Le Bénin et le syndrome togolais

En attendant la Cour constitutionnelle, et la prise urgente d’une autre loi sur la fameuse Lepi, on peut dire que le vote de la loi portant abrogation de la liste électorale permanente informatisée et du Réna est une excellente nouvelle pour deux raisons et deux raisons seulement. En votant la loi avec une majorité certes étriquée mais franche, les députés ont administré la preuve que leur institution, en dépit des contradictions qui la minent n’est pas une caisse de résonnance totalement inféodée au pouvoir exécutif, comme on l’observe presque partout ailleurs en Afrique. Elle est capable de sursaut, lorsque les intérêts de l’un ou l’autre des camps en présence ne sont pas pris en compte. La deuxième raison qui découle de la première est que la preuve est ainsi faite que dans notre cher et beau pays le Bénin, le pouvoir peut encore arrêter le pouvoir, ce qui n’est pas, loin s’en faut, la chose la mieux partagée en Afrique. Et il faudrait s’en réjouir et oeuvrer pour que cette tendance perdure. Venant après les derniers développements de la situation politique au Togo voisin avec une Ceni qui proclame des résultats dans une opacité et une confusion totales, après une panne insolite sur les installations de transmission des résultats, le coup de force des députés révèle à l'envi que l'Exécutif chez nous n'est pas assez fort pour dicter sa loi n"importe quand , n'importe comment et tout le temps.

En affirmant ce qui précède, nous ne voulons aucunement occulter les arrières pensées des partisans de l’abrogation de la Lépi à n’importe quel prix. Mais nous ne perdons pas de vue non plus la vraie fausse volonté du pouvoir de réaliser la Lepi. Nous ne voyons ici qu’un pouvoir qui fait du forcing pour imposer sa Lépi et une opposition qui résiste et qui en appelle à la concertation. Dans nos pays africains où l’Exécutif, doté de tous les moyens que confère le pouvoir, est déjà très fort, il faut toujours qu’il reste la possibilité de contester ce pouvoir pour qu’il ne devienne pas fou. Nous savons pertinemment que les dirigeants de l’Un qui sont parmi les plus grands défenseurs d’une Lepi dite consensuelle ne sont pas tous que des ardents et sincères partisans d’une Lepi totalement transparente. Mais nous ne voulons pas tomber, comme certains de nos amis promoteurs de réseaux de transparence, dans le piège du pouvoir qui laisse croire qu’il veut réaliser la Lépi, alors qu’il est resté longtemps sourd aux appels à la gestion consensuelle. Il faut d ‘ailleurs chercher dans toute la classe politique un seul acteur qui n’est pas intérieurement content des conditions artisanales dans lesquelles les listes électorales sont confectionnées et qui ne prie pas ardemment pour que rien ne change. Malgré toutes les professions de foi contraires ! Tout le monde sait que c’est dans ces seules conditions d’opacité et de confusion que tout est permis( fraudes multiformes , doubles inscriptions, inscriptions de morts, d’étrangers et de mineurs)et qu’on peut faire le plein des voix dans son fief.

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La vérité est que l’institution de la Lepi tout comme avant elle, la Cena elle-même est mortellement frappée d’un péché originel : la suspicion permanente que nourrissent les différents acteurs les uns envers les autres .Tout en prêchant la transparence, chacun veut
secrètement maîtriser le contrôle de l’organe de gestion des élections. On sait aujourd’hui que les initiateurs de la Cena voulaient au départ d‘une structure de gestion des élections qui échappe à la tutelle du pouvoir exécutif mais qui n’échapperait pas au contrôle des acteurs politiques. Et ce n’est pas pour rien que sur tout le parcours d’organisation des élections, ils y mettent les leurs : agents recenseurs, membres des bureaux de vote etc. Au fil des élections, on en est arrivé à un système presque paritaire de surveillance mutuelle. Ailleurs en Afrique, les Ceni ou les cena sont composées de hauts fonctionnaires choisis dans des corps supposés neutres comme celui des magistrats et de la société dite civile et les acteurs politiques ne sont que des observateurs. Ici au Bénin où personne n’est vraiment neutre, les politiciens ont choisi d’investir directement la Cena et l’organe de supervision de la Lepi, pour mieux se surveiller. Il est important que ce système paritaire, consensuelle de surveillance mutuelle soit maintenu. Car, jusqu’ici, tout s’est relativement bien passé, malgré les graves insuffisances du système et personne n’a jamais durablement contesté les résultats des élections proclamés par la Cour Constitutionnelle, comme cela se passe au Togo.

Et si la présente Cour Constitutionnelle qui a érigé le consensus au rang de principe à valeur constitutionnelle ne renie pas sa fameuse décision, elle devrait accéder à la requête des ‘’abrogateurs’’ pour un système de représentation paritaire. Ainsi ne connaitrons-nous jamais (nous osons l’espérer !)cette situation ubuesque où le pouvoir exécutif togolais s’assoit sur l’organe de gestion des élections et fait saisir le matériel informatique avec lequel l’opposition entend faire la preuve du holdup électoral dont elle se dit victime.

Vincent FOLY

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