Y a-t-il des chercheurs au Bénin ? Certainement. Mais étant loin d’avoir pignon sur rue, les chercheurs béninois trouvent mieux de garder le profil bas, de raser les murs et de se faire oublier. Ne dit-on pas que pour vivre heureux, vivons cacher ? Les chercheurs béninois n’auront pas tort de dire, à leur tour, que pour vivre tranquille, cherchons en cachette.
Et les chercheurs béninois savent bien se cacher. Ils ont su le faire si bien qu’il n’est venu à l’esprit de personne d’aller les chercher dans leur cachette. Ils étaient, en effet, les grands absents dans le bilan dressé à l’occasion du cinquantenaire de notre indépendance. Comment est-ce possible que nous ayons oublié la recherche et nos chercheurs ?
Et nous voilà bien dans le sujet. Il a l’avantage d’étaler nos contradictions. Nous parlons, en effet, beaucoup de recherche au Bénin sans que nous en fassions vraiment. Quand l’envie nous prend d’en faire, c’est presque toujours sans des moyens conséquents. Et comme nous sommes des adeptes de la gratuité qui cherchent à obtenir quelque chose sans consentir à en payer le prix, nous risquons de chercher longtemps sans espoir que nous trouvions vraiment. En définitive, nous faisons semblant de faire de la recherche au Bénin. Et à continuer de chercher de cette façon, nous pouvons être sûrs que nous ne trouverons rien, ou pas grand-chose.
Un pays qui se situe face à la recherche n’est pas sur une position neutre. Il fait une option et assume un destin. Dans le cas du Bénin, tout laisse croire que nous gardons une dent contre la recherche. Voici un pays qui ne consomme pas ce qu’il produit, ayant renoncé, dès le départ, à transformer sur place ce qu’il produit. Voici un pays qui consomme ce qu’il ne produit pas et n’hésite pas à se délester de ses précieuses devises pour s’en procurer à tout prix, voire à n’importe quel prix. Voici un pays qui prête sa tête aux autres, à charge pour ceux-ci de penser pour lui et à sa place. Un pays comme celui-là ne cherche pas. Il n’a aucun intérêt à chercher. Il ne peut comprendre l’importance de la recherche. Il ne peut consentir à investir dans la recherche.
Mais pendant combien de temps encore mangerons-nous notre maïs en herbe ? Il n’est de développement vrai et durable sans recherche. Et nous ne pouvons trop longtemps nous contenter d’être dans le rôle subalterne de ceux qui ne servent qu’à valider les résultats des recherches des autres. La recherche ne profite pas aux cobayes qui servent pourtant à la porter et à la pousser. Aussi jouons-nous perdant à l’avance, personne ne pouvant être fier de s’affubler d’un destin de cobaye. Que faire pour qu’il en soit autrement ? Mais avant tout, que suppose, qu’implique, pour nos pays, la recherche ?
La recherche suppose, d’abord et avant tout, volonté politique. Parce que la recherche ne prospère que sur le terreau fécond d’une volonté politique clairement et sincèrement affirmée. Le vœu d’un individu, aussi fortement et aussi fermement articulé, de voir la recherche se développer dans son pays ne peut y suffire. En recherche, il est formellement établi qu’une hirondelle ne fait point le printemps.
La recherche suppose, ensuite, une politique de recherche. Celle-ci doit s’inscrire dans la durée. Celle-ci doit mettre des chercheurs au travail et à disposition des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Avec la recherche et à travers la recherche, c’est tout un pays qui décide de mobiliser le plus clair de ses ressources, humaines, matérielles et immatérielles, pour soutenir ce qui doit être compris, au départ, comme une aventure. Et la recherche, avant d’être l’aventure des hommes et des femmes en recherche, c’est l’aventure de l’esprit qui cherche et qui se cherche. Faire de la recherche revient ainsi à valoriser un attribut divin en nous : l’esprit.
La recherche suppose, enfin, la rentabilisation politique intelligente des résultats de la recherche. Selon la configuration du monde nouveau qui se dessine sous nos yeux, les hiérarchies entre les pays et les Etats ne se déterminent plus au regard de leur Produit intérieur brut (PIB) ou par rapport à leur revenu global par habitant, mais plutôt à leur potentiel de recherche, à leur capacité d’innovation et de création. Voilà ce qui distingue désormais, dans la géopolitique du monde, les nouveaux développés des nouveaux sous-développés. Et l’Afrique, le continent où tout est à faire, dispose d’un immense champ de recherche, couvrant tous les secteurs laissés jusqu’ici en friche du fait de notre aliénation et de notre extraversion culturelle. Restera à porter la recherche au rang de nos priorités, à mobiliser la ressource humaine nécessaire et à nous mettre au travail. Il n’est que temps que nous revenions chez nous. Il n’est que temps que nous rentrions dans notre maison, que nous rentrions en nous-mêmes. La clé qui donne accès à ce champ nouveau de réalisation et attend que nous y investissions le meilleur de nous-mêmes a nom recherche.
Jérôme Carlos