L’argent ne fait pas le Président

Ainsi en ont décidé les représentants du peuple : tout candidat à la Présidence de la République devra s’acquitter d’une caution de 100 millions de francs CFA. Voilà qui nous éloigne des 5 millions de francs CFA jusque là exigés. Le bond est prodigieux. Il est de l’ordre de 1 900%. Pourquoi nos députés ont-ils jugé utile de faire et de frapper si fort ?

Sans nul doute, parce que la foire à la candidature, a fini, au fil des élections, à n’être plus qu’une banale formalité à la portée du premier pelé et galeux venu. Il lui suffit de sauter la barrière et le tour est joué. Quand le système de sélection n’est pas assez contraignant, on prend le risque de faire passer entre les mailles une pléthore de candidats.  C’est dévalorisant pour la fonction présidentielle. La dernière élection présidentielle, en 2006, n’a pas enregistré moins de 26 candidats pour un pays de 8 millions d’habitants. Le Nigeria, avec un poids humain de 150 millions d’âmes, à l’élection présidentielle de 2007, n’a enregistré que 12 candidats.

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On peut ainsi comprendre les motivations de nos députés. Ils sont soucieux de siffler la fin de la récréation. Ils veulent tenir éloigner la fonction présidentielle de la bouffonnerie  de quelques charlots animés du désir de nous distraire. Ils en ont assez de laisser entrebâillée la porte au profit de quelques plaisantins en mal d’amuser la galerie en s’offrant une tribune facile. Aussi ont-il trouvé en l’argent un bon critère de sélection, le tamis pour séparer le bon grain de l’ivraie.

Sans tomber dans le misérabilisme, affirmons que 100 millions de francs CFA de caution à l’élection présidentielle, c’est nettement au-dessus des standards en vigueur dans un pays où le SMIG reste plafonné à 37 000 francs CFA. Une caution  qui plane ainsi par-dessus la réalité courante et quotidienne du plus grand nombre ne répond plus à son  objectif premier, celui d’être un dépôt de garantie au cas où le candidat ne réunirait pas sur son nom un pourcentage donné de suffrages. Une caution qui fait la part belle à ceux qui justifient d’une capacité financière élevée, établit  une ligne de démarcation entre une majorité pauvre qui vote et une poignée de riches qui peut se forger un destin permanent d’éligibilité.

Accorder à l’argent ce primat, lui faire jouer un tel rôle, nous contraint à constater, avec beaucoup de tristesse, que nous n’avons rien compris, rien retenu des méfaits de l’argent sur notre société. En effet, parce que nous l’avons fétichisé, en en faisant l’objet d’un véritable culte, l’argent est devenu le cavalier qui réduit l’homme au statut d’un simple cheval. Qui braque une banque, tire sans se poser de questions sur le nombre de vies humaines qu’il anéantit. Qui désire obtenir un diplôme, censé sanctionner un niveau de connaissance déterminé, ouvre le porte-monnaie et l’ignorance est immédiatement distinguée et récompensée. Qui cherche à  s’enrichir par les raccourcis de la politique politicienne,  s’oblige à toutes sortes d’acrobaties et de contorsions pour un juste retour sur investissement.

Quand l’argent a ainsi faussé les rapports humains, corrompu les mœurs en piétinant les valeurs cardinales d’une société, ce n’est pas à l’argent qu’il faut demander de réguler quoi que ce soi, d’aider à mettre de l’ordre dans une maison où il a déjà contribué à tout mettre sens dessus dessous. Celui qui est déjà atteint du sida de l’argent ne prend certainement pas la voie du mieux être en continuant de s’infecter par l’argent. Pour dire que nos députés, sauf leur respect, par la décision de fixer une nouvelle caution sur la base de la fortune pour les candidats à la présidentielle, faussent le jeu et embrouillent les enjeux.

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Si c’est pour sélectionner les candidats et nous libérer d’une lie dont on a que faire, de vrais débats avec les candidats, des face-à-face entre candidats, sur leurs idées et idéaux, sur leurs projets et programmes, aideraient à une décantation salutaire. Il ne s’agira plus de venir faire un one man show insipide, en soliloquant un catalogue de vœux pieux.

Si c’est pour sélectionner les candidats  et nous soulager de wagons brinquebalants qui n’ont rien avoir dans une élection présidentielle, nous proposons que désormais chaque candidat soit impérativement soumis à une enquête de moralité officielle. Laquelle enquête doit être confrontée, pour être validée, à une contre enquête diligentée par un groupe de personnalités indépendantes et dignes de foi.

Comme on le voit, des pistes de recherche ne manquent pas. Il suffit de s’investir à les chercher et à les trouver. Car nous ambitionnons de construire solide et durable et l’argent, en la matière, n’est pas notre meilleur allié. Ce sont les sages malinké qui ont raison : « La fortune, disent-ils, contrairement à la compétence, ne vaut guère  plus qu’un saignement de nez : comme lui elle apparaît sans raison, et comme lui elle disparaît de même. »

Jérôme Carlos

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