L’événement risque de passer inaperçu : dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de nos indépendances, la France remet à ses anciennes colonies d’Afrique des archives sonores et audiovisuelles datant de la période coloniale. Voilà une information qui ne fera pas des vagues. En tout cas, pas autant que celle portant sur des accords financiers : prêts, dons ou allègement des dettes contractées…
Nous accordons plus d’importance à l’argent qu’aux archives. L’argent a la vertu de se convertir en salaires dans nos poches. Il aide à soutenir la construction de divers ouvrages utiles. Il sert même à arroser et à huiler les circuits de la corruption et de la prévarication.
Les archives, pense-t-on, concernent les choses passées, donc dépassées. On peut les entreposer quelque part, loin de l’actualité. Un peu comme on range les morts, pour leur repos éternel, dans les tombes, loin des tribulations des vivants. A quoi servirait-il d’enterrer un mort, le cercueil bourré d’argent ? L’argent est plus utile aux vivants qu’aux morts.
Voilà poser la problématique de l’argent, face à la mémoire dans une Afrique encore largement allergique, sinon indifférente à tout discours sur l’identité culturelle, sur la conservation du patrimoine matériel et immatériel, sur la conscience historique…etc. Pour cette Afrique pragmatique, pratique et utilitariste à souhait, ce sont là des notions vagues et vaporeuses. Pour utiles qu’elles soient, les archives ne remplaceront point le pain, que les hommes réclament chaque jour à Dieu dans leurs prières.
Il reste, malgré tout, que nous saluons et apprécions à sa juste mesure la remise par la France à ses anciennes colonies d’Afrique, des archives sonores et audiovisuelles datant de la période coloniale. C’est vrai que ces archives ne combleront ni la faim et n’étancheront ni la soif des Africains. Mais nous voulons y voir, dans le cadre de la célébration du cinquantenaire des indépendances de nos pays, l’acte complémentaire de la France à la décolonisation inachevée de l’Afrique. Un acte qui convoque à la barre de l’histoire aussi bien la France que l’Afrique.
La France d’abord. Elle a formellement entériné l’indépendance de ses anciennes colonies, bien consciente que leur souveraineté était amputée d’une part de leur mémoire et de leur patrimoine culturel. Les archives coloniales, sonores et audiovisuelles, aujourd’hui remises à nos pays, cinquante ans après leur accession à l’indépendance, auraient dû trouver leur place, dès 1960, dans l’inventaire qui clôturait la présence coloniale de la France en Afrique.
Il en est de ces archives coloniales comme de tous ces objets d’art encore loin d’Afrique, mais partie intégrante de son patrimoine culturel. Les pays africains, aujourd’hui indépendants, en sont les propriétaires légitimes. Tant qu’ils ne rentreront pas en possession de leur dû, ces pays ne se sentiront ni totalement indépendants, ni complètement libres.
Rappelons que ces objets d’art ont trait à l’identité, à la personnalité des peuples de ces pays. Comme tels, ces objets ne sauraient être condamnés à un exil sans retour. Comme tels, ces objets ne sauraient être détachés des conditions concrètes de leur création et de leur production. Comme tels, ces objets ne sauraient rester coupés des environnements matériels et spirituels, géographiques et historiques où ils prennent sens et signification.
Les pays africains ensuite. Ils ne sauraient être exempts de tout reproche. En cinquante ans d’indépendance, qu’ont-ils fait, quelles démarches ont-ils entrepris pour récupérer une part de leur mémoire avant que la France ne se décide à la leur céder, à travers des archives sonores et audiovisuelles de la période coloniale ? Quand nos responsables rencontrent les autorités françaises à l’Elysée, de quoi pensez-vous qu’ils parlent ? A quel sommet Afrique France a t-on jamais inscrit à l’ordre du jour la question de nos objets d’art que la France continue de garder par devers elle, dans ses musées et galeries ? Combien d’agents culturels, spécialistes de ces questions, sont-ils admis au nombre des personnalités qui accompagnent nos présidents dans leurs visites d’Etat ou de travail à l’extérieur ?
Et puis, ne nous voilons pas la face, la culture, c’est encore le cadet de nos soucis, dès lors que nous l’avons nous-mêmes réduite, selon cette définition bateau, « A ce qui reste quand on a tout oublié ». Face à quoi, s’élèvent des voix, et non des moindres, pour soutenir que nos objets d’art, mêmes exilés sont, cependant mieux conservés dans leur exil. A voir l’état de nos musées, de nos archives ; à tenir compte des moyens dérisoires que nous leur consacrons ou du peu d’intérêt que nous leur portons, pour ces objets d’art, plutôt la prison à l’extérieur que le mouroir à l’intérieur. Qu’en dites-vous ? Le débat est ouvert !
Jérôme Carlos
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