Le contribuable béninois doublement abusé
Depuis la publication de notre article sur le bradage de l’Ocbn, beaucoup de réactions ont suivi et proclament les meilleures intentions du gouvernement. Dès lors, il convenait d’investiguer davantage et d’analyser avec minutie les textes de la convention entre les Etats béninois et nigériens et Pic Network, afin de savoir si on s’apprêtait réellement à concéder dans les meilleures conditions l’Ocbn. On découvre alors avec stupéfaction qu’une fois encore, ce sont les Béninois qui sont pris pour les dindons de la farce. La procédure de mise en concession de gestion et d’exploitation des chemins de fer et des transports regorge des points sur lesquels on ne saurait ne pas s’interroger. Selon la lettre envoyée par le ministre des travaux publics et des transports au directeur général de l’Ocbn suite à la correspondance que lui-même a reçue du ministre d’Etat, Irénée Koupaki, on relève outre les anomalies mises en exergue dans notre précédente parution sur le dossier, deux autres majeures dont l’une en contradiction avec les dispositions de la convention. Il s’agit de l’injonction faite au Dg de ne plus recruter, ni signer des contrats sans l’avis de la société Pic network. Dans la convention, plus précisément à l’article, il est clairement stipulé que les clauses de la convention ne seront en vigueur que trois mois après sa signature. Or, alors même qu’on dit que la signature n’est pas encore intervenue, il est demandé au Dg de requérir l’avis de Pic Network Limited avant toute action. Est-il possible que des dispositions qui ne sont pas encore adoptées puissent déjà être prises en compte. Autrement, on est convaincu que la convention sera signée et que les trois mois de moratoire signifié dans les textes, ne sont qu’une pure formalité. Le second couac est que les Etats béninois et nigériens demandent au concessionnaire d’évaluer lui-même les potentialités technique, financier et en ressources humaines de l’Ocbn. Cela veut dire que le Bénin et le Niger ne connaissent pas la valeur de la société qu’ils veulent concéder. Le risque à ce niveau est que l’acheteur sous-évalue l’entreprise et qu’il donne au vendeur des données qui sont à son avantage. Ce qui occasionnerait un manque à gagner pour les deux pays. La question est de savoir si cette méthode est une pratique courante dans la mise en concession des entreprises, à savoir que l’acheteur même évalue la marchandise. Car, de toute évidence, aucune contre évaluation n’est envisagée par les deux Etats.
Le passif aux Etats, l’actif au concessionnaire
Dans la convention qui va lier les deux parties, l’article 7 parle des obligations et garanties de l’autorité. Ce qui retient l’attention ici, ce sont les dispositions qui y sont inscrites. Et en les parcourant, on ne peut empêcher les cheveux de se hérisser. Le point 7.3 par exemple indique que l’autorité concédante, c’est-à-dire les Etats, garantit au concessionnaire la prise en charge de toute dette, connue ou non connue, de tous engagements nationaux ou internationaux préalablement contractés. Le point 7.4 aussi rassure le concessionnaire de ce qu’il est protégé de toute réclamation ou action de tous tiers. La partie concédante faisant sienne cette querelle. Il est pourtant universellement reconnu que celui qui reprend une société en acquiert l’actif et le passif. Mais dans le cas d’espèce, c’est apparemment l’actif seulement qui est attribué à Pic Network Limited pendant que les Etats vont s’occuper de solder les dettes connues ou qui se révèleront plus tard. Quand bien même les deux pays vont détenir 25% de la société à créer en lieu et place de l’Ocbn, on se demande la norme suivant laquelle le
baby-sitting du Bénin et du Niger va continuer pour s’occuper du passif. Déjà, on constate que la redevance de concession est seulement de 2% du chiffre d’affaire annuelle et qu’il n’y a eu aucun autre versement de la part de Pic Network Limited pour s’approprier le réseau ferroviaire béninois. D’aucuns estiment que la société concessionnaire a milité pour que le Bénin puisse trouver des partenaires qui ont permis d’avoir les locomotives actuellement fonctionnelles et celles à venir. Cela suffit-il pour que Pic Network s’empare de l’Ocbn selon les termes de la convention ?
Le comble du cynisme
Dans cette affaire, mieux les jours passent, plus on découvre d’anomalies. En 2007 déjà, un conseil des ministres autorisait les négociations avec Pic Network Limited. Puisque cette société fait partie des structures prises en compte dans le projet « Epine dorsale ». Ce qui revient à dire que le gouvernement du Dr Boni Yayi savait que la société des cheminots allait être cédée. Et pourtant, il a attendu 2009 pour y investir plus de six (06) milliards et donner un nouveau souffle à l’entreprise. Des sommes que le contribuable aura à rembourser puisqu’il s’agit des prêts qui serviront à acheter de nouvelles locomotives, qui sont d’ailleurs annoncées pour le mois prochain. Alors qu’il lui reviendra aussi d’endosser le passif à évaluer de l’Ocbn ? Autrement, devrait-on penser que c’est l’argent du contribuable qui sert de fond d’investissement à l’entreprise Pic Network ? En ce sens que ce n’est plus l’Ocbn qui va utiliser les véhicules, mais la société concessionnaire qui n’aura rien débloqué pour le moment. La redevance de 2% ne devra intervenir d’ailleurs qu’à la date du 31 janvier qui suit la clôture de l’exercice. Laquelle redevance devra d’ailleurs être versée dans un Fonds de développement ferroviaire duquel ne peuvent non plus disposer librement les Etats. Pis, tout ce qui est contrat aujourd’hui à l’Ocbn sera transféré à Pic Network Limited. Et la question majeure demeure : quel est le montant de la transaction ? A combien Pic Network Limited prend-elle possession de l’Ocbn ?
Un marché de dupes bien pensé ?
Dans ce qui s’en devenir « l’affaire Ocbn », il s’installe de plus en plus une polémique qui pourrait bien finir par embrouiller le public. Afin d’édifier le contribuable béninois qui risque de perdre doublement dans cette concession en vue, il convient de replacer le dossier dans son contexte.
Trois dates renseignent approximativement sur le cheminement qui conduit à ce qu’il convient d’appeler projet de concession de l’Ocbn. 27 juillet 2007. Le Gouvernement béninois, en conseil des ministres, autorise entre autres « la signature par le Bénin d’un protocole d’accord avec la Société PIC NETWORK LIMITED d’une part et d’un contrat de partenariat avec le Cabinet MOVALIS ». Le communiqué du Conseil des ministre N° 21/PR/SGG/Com/2007 qui en rend compte ne renseignait ni sur les ministres du Gouvernement chargés de la mise en œuvre de cette décision, ni sur l’objet des protocole et contrat de partenariat à signer, encore moins sur la nature et l’activité des partenaires en question.
Le 25 janvier 2010, le cabinet du Ministre d’Etat, Pascal Iréné Koupaki sert de cadre à la signature des documents validant la Convention-cadre de partenariat public-privé entre le Bénin et la société PIC Network Limited. Ladite convention, aux dires des parties contractantes, constitue le cadre formel du projet « Epine dorsale du développement intégré de l’économie béninoise ». A la même occasion l’on apprend que la conception puis l’approbation du cadre juridique formel de ce projet auront démarré le 22 mars 2007, soit quatre mois avant l’autorisation par le Conseil des ministres de « la signature par le Bénin d’un protocole d’accord avec la Société PIC NETWORK LIMITED … ».
Une quatrième date de l’année 2007, et qui reste imprécise, aurait été celle où le Chef de l’Etat a donné mandat à PIC Network Limited pour rechercher et mobiliser des partenaires et des investisseurs crédibles et capables de conduire la réalisation d’un programme d’infrastructures socio-économiques de développement de la chaîne des transports au Bénin. Aux dires du Ministre d’Etat Koupaki, à l’occasion de la signature de la convention-cadre le 25 janvier dernier, le projet « Epine dorsale … » est fait de cinq composantes majeures à savoir : la réhabilitation, la rénovation et l’extension du chemin de fer Bénin-Niger ; l’édification d’un nouvel aéroport international à Kraké ; la construction d’un nouveau port en eaux profondes à Sèmè ; la construction de ports secs à Parakou et dans d’autres localités à définir : puis la construction de voies autoroutières. Les investissements projetés à travers le projet seraient de l’ordre de l500 milliards de francs Cfa sur les dix à quinze années à venir. Raison pour laquelle le Gouvernement accorderait au projet le bénéfice des dispositions pertinentes du régime « E » relatif aux investissements structurants du code des investissements.
Au regard de cette chronologie des faits, il est aisé d’inscrire la prochaine concession de l’Ocbn à PIC Network Limited dans le projet « Epine dorsale … ». Il reste cependant prudent de savoir que « le chemin de l’enfer est pavé de bonne intentions ». Les clauses du projet de convention de concession de gestion et d’exploitation des chemins de fer et des transports entre le Bénin et le Niger et PIC Network Limited, à plusieurs égards, ne semblent pas équitables. Il y a de forts risques que le contribuable béninois revienne doublement perdant à la fin.
Georges AKPO
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