Régulation des medias au Bénin : Pour un changement de cap

Dans une décision en date du 16 juin, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac),… a décidé d’interdire aux médias, sous peine de sanctions, de rendre compte des manifestations politiques à caractère électoralistes.  Selon elle : « iI est formellement interdit à tous les organes de presse écrite et audiovisuelle sur Ie territoire national de relayer tout élément de campagne politique électorale relatif aux échéances électorales de 2011 avant les périodes prévues par les lois et règlements en vigueur au Bénin. »

Comme on devait s’y attendre, une telle   démarche n’a fait que susciter un tollé de réactions de la part des organisations de la presse d’une part et, de l’autre, des quartiers généraux de certains états-majors politiques qui y voient la preuve de l’inféodation de la Haac au pouvoir. Bien sur, cette dernière insinuation, qui s’explique par le contexte politique actuel,  ne saurait être prise au sérieux par tout observateur honnête de l’espace médiatique béninois, tant la Haac a prouvé qu’elle œuvre pour une presse équilibrée et respectueuse de l’éthique et de la déontologie. En témoignent les nombreuses auditions publiques qu’elle organise périodiquement pour rappeler à l’ordre les journalistes qui enfreignent aux règles de leur profession. Il faut le reconnaitre, la Haac a joué et continue de jouer un rôle salutaire et, les conseillers, sans exception, font preuve d’un détachement réel par rapport aux intérêts de ceux qui les ont désignés pour y siéger.

Jusqu'à cette dernière décision, les délibérations de la Haac avaient toujours été acceptées et respectées par ceux-là même à l’encontre desquels elles étaient dirigées, même lorsque cela faisait mal. Mais cette fois-ci, la pilule était trop difficile à avaler. La Haac semble être allée trop loin dans son rôle de régulateur de la presse d’un pays qui peut se vanter de la bonne qualité de son système démocratique. Interdire la couverture de l’actualité politique relative à l’élection présidentielles de 2011, sous prétexte que la campagne électorale n’est pas encore officiellement lancée, viole  les principes élémentaires mais fondamentaux sur lesquelles se fondent la  presse et la démocratie.  Il s’agit des droits de rapporter (le journaliste rapporte les événements) et d’être informé. De ce fait, il transparait une volonté, peut-être innocente, de vouer aux gémonies le pilier fondamental du système démocratique que constitue la liberté  d’expression.    

En effet, dans ce cas précis, la Haac ne menace pas de sanctionner les fautes professionnelles mais elle veut tout simplement interdire aux journalistes de jouer leur rôle. Elle leur refuse de rendre compte des faits avérés  sur le terrain. Certes, comme cela est propre aux périodes (pré)électorales, de graves irrégularités peuvent être constatées dans des medias.  C’est sans doute pour prévenir ces irrégularités que la Haac a cru bon devoir brandir la menace.  Mais il est inconcevable de tuer un moustique avec un canon sans causer de dégâts collatéraux irréparables. Vouloir donc à tout prix mettre à exécution cette interdiction de couverture d’une certaine actualité politique, pour sauver la face, ne ferait que nuire à plus d’un égard. Il serait judicieux pour la Haac de revenir sur cette décision, ou alors y apporter des nuances  afin de couper court à la polémique qui ouvre les portes à une crise entre cette institution républicaine et les acteurs des medias. La capacité de reconnaitre et corriger ses erreurs est la marque des grands hommes et donc des grandes institutions. En tout état de cause, il demeure illusoire dans le contexte politique et technologique actuel, de réussir à faire respecter pareille interdiction à l’ensemble des medias. Chassez le naturel par la porte, il reviendra toujours par la fenêtre,

Il est vrai que la Haac a le pouvoir d’interdire de parution ou de diffusion les organes de presse qui contreviennent à ses directives. Elle a déjà usé avec succès de certaine de ces prérogatives que lui offre la loi, en suspendant certains journaux et émissions audiovisuelles. Mais on imagine mal qu’elle ait du succès si l’ensemble des medias (ou tout au moins les medias privés) décidaient d’entrer dans une désobéissance collective.  Elle finirait par être perçue comme un frein a la liberté de presse qu’elle a pourtant pour mission de protéger et de promouvoir.

Anticiper

L’autre cause de l’incapacité de la Haac à faire exécuter sa décision réside en ce fait que, même face à la contre-performance de l’internet au Benin, les medias se mettent de plus en plus en ligne. Interdire les medias sous leur forme traditionnelle ne ferait qu’accélérer la création de la version internet de ces mêmes medias. Et, de toute évidence, pour le faire, on n’a besoin ni d’autorisation ni de licence de quelque nature que ce soit. C’est un canal de diffusion libre et démocratique auquel de plus en plus de Béninois ont accès et sur lequel aucune institution de l’Etat béninois ne peux exercer de contrôle.

Face à tout ceci, il parait indispensable que l’ensemble des acteurs des medias se retrouvent pour repenser et recadrer le rôle de la Haac afin de lui permettre de continuer à bénéficier de la légitimité qu’elle a  eue jusqu’à présent. Pour ma part, je suggère que la Haute autorité fasse un effort pour laisser s’estomper l’image de gendarme de la presse qui est de plus en plus la sienne. Certes, la loi lui confère, entre autres, le pouvoir de réprimer. Mais elle n’est pas obligée d’utiliser toutes ses prérogatives, à chaque fois que l’occasion lui en est offerte. A vouloir continuer de faire indéfiniment défiler les journalistes devant son tribunal, elle risque de finir par se banaliser parce que, d’une part, elle pourrait être de plus en plus contestée et, d’autre part, elle n’a pas toujours les moyens de faire exécuter ses décisions.

De plus, la Haac est avant tout, elle est une institution étatique et, à force de sanctions, elle court le risque d’être perçue comme un instrument de répression aux mains de l’Etat. Elle limiter ses interventions aux cas extrêmes. Ce qui revêtirait ses décisions d’une solennité qui force au respect.

Le tribunal des pairs, répète-t-on souvent, est le meilleur juge notamment dans le domaine de la presse. C’est dans ce cadre que l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique des media (ODEM) a été créé. Durant les premières années de son existence, cet observatoire a joue un rôle important dans la quête d’une presse équilibrée. Bien que n’ayant pas de pouvoir répressif, c’est tout de même cette instance qui rappelait à l’ordre les journalistes lorsqu’il y a violation des règles du métier. Avec le temps, voix de la Haac a fini, sans le vouloir, par étouffer celle de l’Odem. Ce qui ne sert ni l’intérêt de l’un ni celui de l’autre. Et encore moins, à terme, celui du public.

Il est aujourd’hui impératif de libérer les conseillers de l’obligation de siéger en juges des journalistes  afin qu’ils se donnent plus de temps pour réfléchir et anticiper sur les défis qui attendent leur institutions face aux avancées technologiques dans la presse.


Pierre Matchoudo
Journaliste,
Expert en Web design
Email : pm@mayromagazine.com

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