Certains le considèrent déjà comme la grande attraction des festivités marquant les 50 ans d’indépendance du Bénin. Le spectacle offert par les majorettes le dimanche 1er août dernier pose cependant des questions sur l’identité nationale que les Béninois recherchent tant depuis 1960.
En les voyant dans des uniformes aux couleurs variées et angéliques, avec des pas de danse dans une synchronisation fantastique, on ne pouvait pas rêver mieux pour un défilé de grande importance. Les majorettes comme on les surnomme, ont sans doute fait effet le dimanche 1er août dernier sur la nouvelle voie bitumée de Ouando à Porto-Novo, même si une panne technique a gâché la fête par la suite. Les Béninois et tous les invités présents sur les lieux du défilé comme des milliers de spectateurs ont pu ainsi se régaler des yeux de l’un des plus beaux tableaux chorégraphiques au monde, exécuté par des filles et fils du pays. Qu’à cela ne tienne donc !
Il fallait innover à la célébration de ce cinquantenaire, et le gouvernement a fait une option musicale étrangère. Parait-il même que c’est le Président Boni Yayi qui a aurait eu l’idée et se serait beaucoup investi dans sa concrétisation. Trois experts chinois, débarqués de l’Asie, tous frais compris, des formateurs locaux recrutés et bien entretenus, des centaines d’élèves filles et garçons sélectionnés dans plusieurs collèges et lycées d’enseignement de Porto-Novo, près de 4 mois d’entraînement…. Ce n’était pas une mince affaire.
Reste que cette importation de la culture des autres laisse toucher le fond du problème. Il n’en fallait pas moins d’ailleurs pour que le Directeur du Ballet national -une structure sous tutelle du ministère de la culture – se déclare « très choqué ». « C’est une grande honte pour les 50 ans que nous célébrons » râle Florent Eustache Hessou. Invité mardi dernier dans l’émission matinale « Bonjour Citoyen » de la Télévision nationale, l’homme a presque vomi sur ce choix fait par le gouvernement de Boni Yayi, lui qui avec son ballet national aurait pu montrer les vraies richesses de la culture locale à la face du monde. Le coup de gueule de Florent Hessou est partagé par beaucoup d’autres Béninois qui ne comprennent pas toujours, le pourquoi l’on a préféré une option musicale asiatique à ce grand défilé de cette grande fête du cinquantenaire.
A l’ouverture de la finale de la coupe de l’indépendance, les mêmes majorettes ont été également invitées pour faire du spectacle sous les ovations interminables de la délégation présidentielle, avec à sa tête, Boni Yayi. Et comme le ridicule ne tue pas au Bénin, le Président de la République recevra quelques jours après, la grande troupe et les experts chinois au palais de la Présidence pour les féliciter et les honorer longuement. La culture chinoise s’est ainsi invitée royalement à notre cinquantenaire.
Le péché mignon de Yayi
Il ne semble pas avoir compris à ce jour, la portée de son erreur en offrant l’espace des festivités du cinquantenaire à une culture étrangère. Le pire est que ce sont de jeunes garçons et jeunes filles du Bénin qui ont été sollicités pour mettre en valeur cette culture qui n’est pas la leur. Qu’ont retenu les Béninois sur les tenues, cerceaux, voiles et autres objets dont ils se sont servis lors des différents tableaux chorégraphiques présentés ? Rien sans doute. Ça ne leur a pas dit grand-chose, sauf qu’ils ont vu du beau spectacle. Certains sont allés même jusqu’à critiquer le costume porté ce jour-là par Boni Yayi, alorsqu’ils l’attendaient dans une belle tenue africaine, pour magnifier la culture du continent noir, comme un certain Abdoulaye Wade au cinquantenaire célébré il y a peu dans son cher Sénégal . Le Chef de l’Etat du Bénin n’a pas compris qu’en de pareilles occasions, tout est choisi à dessein. La communication aussi passe par là. Oui, ce n’est pas que le discours seul qui attire. Il y a aussi le paraître et la valeur qu’on donne à ce paraître conformément au contexte dans lequel on vit.
Au demeurant, les majorettes comme le costume de Yayi, le 1er août 2010, reflètent le goût de l’africain et du noir en général pour les choses des autres. On se dit que nous n’avons-nous rien de bien à offrir en de grandes occasions, et qu’il faille toujours recourir à l’étranger. Le contexte s’y prête pourtant très mal, lorsqu’on sait que nous fêtions les cinquante ans de notre indépendance. Autrement, de notre libération du joug d’autrui.
En lieu et place des ces centaines de majorettes, l’on aurait pu aligner une centaine de masques de Guèlèdè dans leurs majestueux accoutrements, au grand bonheur de la culture locale. On aurait pu aussi aligner une centaine de danseuses de Zinlin, d’Akonhoun, de Toba-Hanyé, de Tipenti et ces nombreux rythmes locaux que raffolent pourtant des étrangers de passage au Bénin.
Dans un pays considéré comme le berceau du Vodoun, une divinité sacrée et de grande valeur, les majorettes constituent pour le moins, une renonciation grave à notre propre culture, à nos us et coutumes. Ces belles images de danses traditionnelles auraient pu constituer des archives précieuses à léguer aux générations futures. A la célébration du centenaire de l’indépendance, un retour sur images du cinquantenaire ne montrera, hélas, aux Béninoises et Béninois de cette époque à venir, que des majorettes et autres chinoiseries impropres à leur culture. Triste et lamentable souvenir.
Christian Tchanou