La vision. Voilà un mot qui a envahi le discours politicien. Et à force d’être mis à toutes les sauces, il a fini par être vidé de tout contenu. Pourtant le mot veut dire ce qu’il veut dire, à la fois, perception du monde extérieur par les organes de la vue, action de se représenter quelque chose en esprit, image mentale…etc.
La vision est à toute action de développement ce que l’oxygène est à la vie, c’est-à-dire nécessaire et indispensable.
La notion étant encore floue dans les esprits, essayons de la tirer des sombres caniveaux où nous ne l’avons que souvent enfermée. Et ce, grâce à ces quelques exemples dans lesquels elle nous semble voir été oubliée ou ignorée. Des exemples pris sur nos quelques chantiers où nous nous acharnons à construire aujourd’hui, mais sans une vision d’avenir.
Premier exemple. Pour les cinquante ans de son indépendance – événement exceptionnel s’il en est – le Bénin tout entier s’est donné rendez-vous, le 1er août prochain, à Porto-Novo, sa capitale politique et administrative. Mais la ville sera-t-elle prête pour accueillir à bonne date et dans de bonnes conditions le pays tout entier ? Interrogation inquiète qui traduit la crainte d’un ratage. Pourtant les excavateurs, les marteaux pilons, les grues géantes et autres gros engins du génie civil couvrent de leur bruit la ville, de jour et de nuit. Rien ne sert de courir, nous apprend le fabuliste, il faut partir à point. Et voilà que les pluies dont c’est la saison et que nous aurions dû comptabiliser dans notre programmation, s’invitent, chaque jour, pour nous rappeler notre retard, donc notre manque de prévision et de vision sur ce chantier. La course contre la montre ainsi engagée à Porto-Novo, pour que nous soyons au rendez-vous du 1er août 2010, instruit le procès de nos improvisations dans tout ce que nous entreprenons. Il instruit surtout le procès du dossier des fêtes tournantes de l’indépendance qui mériteraient bien d’être auditées d’Abomey à Parakou, de Lokossa à Porto-Novo.
Deuxième exemple. A coup de communiqués relayés par tous les médias, nous sommes informés des perturbations actuelles dans la circulation à Cotonou. De grands travaux viennent d‘être engagés par une société de la place. Il s’agit, pour cette société, de revoir et de rénover le réseau de son dispositif souterrain de convoyage des hydrocarbures du port de Cotonou à son dépôt situé au quartier dit « Akpakpa Dodomê ».
Nous investirons beaucoup d’argent dans une opération immédiatement utile, voire nécessaire. Mais à quel prix ? L’opération en cours consolide dans la durée la présence de ce dépôt de produits inflammables dans un quartier qui a perdu depuis longtemps son statut de zone industrielle. Nous avons affaire, désormais, à une zone de fort peuplement, voire à une zone résidentielle avec le quartier JAK à quelques encablures de là. Un dépôt de carburants, donc de produits dangereux, à cet endroit, instruit le procès d’une absence tragique de vision, de prévision et de prévoyance. Notre bonne volonté à agir dans le présent n’est-elle pas dévoyée par notre cécité à faire l’impasse sur les problèmes environnementaux d’aujourd’hui et de demain ? Comment pouvons-nous avoir déjà oublié le drame survenu, il y a quelques années, dans la même zone, avec l’explosion d’une brasserie ?
Troisième exemple. Le Bénin vient de réceptionner des trains flambant neuf, locomotives et wagons, destinés à restaurer, chez nous, le transport ferroviaire. Voilà qui tirera d’un si long sommeil l’Office des Chemin de fer Bénin-Niger (OCBN). Voilà qui réjouira des centaines de travailleurs en chômage technique depuis des années. Voilà qui soulagera les membres des familles de ceux-ci solidaires de leur malheur. Nous pouvons nous en tenir à ces quelques considérations pour justifier les sacrifices consentis : plusieurs milliards de nos francs pris sur nos maigres ressources. Par ailleurs, toutes les études soulignent l’importance du transport ferroviaire, facteur d’une incontestable valeur ajoutée à l’économie nationale. Qui reprocherait à notre pays une telle option ?
Mais les spécialistes nous assurent que les trains se classent par génération. Ils s’apprécient quant à leur niveau de modernité par rapport à l’écartement des rails. Ce qui voudrait dire que si les trains que nous venons d’acquérir devraient rouler sur nos rails, hérités, il faut le préciser, de la colonisation, des rails à petit écartement, il y a une forte probabilité que nos nouveaux trains, mêmes neufs, ne soient pas de génération récente. Dans ce cas, nous aurions à craindre qu’ils ne répondent pas à une exploitation moderne et optimale. Nous aurions ainsi choisi d’entrer en gare par le plus petit écartement des rails. Cela nous obligerait, sous quelque temps, à ranger nos beaux trains d’aujourd’hui au musée des antiquités et des curiosités. Pour qu’il ne soit pas dit que c’est à pure perte que nous avons soutenu la cause du rail dans notre pays, nous avons besoin que nos autorités éclairent, sans délai, notre lanterne. Est-ce trop demander ?
Jérôme Carlos