S’il y a un sujet qui a tenu tout le peuple béninois en haleine au cours de ces derniers mois, c’est bien celui de la Liste Electorale Permanente Informatisée. Curieusement, ce sujet qui a défrayé la chronique pendant de longs mois, a tendance à s’effacer progressivement du devant de la scène alors même que les acteurs de la réalisation de la LEPI n’ont pas encore fixé clairement l’opinion sur le sort réservé à la suite du processus.
Plusieurs questions demeurent en suspens sur le processus de réalisation de la Lépi. Il s’agit entre autres des suivantes
– Où en est-on avec les rapports du groupe de travail ATAYI-GUEDEGBE ?
– quand va-t-on publier les corrections de la cartographie censitaire promises par la CPS/LEPI ?
– va-t-on, oui ou non, observer finalement la pause réclamée par les uns et les autres ?
– comment va-t-on régler la question du recensement et de l’enregistrement des Béninois de l’extérieur ?
– suivant quelle approche méthodologique et avec quel opérateur technologique sera réalisée l’enregistrement des électeurs au Bénin et à l’étranger ?
– la loi 2009-10 sera-t-elle révisée pour en corriger les multiples incohérences et contradictions ?
– A quoi doit-on s’attendre par rapport aux échéances électorales de 2011 ?
A toutes ces questions – et la liste n’est pas exhaustive – les Béninois attendent des réponses claires et urgentes des responsables de la CPS/LEPI.
En attendant la montée au créneau du Superviseur Générale de la CPS/LEPI qui a promis faire un point de presse dans les tout prochains jours, point au cours duquel j’ose espérer qu’il abordera les préoccupations ci-dessus énumérées, il me paraît utile de porter à l’attention de mes compatriotes des précisions et rappels qui aideront le moment venu à apprécier avec objectivité les réponses qui seront fournies par qui de droit.
Les rapports du groupe de travail ATAYI-GUEDEGBE
Pour rappel, au plus fort de la crise entre les acteurs politiques au sujet des conditions et méthodes de réalisation de la LEPI, le Chef de l’Etat a invité au Palais de la Présidence le 09 Mars 2010 les acteurs politiques, les membres de la CPS et de la MIRENA, les partenaires au développement et la société civile représentée par FORS-LEPI afin de réfléchir à la suite à réserver au processus. A l’issue de cette rencontre, un groupe de travail présidé par M. Joël ATAYI-GUEDEGBE a été mis en place pour inventorier les principaux problèmes entravant le bon déroulement du processus et proposer des solutions correctives. Ce groupe de travail a déposé son rapport qu’il a présenté devant le Chef de l’Etat le 06 avril 2010, toujours au Palais de la République.
Le rapport a relevé des problèmes techniques, fonctionnels et méthodologiques au nombre desquels on peut citer : la mauvaise conduite de la cartographie censitaire qui a été réalisée par des agents non qualifiés, recrutés parfois de façon fantaisiste et en violation de la loi, l’imprécision des limites géographiques entre les villages, la non publication des données issues de la cartographie censitaire, les conflits d’attribution entre la CPS et la MIRENA, les mauvaises conditions de travail de ces deux structures et l’inconséquence du budget de la MIRENA au vu des tâches qui lui sont dévolues, les difficultés d’application de la loi 2009-10 qui comporte certaines insuffisances et incohérences, …
A chacun de ces problèmes, le groupe de travail a suggéré des solutions idoines à mettre en œuvre.
Après l’adoption de ce rapport par l’ensemble des acteurs qui ont estimé que ce document devrait désormais constituer le bréviaire des actions à mener dans le cadre du processus de la LEPI, le Chef de l’Etat a alors instruit le groupe de travail à produire un plan opérationnel de mise en œuvre de ses propositions.
Ce deuxième rapport, dont une partie a été entre-temps publiée dans la presse, n’a pas encore fait l’objet d’adoption par les acteurs habilités. Pourtant, le processus de réalisation de la LEPI s’est poursuivi sans désemparer.
Il s’agit alors de savoir d’une part si le premier rapport du groupe ATAYI-GUEDEGBE continue d’être le bréviaire et dans ce cas, à quel moment a-t-on appliqué son contenu ? D’autre part, à quand l’adoption du second rapport et quel sera son sort ?
Les corrections de la cartographie censitaire
Comme relevé tantôt, tous les acteurs réunis au Palais de la République le 06 avril 2010 ont reconnu que la cartographie censitaire a été mal conduite. Ce qui a entraîné des omissions de ménages, des zones non cartographiées, des ménages cartographiées hors de leur zone officiellement reconnue, des apparitions anormales de villages dans certains départements et des disparitions tout aussi anormales de villages dans d’autres départements, des populations de moins de huit ans inexistantes dans un département, …
Le Superviseur Général de la CPS/LEPI a alors pris l’engagement de faire procéder à la correction de ces erreurs avec l’appui et l’accompagnement des structures techniques compétentes en la matière. Seulement, à ce jour, aucune publication n’a toujours été faite desdites corrections apportées à la cartographie censitaire.
La question de la pause
Aux rencontres du O9 Mars et du 06 Avril 2010, certains acteurs, principalement les forces politiques regroupées au sein de l’Union fait la Nation, ont réclamé une pause dans le processus, aux fins de réfléchir ensemble aux ratés du processus et de corriger le tir avant de relancer la machine.
Malheureusement, cet appel n’a pas été entendu et, nonobstant les recommandations pertinentes du groupe ATAYI-GUEDEGBE, le processus s’est poursuivi notamment par le lancement du recensement porte-à-porte dans une plus ou moins grande confusion.
A l’issue de ce recensement – si on peut parler d’issue, vu qu’on continue de jouer aux prolongations – la société civile regroupée au sein de FORS-LEPI, a publié un rapport d’observation dont une des principales recommandations est relative à la nécessité d’une pause. Qu’adviendra-t-il de cette énième demande de pause ?
Le recensement et l’enregistrement des Béninois de l’extérieur
Depuis quelques jours, des discussions sont en cours entre la CPS/LEPI et le bureau du Haut Conseil des Béninois de l’Extérieur au sujet du recensement des Béninois de la diaspora. Car, la loi 2009-10 a évidemment prévu le recensement de ces derniers et leur prise en compte dans la LEPI. Ceci, bien entendu, en vertu du droit reconnu aux Béninois de l’extérieur de participer au scrutin présidentiel et consacré notamment par la décision DCC 05-056 du 22 juin 2005.
Seulement voilà, la loi 2009-10 n’autorise que le recensement des Béninois de l’extérieur immatriculés dans nos ambassades et consulats depuis au moins six (06) mois. Ce qui, aux dires du Président du HCBE, exclurait des millions de nos compatriotes de la diaspora de la LEPI.
S’il est évident que le Superviseur Général de la CPS/LEPI est tenu au respect de la loi et ne peut donc donner aux desiderata du HCBE une réponse autre que celle qu’il a donnée il a quelques jours, il n’en demeure pas moins vrai qu’une pareille exclusion pose un véritable problème moral voire juridique. Car, cela va en contradiction d’une part avec le principe d’exhaustivité requis dans le cadre de la LEPI et d’autre part avec les textes internationaux, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui posent l’universalité du suffrage comme principe de base et insistent sur la nécessité de faciliter l’inscription des électeurs et de lever les obstacles qui pourraient s’y opposer.
Mieux, à l’étape de l’enregistrement, le choix de la technologie risque de causer une autre disparité entre les Béninois de l’intérieur et ceux de l’extérieur.
La technologie et l’approche méthodologique de l’enregistrement
Le choix effectué à ce niveau sera déterminant lors de la troisième phase du processus de la LEPI : celle de l’enregistrement.
Le rapport des experts qui ont réalisé l’étude de faisabilité de la LEPI en 2008 a présenté deux grandes catégories de technologies aussi fiables l’une que l’autre : celle des kits biométriques et celles des fiches optiques OMR.
Vu que la fiabilité, la transparence et le niveau de sécurité de chacune de ces deux méthodes sont prouvées, les critères qui doivent déterminer le choix restent donc les avantages comparatifs que sont : la compatibilité avec nos réalités structurelles et sociologiques, la possibilité d’utilisation intégrée dans un système, les conditions d’une utilisation ultérieure et/ou diversifiée et enfin le coût.
Dans le cas des kits biométriques, il s’agit de déployer sur le terrain des ensembles composés de : un ordinateur portatif, un scanner d’empreintes digitales, un appareil photo ou webcam, des batteries de rechange ou groupes électrogènes pour les zones démunies d’électricité ou pour les cas – fréquents au Bénin comme tout le monde le sait – de coupure de courant.
Toutes les données recueillies sont convoyées vers un centre national de traitement qui, après dédoublonnage et apurement, établit la base de données et édite les listes électorales. Par la suite, on commandera les cartes d’électeur qui seront retournées sur le terrain pour être distribuées aux ayants droits.
C’est l’option qui a été faite par la République Démocratique du Congo et le Togo par exemple, avec les résultats que l’on connaît. Il faut signaler que le Togo a dû commander 500 nouveaux kits dans le cadre de la révision des listes électorales il y a quelques mois.
En ce qui concerne les fiches OMR, le mode opératoire est le suivant : les agents recenseurs vont sur le terrain avec des fiches optiques spéciales dites OMR munies chacune d’un identifiant unique, donc impossibles à falsifier, auxquelles est joint un appareil photo. Les données personnelles et nominatives des postulants sont transcrites sur la fiche, les empreintes digitales sont également directement recueillies sur la fiche à laquelle est déjà intégrée la carte d’électeur. Chacun peut donc déjà retirer sur place sa carte d’électeur sécurisée et plastifiée comportant son empreinte digitale. On peut également choisir de différer la distribution des cartes. Dans ce deuxième cas de figure donc, point n’est besoin d’acquérir et de transporter des matériels encombrants.
Les fiches OMR sont par la suite ramenées au centre national de traitement et passées dans des scanners spéciaux de très forte capacité qui peuvent lire et stocker les données de milliers de fiches en une seule journée. Il est ensuite procédé au dédoublonnage et à l’édition des listes électorales.
Tout le matériel utilisé (ordinateurs, scanners, imprimantes, logiciels, licences, serveurs,…) est fourni par le prestataire et reste la propriété du Bénin au terme du processus. Mieux, il est possible d’intégrer dans ce système la gestion des candidatures, la gestion des résultats, … On peut également l’adapter à des utilisations autres qu’électorales.
C’est la technologie utilisée en Afrique du Sud, en Zambie, au Malawi, et plus récemment au Ghana.
L’étude des coûts montre par ailleurs que cette deuxième technologie est de loin moins onéreuse que celle des kits biométriques.
Par ailleurs, dans le cas des kits biométriques, il est nécessaire de mobiliser des compétences en informatique qui vont servir comme opérateurs de saisie, contrôleurs et superviseurs sur toute l’étendue du territoire national, alors que dans le second cas de figure, les opérations se déroulent selon une méthode à peu près identique à celle dont nous avons l’habitude.
Mieux, l’utilisation des kits biométriques pour les Béninois de l’extérieur posera des problèmes techniques, logistiques et budgétaires qui nécessiteront qu’une autre procédure spécifique leur soit appliquée.
Puisqu’on a apparemment opté pour les kits biométriques (une présélection d’opérateurs technologiques utilisateurs de kits biométriques a déjà été opérée et un test a été effectué sur le terrain, sans qu’on ait laissé à l’autre famille de technologique – celle utilisant les fiches OMR – la possibilité de faire également ses preuves), quelles dispositions prend-on déjà pour que cette étape ne se révèle pas également un fiasco ?
L’opportunité de la révision de la loi 2009-10 du 13 Mai 2010
Au vu de toutes les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la loi 2009- 10 et des incohérences qu’elle comporte (le groupe de travail ATAYI-GUEDEGBE en a relevé quelques unes), certains députés à l’Assemblée Nationale ont introduit trois propositions de loi différentes :
– une première visant à abroger la loi 2009-10
– une deuxième visant à modifier la loi 2009-10
– une troisième visant à adopter une nouvelle loi portant organisation du RENA et réalisation de la LEPI.
Si la première proposition de loi a été examinée et adoptée par la représentation nationale, la loi ainsi votée a été invalidée par la décision certainement la plus longue de toute l’histoire de la Cour Constitutionnelle (Décision DCC N° 10-049 du 05 avril 2010).
La deuxième proposition a fait l’objet d’un débat préalable au sein de l’Hémicycle, débat au terme duquel il a été décidé qu’elle soit étudiée en procédure d’urgence par la Commission des Lois et discutée en plénière deux semaines plus tard. Malheureusement, depuis lors, on observe un silence radio du fait de la non programmation de la plénière, la commission ayant jugé la proposition de loi désormais sans objet après la décision de la Cour Constitutionnelle ci-dessus citée.
Quant à la troisième proposition de loi, elle est tout simplement reléguée aux oubliettes.
Or, si on s’accorde à concéder à la Cour Constitutionnelle que l’abrogation de la loi 2009-10 n’est pas la formule appropriée, il paraît cependant difficilement acceptable de poursuivre le processus en cours si on ne révise pas certaines dispositions de cette loi dont la violation permanente a déjà fait l’objet d’un recours de l’Honorable Ismaël TIDJANI-SERPOS, recours toujours pendant devant la Cour Constitutionnelle depuis le 30 Mars 2010.
Au moins deux arguments juridiques majeurs devraient militer pour la modification de la loi 2009-10 :
1°) La loi sur la LEPI est du ressort exclusif des prérogatives du parlement puisqu’elle est principalement relative à l’organisation des élections. Mieux, du fait de son caractère électoral, cette loi ne saurait être interprétée à l’envi. Ceci a d’ailleurs été consacré par la Cour Constitutionnelle elle-même qui, dans sa décision EL-P06-001 du 1er Janvier 2006, a estimé que la loi électorale est d’interprétation stricte.
2°) De nombreuses dispositions de la loi sont en porte-à-faux soit avec les normes universellement admises en matière de réalisation de liste électorale permanente informatisée (ex : recensement par aires géographiques), soit avec les réalités endogènes béninoises. Il faut forcément procéder à des corrections. Et puisqu’il ne s’agit pas d’expliciter les dispositions actuelles, mais de les contredire, le Chef de l’Etat n’est pas habilité à prendre des décrets d’application en la matière. Le parallélisme des formes et la hiérarchie des normes recommandent que la loi soit modifiée par les députés qui l’ont votée et dont les actes (lois) ont valeur supérieure à ceux (décrets) pris par le Chef de l’Etat. Alternative pour les échéances de 2011
Il convient, avant d’aborder l’alternative proprement dite, de rappeler les principaux points de vue des acteurs consultés par les experts lors du démarrage en 2008 de l’étude sur la faisabilité de la LEPI au Bénin. Cela paraît d’autant plus important qu’ils constituent le reflet du contexte sociopolitique qui conditionne inévitablement la réussite du processus. Il s’agit de: – la nécessité de conduire les élections de 2011 sur la base d’une liste électorale sécurisée et consensuelle ; – la nécessité de conduire l’exercice de mise sur pied de la LEPI dans une période de calme électoral. En pratique, le souhait semble général de finaliser la LEPI au plus tard au premier trimestre de 2010 ;
– l’utilisation de la biométrie comme élément de sécurisation de la liste ;
– le caractère inclusif et transparent des opérations.
Voilà donc les principes fondamentaux qui ont sous tendu la réalisation de l’étude dont le rapport a servi de base à la loi 2009-10 du 13 Mai 2009. Et c’est en prévision de l’éventualité de blocages et retards dus à l’évolution du contexte sociopolitique que ces experts ont, dans leur rapport, envisagé une alternative à la LEPI. Il s’agit de la Liste Electorale Informatisée (LEI). A ce propos, le rapport dit ceci : « Les contraintes de temps, le déficit persistant en terme d’identification des électeurs sur une base documentaire et les considérations budgétaires impliquent qu’il soit procédé à des choix et des arbitrages entre diverses options possibles pour la mise en place d’une liste informatisée, dont le degré de permanence, d’exhaustivité, de fiabilité et d’exactitude sera susceptible de varier sensiblement, en fonction des choix opérés. Dans cette perspective, il est envisagé une alternative à la LEPI.
Cette alternative, qui n’est rien d’autre qu’une liste électorale informatisée (LEI) qui n’exige pas le passage par une phase de recensement par ménages telle qu’elle avait été définie dans la mise en place de la LEPI, prend pour modèle les opérations qui ont été, ces dernières années, conduites en République Démocratique du Congo et en République du Togo. … La LEI repose alors sur un schéma classique d’enregistrement des électeurs en âge de voter (ou qui le seront à la date de l’élection) au niveau des centres d’inscription où leurs données personnelles, nominatives et biométriques sont saisies. Cette alternative à la LEPI est la plus légère du point de vue opérationnel, et peut largement se reposer sur l’expérience acquise lors d’exercices similaires conduits dans d’autres pays. La durée de mise en œuvre est réduite par rapport à la LEPI, dans la mesure où elle fait l’économie de la cartographie censitaire et du recensement porte à porte au niveau des ménages ». Ne serait-il pas temps d’observer une pause pour faire le point, tirer les conséquences de nos mauvais choix, revoir nos ambitions à la taille de nos moyens et opter pour l’alternative LEI, en attendant de réviser la loi 2009-10 et remplir toutes les conditions pour évoluer progressivement vers la LEPI ?
Il semble que cela serait plus raisonnable dans le contexte actuel où la LEPI tend de plus en plus à se transformer en un serpent de mer et surtout en un tonneau des Danaïdes qui engloutit sans pitié une partie de plus en plus considérable des maigres ressources que mobilise notre pays le Bénin.
Parallèlement et indépendamment du processus de réalisation de la LEPI en cours, la représentation nationale devra alors procéder dans les meilleurs délais à la révision des lois électorales pour lancer assez tôt le processus devant conduire aux élections de 2011. En tout état de cause, nous n’aurons aucune excuse si nous tombons une fois de plus dans le piège de l’organisation d’élections bâclées sur la base de listes manuelles obsolètes.
Clotaire OLIHIDE
Auteur de l’ouvrage « Elections Communales et Locales 2008
au Bénin : Autopsie d’un cafouillage organisé »
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