C’est juste et c’est la vérité : la santé est souvent au bout d’un mal bien diagnostiqué. Parce qu’il s’agit, ce faisant, de déterminer la nature du mal d’après ses symptômes et l’examen clinique du patient. Le médecin ne se sent alors que plus à l’aise pour prescrire l’idoine thérapie.
Un pays en crise est à l’image d’un patient. Il faut s’appliquer à diagnostiquer le mal dont il souffre, à prendre les mesures qui s’imposent pour espérer voir le pays recouvrer la santé. On ne saurait soutenir que le Bénin, au jour d’aujourd’hui, se porte bien et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le Bénin est malade et il n’est point besoin d’être grand clerc pour le savoir. Le Bénin est malade de tout. De sa politique, par exemple, pour nous limiter à cette seule sphère de nos réalités nationales.
L’exécutif, depuis quatre ans, n’a cessé de manifester, de manière répétitive, la volonté d’opérer des passages en force. C’est l’expression de l’appétit de tout contrôler, de la boulimie de tout régenter. Cela détonne quelque peu dans un système qui se veut démocratique. Cela dévoie toute idée de gouvernance concertée, de recherche de consensus et de dialogue.
Face à quoi l’opposition se débat comme un beau diable dans un bénitier. Mais ce n’est point une raison pour donner à cette opposition le bon Dieu sans confession. Nous pouvons être des adversaires qui se combattent âprement sur des idées, sur des projets. Une démocratie libérale, qui plus est multipartiste, tient sa force et sa vitalité d’une telle confrontation. Dans ce cadre, être des adversaires attelés à construire une même maison, cela s’entend. Ne dit-on pas que c’est de la confrontation des idées que jaillit la lumière ?
Mais se transformer en d’irréductibles ennemis décidés à se marquer à la culotte, à en découdre comme des chiffonniers, à se combattre sans merci et à s’autodétruire sans compter, voilà, le mal absolu. Il croît de jour en jour, dans un camp comme dans l’autre. Il se laisse lester d’un capital de haine que les Béninois, dans leur immense majorité, ne soupçonnent point. Et rien ne dégonfle cette énorme vague qui avance à marée montante tel un sunami dévastateur.
Le Parlement, qui donne le mieux à saisir la cartographie politique du Bénin, est l’exact reflet de ces luttes d’influence suicidaires entre groupes et factions en bagarre constante. Non pour que çà aille mieux pour le pays, mais pour que la furie de cette guerre qui ne dit pas son nom divise un peu plus le pays. Et il se trouve que, selon un précepte biblique, toute maison divisée contre elle-même se condamne à mourir. On ne comprend que mieux le désarroi du peuple. Il ne s’explique pas pourquoi les enfants d’un seul et même pays s’amusent à ce jeu de massacre. Il ne s’explique pas non plus pourquoi, depuis toujours, en dépit des promesses qui lui sont faites à saison régulière, il n’a pour lot quotidien que la misère, la pénurie, la maladie… Seul un diagnostic pourrait le tirer du doute et le conduire à la lumière de la vérité.
Il faut trouver les racines du mal béninois dans une crise de confiance généralisée. Les mots ont perdu tout leur sens. Et plus rien ne se revêt du moindre caractère sacré. Nous avons allègrement franchi le seuil de tous les interdits et fait le pied de nez à tous nos totems. Qu’arrive-t-il, dans une partie où les différents acteurs découvrent qu’ils ne jouent plus sous le contrôle et la vigilance d’un arbitre et que toutes les règles du jeu sont caduques ? La tricherie devient la norme et les coups bas la règle.
Il faut trouver les racines du mal béninois dans le soupçon généralisé. Parce que personne n’a confiance en personne, tout le monde se méfie de tout le monde. L’arène politique, l’espace public se transforme en un théâtre de masques, chacun cachant son visage, chacun tenant un double langage, chacun jouant à un double jeu. Plus c’est opaque et obscur, plus les uns et les autres se sentent à l’aise comme un poisson dans l’eau. Le faux, dans un tel contexte, est la marque distinctive de tout ce qui se dit et se fait. C’est le cachet de validation de tous les mensonges ainsi érigés en parole d’évangile.
Il faut trouver les racines du mal béninois dans le désintérêt de plus en plus prononcé pour la chose publique. C’est ce qui arrive tout logiquement quand tout s’affaisse et se délite, dès lors que tout le monde a choisi de s’asseoir, s’abandonnant aux bons soins de Dieu pour être poussé. Sur les décombres de l’Etat républicain (res publica, c’est-à-dire la chose publique) s’érigent des fiefs personnels et personnalisés, s’élèvent des propriétés privées ou des empires privatisés. Voilà comment un pays se divise soudain en un peuple de propriétaires terriens et en un peuple de gueux sans terre. L’histoire enseigne que c’est souvent dans ces tristes conditions qu’intervient le Grand soir. C’est bon de le savoir. Mais il vaudra toujours mieux prévenir que guérir.
Jérôme Carlos
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