Au-delà de l’affaire ICC Services

Elle figure désormais au chapitre de nos plus grands scandales, cette affaire de placement d’argent qui défraie la chronique. Des Béninois appâtés par la promesse de versements d’intérêts à des taux dépassant tout entendement, se sont dépêchés d’aller confier leur argent à une société de placement appelée ICC Services.

Et ce sont des milliards de nos francs qui ont été collectés en quelques années. Mais des milliers d’épargnants vont se rendre compte qu’ils ont été floués dès lors que la structure auprès de qui ils ont placé leur argent n’est plus en mesure de respecter ses engagements.

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« Adieu veau, vache, cochon, couvée ». Un peu à la manière du fabuliste campant un grand et beau rêve brisé, projetant, sur l’écran de nos consciences, l’image hallucinante de ceux et de celles qui, en une fraction de seconde, sont brutalement précipités de leur petit nuage pour les abysses d’une incroyable désillusion. Dire que, dans cette affaire, certains ont englouti leurs économies, beaucoup se sont endettés. Les uns et les autres se rendent compte qu’ils ont été les dindons d’une énorme farce.

Beaucoup de voix, et non des moindres, se sont élevées pour fustiger nos rapports ambigus avec l’argent. Elles ont critiqué notre propension à croire que nous devons nous enrichir à tout prix, attendant tranquillement que les billets de banque tombent du ciel comme la manne sur le peuple de Dieu dans le désert. Elles ont dénoncé ce culot du diable qui nous pousse à vouloir nous enrichir à n’importe quel prix, au risque de brader nos valeurs, au risque de marcher sur ce que nous tenons encore pour sacré.

Nous n’emboucherons pas, à notre tour, la trompette d’une moralisation de notre société prise dans les filets du gain facile. Qui peut se sentir honorer par l’image de Béninois, par l’odeur de l’argent alléchés, et qui expédient à la poubelle toutes nos valeurs cardinales, se pourlèchent les babines, à l’image de fauves à l’appétit d’ogre ?
L’affaire ICC Services révèle que le gain facile que nous pointons du doigt, aujourd’hui, se cultive régulièrement dans notre société, de la manière la plus publique et la plus officielle, se diffuse largement dans notre société, de la manière la plus insidieuse et la plus efficace.

Que font-elles toutes nos structures de loterie, de loto et autres trouvailles du genre ? A quoi contribuent-elles toutes les autres que nous avons établies avec l’autorité de la loi, comme les machines à sous, les établissements de jeux d’argent, genre casino, les organismes de paris et de pronostics…etc. ?

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Qu’on ne demande pas à ce qu’ils boudent ou à ce qu’ils se méfient des promesses mirifiques de ICC Services, ceux et celles qui ont été élevés et éduqués dans l’idée que l’argent peut se gagner par chance, par hasard, d’un coup de dé, d’un coup de baguette magique ou selon le bon vouloir de la fée de l’abondance. Comme quoi, est ancienne et enracinée la culture du faux, la culture de l’enrichissement par les voies les moins orthodoxes. Une culture qui a des assises et des ramifications dans toutes les couches sociales de notre pays. De ce point de vue, ce qui arrive à ICC Services n’est point un accident qui doit nous surprendre outre mesure. C’est l’effet naturel d’une loi de causalité votée et promulguée par nous-mêmes.

L’affaire ICC Services révèle, par ailleurs, que c’est au marché de la rumeur que la plupart de nos compatriotes vont faire provision d’éléments qui guident et orientent leur vie. C’est en cela que nous restons incurablement une société de l’oralité, dominée par les bruits qui courent, structurée autour du bouche à oreille que le téléphone portable a redoutablement renforcé et rendu efficace.

Une enquête rapide déterminera que la plupart de ceux qui se sentent aujourd’hui floués par ICC Services, et qui veulent reprendre leurs billes, ne se sont laissés aller à cette aventure que sur la foi des rumeurs faisant état des « miracles » que réalisait cette structure. On ne vérifie rien. On ne prend aucune précaution. Dès lors qu’on croit avoir trouvé sa vérité, la vérité. La rumeur a ainsi ouvert des autoroutes sur lesquelles se sont lancés nos compatriotes. Le pied au plancher, ils ont filé droit et ventre à terre vers l’inconnu. L’affaire ICC Services, en cela, est un test de maturité pour nos populations.

L’affaire ICC Services révèle, enfin, que l’individu, être de liberté et de responsabilité, est à naître dans notre société encore largement dominée par le groupe, par l’esprit grégaire et moutonnier. En l’absence d’une réflexion critique pour limiter les dégâts et dont seul est capable l’individu, le groupe court à sa perte. Il additionne ses faiblesses. Il mutualise ses bêtises. Le résultat d’une telle démarche ne peut être vécu que comme une catastrophe collective. C’est le cas, aujourd’hui, avec ICC Services.

Jérôme Carlos

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