Lorsqu’on a eu la chance de partir à l’étranger et d’y séjourner pendant au moins une année, on a forcément quelque chose à partager avec ses concitoyens : l’expérience, les difficultés rencontrées et les bénéfices tirés de ce séjour.
C’est dans cette optique de partage d’expérience que je fus invité à une émission radiophonique sur une des radios de la place afin que je puisse parler de mon expérience de l’Europe et donner des conseils aux nombreux jeunes qui ont la volonté de tenter l’expérience.
Je vous livre ici, afin de partager mes conseils avec le plus grand nombre, la substance de mes interventions.
Avant tout propos sur une « émigration choisie », il convient de faire une typologie, c’est-à-dire une catégorisation des jeunes migrants. Il existe plusieurs catégories de jeunes qui partent à l’étranger, notamment en Europe car c’est le cas dont je peux parler parce que je connais bien l’Europe :
1) Première catégorie : Jeunes dont les parents financent le voyage et le séjour (une bourse parentale donc). Ils émigrent dans le but de poursuivre leurs études, suivre une formation ou effectuer un stage. Pour qu’ils puissent vivre dans de bonnes conditions, il faut que les parents leur envoient chaque mois 450 euros au moins (environ 300.000 F CFA).
2) Deuxième catégorie : Jeunes qui partent d’eux-mêmes pour poursuivre leurs études ou tout simplement pour « aller en aventure ». Ils se sont constitués un capital de départ (bourse personnelle) plus ou moins consistant. Dans tous les cas, ce capital correspond le plus souvent à la somme nécessaire pour vivre six mois sans travailler, soit 2.750 euros (environ 1.800.000 F CFA). Ces jeunes migrants espèrent trouver un travail dans les six mois pour subvenir à leurs besoins ; leur vie dépend donc d’un aléa. La mésaventure commence lorsque l’aléa ne se réalise pas, ils n’ont pas pu décrocher le fameux boulot qui devait les sauver avant l’épuisement de leur capital de départ.
3) Troisième catégorie : Ce sont les jeunes qui partent normalement effectuer un court séjour (inférieur à six mois) pour un stage ou pour des échanges sportifs ou culturels, qui refusent de rentrer au terme du séjour et préfèrent « tenter leur chance » en Europe. Leur titre de séjour expire, ils deviennent « sans papier », donc la proie facile des « marchands de sommeil » et des réseaux mafieux (prostitution, drogue, travail au noir, etc.)
De cette typologie, je peux retenir, avec vous chers amis lecteurs, que pour vouloir émigrer en Europe, il faut avoir un but (étude, formation, stage…), des revenus (450 euros ou 300.000 F CFA) et un logement (résidence universitaire, chambre chez l’habitant, studio ou appartement en ville…). Une fois que ces trois critères cumulatifs sont satisfaits l’émigration d’un jeune a plus de chance de déboucher sur une réussite.
Beaucoup de jeunes après l’émission se sont rapprochés de moi et m’ont rapporté que malgré la satisfaction de ces trois critères cités ci-dessus, l’émigration des jeunes ne débouche pas sur un succès car la société européenne, en général, et la société française, en particulier, est très raciste et que ce racisme frappent spécifiquement les jeunes africains de couleur. Je leur réponds, en me basant sur mes observations et sur mon expérience personnelle, qu’il n’y pas de racisme en France, ni en Belgique, ni en Allemagne. Il y a juste une sélection très rigoureuse. J’ai mené dans le cadre de mon mini-mémoire en 2005 à l’IEP, une étude statistique dont les données révèlent que les immigrés cumulent les difficultés. Ils sont souvent cantonnés dans des « cités » insalubres ; la promiscuité ne leur permet pas de faire de grandes études, alors il ne reste que le ménage ou la sécurité comme travail. Il y a, en France notamment, une sélection rigoureuse, et, comme les immigrés sont souvent cantonnés dans les catégories socioprofessionnelles (CSP) inférieures, ils ont l’impression qu’on leur en veut, qu’il y a du racisme à leur égard. Eh bien non ! Je peux en témoigner, moi qui ai réussi à créer une entreprise en France, en convaincant les investisseurs, Français, de me financer. Ils n’ont pas tenu compte de ma couleur mais de la force de conviction avec laquelle je présentais mon projet et de mes capacités à le concrétiser.
Les immigrants doivent sortir de leurs communautés et essayer d’étudier la société française. Là je prends l’exemple français car je le connais mieux que les autres pays. Il faut connaître les caractères de la société. La société française est basée sur les CSP/PCS (professions et catégories sociales) assez rigides, liées à la profession et à la famille. Il existe une certaine mobilité sociale basée sur les études ou le mariage. Dans cette catégorisation rigide, il n’y a pas de place pour les étrangers qui sont « sans classe ». Deux éléments leur permettent de trouver une place dans la société française et d’être ainsi « classés » : le mariage ou des études supérieures. Dans l’un ou l’autre cas, c’est l’acquisition de la nationalité française qui détermine leur classement dans les CSP. Car avec la nationalité française ils ont enfin accès au crédit, à un logement décent, à un travail plus valorisant.
C’est pour éviter ces difficultés liés à l’intégration des étrangers dans la société française que la nouvelle politique française « immigration choisie » a été adoptée. Cette politique a pour but de : restreindre la part du regroupement familial ; favoriser la migration des jeunes ayant un certain profil, certaines qualifications ; et favoriser leur intégration et l’acquisition de la nationalité. Les profils recherchés sont les jeunes qualifiés (informaticiens, techniciens et administrateurs réseaux, infirmier ou infirmières, ingénieurs en électrotechnique ou en mécanique…) et les ouvriers (restauration, bâtiment, services à domicile, aide aux personnes âgées et aux handicapés). Désormais, l’accueil et l’intégration des étrangers passent par un service unique de l’Etat français : l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM). Ce n’est plus l’Office des migrations internationales (OMI) qui en a la charge exclusive comme avant.
Je pourrais donner comme conseils aux jeunes qui sont tentés par « l’aventure européenne » de déterminer d’abord s’ils rentrent dans ces profils, ou s’ils disposent d’une bourse parentale conséquente. Voici mes conseils. Je dirais aux jeunes de :
– Eviter les aléas. Ne pas partir dans l’espoir de trouver un travail ou de rencontrer une française, se marier avec elle pour « avoir les papiers ».
– Avoir un vrai projet. Que vais-je faire ? Combien d’années vais-je rester ? Que vais-je faire à la fin de ce projet ?
– Eviter de se cantonner exclusivement à la communauté noire. Il faut s’intégrer à la société française en évitant de reproduire Abidjan-sur-Seine, Dakar-sur-Rhône, Bamako-en-Gironde.
– Ecouter les conseils de ceux qui ont déjà fait l’expérience.
Je me dois de rappeler aux jeunes que les étrangers vivent en Europe dans des conditions difficiles mais c’est vraiment très formateur d’avoir fait au moins une fois, cette formidable expérience qu’est le séjour à l’étranger. J’exhorte mes jeunes concitoyens à ne pas partir en Europe « chercher leur bonheur » dans l’eldorado français, belge ou allemand. Car le bonheur qu’ils recherchent peut être trouvé ici au Bénin. L’eldorado n’est pas ailleurs car les jeunes peuvent trouver leur place et s’accomplir dans notre société.
Je pose là le problème de l’insertion professionnelle des jeunes dans notre pays, parce qu’aucun bonheur ne peut être trouvé sans un travail décent source de revenus réguliers. Or nous notons souvent une inadéquation entre la formation des jeunes et le monde de l’emploi public comme privé. Pour que les jeunes puissent être réellement opérationnels dans la vie active, il leur faut compléter leur formation par des modules ou séminaires de formation complémentaires en développement individuel. Par exemple, je leur recommande vivement le séminaire de formation sur l’efficacité personnelle qui leur permettra de maîtriser les sept savoir-faire indispensables dans la vie professionnelle. Il leur faut acquérir la maîtrise des outils de productivité, planning, informatique et Internet. Il leur faut établir un vrai projet professionnel afin de déterminer avec exactitude les objectifs de leur vie professionnelle.
D’un autre côté, il ne faut pas délaisser la fonction publique car c’est généralement elle qui permet aux jeunes d’avoir leur première expérience professionnelle en leur offrant sécurité de l’emploi et du salaire. J’exhorte les jeunes travaillant dans la fonction publique de ne pas végéter dans l’immobilisme et d’avoir un projet de carrière précis.
En définitive, vous conviendrez avec moi, chers amis lecteurs, que l’eldorado n’est pas ailleurs et que l’on peut créer son bonheur quelque soit l’endroit où l’on se trouve. Cependant, je conseille à ceux qui en ont les moyens, d’aller vivre cette formidable expérience qu’est le séjour à l’étranger, en ne perdant pas de vue le fait qu’il faut revenir au pays pour y construire sa vie.
A l’instar du programme ERASMUS qui permet aux jeunes européens de partir dans un autre pays européen que le leur afin d’y poursuivre les études ou effectuer un stage, je plaide pour un programme d’échange du même type entre les pays de la CEDEAO qui permettra, par exemple, à un jeune béninois de partir au Ghana pour un an avec une bourse de l’organisation. C’est sur ce rêve, somme toute réaliste, que je conclue en répétant une fois encore, cher ami lecteur, que l’eldorado n’est pas ailleurs et que le bonheur peut être trouvé chez soi.
Par Rock Maxime YEYE
Consultant-formateur, Diplomate, Analyste politique et social diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble et de l’Ecole Nationale d’Administration du Bénin.
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