique.
Permettez moi, cher Professeur, de vous dire que je ne vous suis parfois pas. Vous avez fini certes par claquer la porte aux Fcbe – Umpp. C’est courageux, car le Bolivarisme et le Sankarisme que vous rapprochiez si souvent du Yayisme n’ont finalement rien à voir avec la muflerie, le mensonge, la corruption, le vol généralisé de nos richesses, le régionalisme et l’alignement sur les forces rapaces. Le ‘’Bolivarisme’’ et le ‘’Sankarisme’’, c’est d’abord l’Intégrité, la Grandeur et l’Unité de la Nation. Même le ‘’Kérékouisme’’, quoique limité politiquement, n’était pas loin de nous faire rêver sur le plan de la concorde nationale tout au moins. Voilà que votre ancien poulain, Yayi Boni, que vous avez ‘’recherché’’ en 2006 de la même façon que vous ‘’recherchez’’ aujourd’hui Abdoulaye Bio Tchané, vient tout foutre en l’air! Si, vous avez fini par bien poser le diagnostic du Yayisme comme un courant désormais tristement célèbre dans l’histoire de notre République, pourquoi appelez-vous le pays à renouer avec les mêmes erreurs, je veux dire, à susciter la candidature ‘’solo’’ d’un ‘’oiseau rare’’, en la personne d’Abdoulaye Bio Tchané ? Non pas que Abdoulaye Bio Tchané serait en lui-même mauvais, car, même pour moi aussi – je rappelle que l’une de vos raisons tient à sa personnalité et à l’homme qu’il est -, ce Monsieur a montré beaucoup de courage lorsqu’il était Ministre et je cherche personnellement à le rencontrer. Mais le problème est sérieusement posé parce qu’il est invité par vous exactement comme le messie, le ‘’Timonier National’’, qu’on va arracher des milieux des banques mais jamais des milieux militants d’association, de syndicats et de partis, de ces lieux d’éducation politique où le destin commun est absolument pourtant plus collectivement maîtrisé. Ne voyez-vous pas cher Professeur, qu’Abdoulaye Bio Tchané au pouvoir dans les conditions où, un Parti ‘’constructiviste’’ est mis sur pied, un parti créé après coup lorsqu’on arrive au pouvoir et où se ruent les courtisans pour voler et tricher, ne voyez-vous pas, disais-je, que vous serez amenés dans quelques années encore, si votre nouveau poulain est élu, à reconnaître que vous vous êtes encore trompé ? Je parie que si Abdoulaye Bio Tchané est élu comme le messie ou ‘’l’oiseau rare’’ qu’on va nous amener encore, les premiers courtisans, le plus souvent affairistes politiques, ne vous laisseront pas accomplir les idéalités qui nous sont chères à tous! Ce sera encore de la déperdition. Pourquoi, alors, ne nous concentrons nous pas donc pour travailler à faire ‘’bien’’ pour de bon maintenant pour notre pays ?
Je vous concède qu’il n’y a de science que de tâtonnements et d’erreurs mais les tâtonnements et les erreurs sont du domaine de l’expérimentation qui aide par la suite à approcher le plus possible la certitude. Je me désole de vous voir, vous homme de science, de continuer de faire toujours des erreurs alors que, logiquement, le chemin de la certitude nous est montré. La certitude dans notre pays aujourd’hui, c’est d’appeler à suivre des fondamentaux en politique, à suivre des visions idéologiques collectives plutôt que des messies et des individus qui refuseront, après qu’ils se soient installés à la Gouverne étatique, la commande collective du destin national comme le fait à regret Boni Yayi actuellement. L’Union fait la Nation (UN) est sur la bonne voie même si sa vision idéologique n’est pas encore clairement proclamée. UN, en effet, n’appelle pas au messianisme mais veut construire un désir collectif, quoique libéral de notre point de vue et ce, malgré la caution sociale démocrate du Président Amoussou Bruno et de l’Honorable Sèhouéto Lazare.
Cher Professeur
Votre erreur, ‘’l’Erreur de Gbégnonvi’’, si ce que la presse a écrit est vrai, est grave parce que vous récidivez. A l’approche des élections présidentielles de 2006, vous et d’autres activistes de la Société Civile, parmi lesquels Rékya Madougou aujourd’hui Ministre, avez appelé à faire l’apologie, non de la qualité d’hommes politiques désintéressés pour le Bénin, mais de la technocratie, appelant même à supprimer le politique. Or, si les béninois condamnaient l’ancienne politique ruineuse, ils n’ont pas dit qu’ils ne voulaient pas de politique du tout. Le développement social et économique d’un pays, vous le savez, c’est par excellence d’abord une chose politique. Vous savez vous-mêmes que les technocrates se fichent pas mal des questions intellectuelles, philosophiques et sociales qui touchent au projet du destin commun et qui est mille fois plus complexe que les questions techniques et managériales. Les technocrates s’accrochent le plus souvent à leurs seuls intérêts égoïstes et immédiats en se cachant derrière le prétexte de leur supposée compétence technique.
Vous avez, à l’époque, en tant que dirigeants de la Société Civile, emballé le pays pour ériger en principe le fait que la fonction présidentielle est uniquement destinée à des ‘’oiseaux rares’’, souvent des dirigeants de Banque, ce que vous venez de réitérer. Or, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avant la question économique et technique, la solution politique en rapport avec la qualité des hommes est primordiale. Prenons le cas asiatique pour illustrer le propos : l’Asie a été victime comme l’Afrique des razzias des colonialistes Blancs et plusieurs pays d’Asie ont été envahis par les Japonais. Pourtant, en une génération, l’Asie est en train de réussir à constituer et à consolider des Etats et des économies viables lorsqu’elle donne la priorité au patriotisme politique, au volontarisme collectif, au facteur humain et aux valeurs traditionnelles asiatiques. Le problème dans notre pays, le Bénin, est donc politique avant d’être une affaire de technocrates ou de messie. Il peut être donc résolu. Objectivement, la crise en Afrique noire est celle d’abord des Hommes et des Institutions au nombre desquelles les partis politiques à qui il revient la tâche de proposer des représentants du peuple qui doivent en retour s’en remettre scrupuleusement aux orientations et aux décisions collectives réalisées au sein des partis. Pas l’inverse. Pas comme actuellement où les Fcbe ou Umpp ‘’béni oui oui’’, obéissent au seul Président Yayi Boni alors que c’est bien le dernier qui devait obéir au groupe ! Ce sera du pareil au même si Abdoulaye Bio Tchané arrive au pouvoir, non comme un candidat investi par un désir collectif, mais comme un messie.
Je suis amère comme vous face au recul du Bénin au niveau de presque tous les indicateurs de développement mais pour la solution, il faut que nous encouragions des regroupements de destin commun plutôt que les ‘’messies’’. J’invite par conséquent Abdoulaye Bio Tchané à rentrer dans l’un des grands regroupements politiques que j’appelle de tous mes vœux et qu’à l’intérieur du regroupement de son choix, qu’il accepte de confronter ses propres idées à celles de ses pairs pour des compétitions primaires. Cela prouverait l’attachement de l’homme à la discipline de groupe et fixera les uns et les autres sur la capacité de Abdoulaye Bio Tchané à respecter des engagements pris collectivement dans le cadre d’un programme de Gouvernement prédéfini.
Cher Professeur,
C’est indéniable ! L’élection de Boni Yayi a semé des illusions dans de larges secteurs de notre société. C’était un aveuglement parce que l’intelligentsia du pays n’a pas osé et su, en ce moment là, influencer la vague de mouvements spontanés et objectifs appelant à la candidature de l’actuel Président de façon à aider la société à s’élever intellectuellement. Par la suite et malheureusement, ce gouvernement s’est mis en rapport avec l’ennemi, je veux dire les réseaux des corrupteurs et corrompus, pour cesser le combat contre la corruption qu’il avait pourtant annoncé bruyamment. Or, si les contraintes, la corruption en premier, ont des effets graves et pervers sur le développement, si les hommes eux-mêmes, à commencer par ceux de nos administrations, sont complices, le rôle désintéressé du politique n’est pas de constater leur inéluctabilité mais plutôt servir l’exemplarité pour transformer positivement les réalités dans une mutation globale.
Cher Professeur,
Vous aurez compris que pour une entreprise de changement qui, par définition, est éminemment révolutionnaire, il aurait fallu qu’il y ait autour du Président et au service de la nation une armée puissante et disciplinée d’hommes et de femmes de cran et de caractère connus pour leur bonne moralité, leur impartialité, leur amour du travail et non pour leur retournement interminable de vestes et leur réputation à courir après le partage des privilèges et la manne financière. Mais, le Président a fait le choix de travailler, non avec des hommes de forts tempérament et personnalité mais avec des hommes malléables parce que hautement corrompus. C’est aussi parce que le Président ne se considère pas comme un militant d’un parti à qui il doit rendre des comptes mais comme le ‘’Tout Puissant’’. Ce sur quoi il faut donc insister, c’est la primauté de la solution politique en rapport avec la qualité des hommes sur la solution technocratique. La solution technocratique nous ramène malheureusement au clientélisme, à l’affairisme politique, à la subordination au ‘’messie’’, à l’émiettement des forces de droite comme de gauche et à des alliances de circonstance assez souvent contre nature, etc. dans le seul but de participer au partage des privilèges. Cette situation fragilise la capacité de proposer et de soutenir des solutions alternatives crédibles de développement pour le progrès économique et social intégral dans le pays. Elle enfonce par conséquent nos populations dans la pauvreté.
A mon humble avis, ce qu’il faut faire maintenant, c’est oser s’opposer et porter la contradiction collectivement, pas en faisant allégeance à un ‘’messie’’. La primauté, Grand frère et cher Professeur, doit être donnée à l’action collective et réfléchie à travers un groupement politique porteur du destin national sur les aventures d’un « messie » quel qu’il soit ! Et c’est là l’essentiel. Si l’Union fait la Nation ne fait pas, selon vous, l’unanimité pour agir, nous pourrions œuvrer avec des hommes d’une éthique nouvelle pour un autre rassemblement du destin commun du nord au sud, national et non ethnique. Nous ne voulons plus d’ ‘’oiseaux rares’’ sortis de nulle part pour diriger le pays. Nous avons, dans ce pays, des gens ‘’bien’’, des gens allés à l’école du militantisme dans les quartiers, les associations, les syndicats, les partis, etc., qui sont capables de porter haut nos ambitions collectives et de nous diriger. La solution à la chute du Bénin est citoyenne et patriote. Elle appelle d’abord au devoir citoyen et de salut public dans le rassemblement contre les forces rapaces et les corrompus. Elle appelle à rechercher et à identifier dans le rassemblement en milieu militant, et d’arrache pied, les talents les plus méritants et non à doigter le premier venu. En tous cas, je suis persuadé comme vous, Monsieur le Professeur, que le Bénin n’acceptera pas le sort que réserve le régime néo-Eyadema du Président Boni Yayi. Et j’ose croire qu’ensemble, nous allons relever le défi. Quoi qu’il arrive, demain comme aujourd’hui, la flamme de la résistance citoyenne pour le sursaut national allumée restera vive. La fuite est donc terminée!
Cher Professeur,
Il ne me semble pas que nous ayons droit à beaucoup d’autres erreurs dans les années à venir! Oui au Changement au Bénin! Mais changeons autrement ! Oui au Changement au Bénin mais changeons et agissons collectivement et avec conviction! Je suis persuadé que le Changement va toujours bégayer si notre seule voie est celle du ‘’messie’’. Elle ne nous apportera malheureusement, quelle que soit la personne du candidat suscité de la sorte, qu’un nouveau potentiel ‘’Dieu national’’ avec sa nouvelle cour de courtisans et affairistes politiques. Pendant que le développement, lui, attendra toujours.
Recevez, Cher Professeur, mes sincères salutations patriotiques.
Paris, le 16 février 2010.
ADJILE SEGLA Dafon Aimé
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