{mosimage}Débat. Voilà ce que la démocratie au Bénin se doit d’intégrer au plus vite comme l’un de ses plus sûrs supports. A l’étape actuelle de l’évolution de cette démocratie, le débat reste davantage un concept joyeusement taquiné qu’une pratique solidement éprouvée. Le débat ne fait pas encore florès dans l’arène politique. Il n’a pas les faveurs des animateurs de cet espace. Même constat sur nos médias. Nos journalistes doivent aller, pour la plupart, à l’école de ce genre qui ne s’accommode point de leurs discours unilatéraux, de leurs injures irrespectueuses.
Dans un débat, comptent moins les idées du journaliste, que rien n’autorise à jouer les censeurs, que les idées des personnes en débat. Par ses qualités professionnelles, le journaliste, dans un débat, tient plutôt le rôle d’un arbitre. Il est un accoucheur de vérité. Quand il sait valoriser ses interlocuteurs et faire circuler la parole, il réussit la belle alchimie de la confrontation des idées, arguments contre arguments, pour que jaillisse la lumière.
Le dictionnaire définit le débat comme « action de débattre une question et de la discuter. » ou « Discussion organisée et dirigée. » La déclaration de l’honorable Rosine Vieyra, épouse Soglo, le jeudi 4 mars 2010 au Parlement, est-elle à débattre ou est-elle à diaboliser ? En tout cas, cette déclaration n’a pas laissé les Béninois de marbre. Dans les marchés, bureaux, maisons, chacun y était allé de son commentaire. Plusieurs médias ont trouvé matière pour des manchettes flamboyantes. D’autres, comme s’ils se mandataient eux-mêmes pour porter la réplique à Rosine Soglo, ont choisi les chemins scabreux de l’injure.
Qu’a pu dire Rosine Vieyra pour mériter cette volée de bois vert de la part de journalistes dont la mission première est d’informer le public ? A ce que nous sachions et jusqu’à preuve du contraire, informer, c’est faire savoir, c’est faire comprendre. Rosine Vieyra, dans sa déclaration, mettait le doigt sur le régionalisme, ce cancer ancien qui ronge notre pays, cette guerre muette qui sévit dans et entre nos diverses communautés ethniques. Cela transparaît dans nos propos. Cela colore les mots que nous utilisons. Cela détermine nos comportements individuels. Cela oriente nos décisions politiques. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Les propos de Rosine Vieyra, sous ce rapport, sont de l’ordre de l’inédit dans le contexte béninois. Car, chez nous, il y a comme un accord tacite de tous entre tous pour ne jamais parler de certaines choses. Même si nous voyons chaque jour les méfaits de cette politique de l’autruche. Même si nous appréhendons les dérives qu’elle entraîne, les menaces qu’elle fait peser aussi bien sur notre présent que sur notre avenir.
Le bon accord entre Béninois, sur ce chapitre, ne saurait résider dans une sorte d’omerta consensuelle, une loi du silence qui nous obligerait tous à nous taire face à un mal qui s’étend. Le bon accord, c’est d’en parler en toute confiance. Il y a lieu d’exorciser l’interdit pour se libérer, de casser le tabou pour se soulager.
Face à quoi, quel doit être le rôle de la presse ? Est-elle appelée à faire emboucher à ses animateurs la trompette de l’injure ? Ne doit-elle pas se dévouer à distribuer, en la faisant circuler au mieux, la parole entre les citoyens d’un même pays, face à un enjeu dont dépend et leur présent et leur avenir ?
C’est notre conviction que l’injure ne peut tenir lieu d’argument. C’est presque toujours l’arme des faibles soucieux de noyer le poisson, parce que en mal de produire des idées, parce que incapables de soutenir la charge des idées des autres. Dans un contexte d’interrogations, de recherches de nouveaux repères et d’un nouvel éclairage pour savoir plus et pour comprendre mieux, le professionnel de la presse a mieux à faire qu’insulter. Par le débat, qu’il peut organiser et diriger, il a toutes les cartes en mains pour se faire l’éclaireur de ses compatriotes.
Mais un débat se prépare. Le journaliste qui prend le risque d’en organiser un n’a pas que la bouche fleurie de questions. Ce journaliste doit également veiller à avoir en mains des exemples qui l’aident à illustrer son propos, des faits et des chiffres qui l’aident à soutenir et à appuyer ses propres idées. C’est en cela que le débat, pour un journaliste, sous l’angle de sa préparation, est un exercice difficile. Il s’agit presque toujours d’une longue, patiente et laborieuse élaboration. Rien ne doit être négligé. Tout doit être vu et revu dans le détail. Car l’objectif, ici, n’est pas de déchaîner les passions, d’enflammer les cœurs et les esprits, mais de fixer des idées qui appellent réflexion, de clarifier des situations pour lever les ambiguïtés, d’éclairer les esprits pour susciter prise de conscience. C’est ce en quoi le débat se différencie fondamentalement du meeting. Trêve de bavardage : et si nous nous invitions tous à l’école du débat ? Le Bénin ne s’en porterait que mieux.
Jérôme Carlos