RFI et le tambour Bénin

Fait rare et troublant sous le renouveau démocratique: près de 12 heures de suspension de Radio France internationale (RFI) en bande Fm sur le territoire national, du dimanche 1er au mardi 3 août 2010. De manière claire, l’affaire ICC Services, cette société de placement d’argent dont l’effondrement ne cesse de faire des vagues, est à l’origine d’une telle décision.

Tout se passe comme si le Bénin ne pouvant s’ingérer dans la cuisine intérieure de cette radio pour contrôler le traitement qu’elle fait de cette affaire, a usé de son droit d’interdire à RFI de s’immiscer « dans les affaires intérieures d’un pays indépendant et souverain », selon la formule consacrée.
Nous raisonnions et agissions ainsi il y a une vingtaine d’années. Souvenons-nous de l’ère de l’Afrique des partis uniques et de la pensée unique. L’Etat estimait alors de son bon droit de choisir pour les populations les informations que celles-ci devaient consommer pour ne pas courir le risque d’une indigestion ou d’une intoxication. Aux populations ainsi infantilisées, on tendait le biberon d’une information contrôlée pour qu’elles entendent « La Voix de son maître ».

Mais, les temps ont changé. Le Bénin, notre pays, faut-il le rappeler, a ouvert le bal des conférences nationales, qui, à leur tour, ont ouvert l’ère de la démocratie pluraliste en Afrique. Et la démocratie s’est auréolée, ici et là, de la libération de la presse, de la démonopolisation de l’espace audiovisuel. Extraordinaire mutation : l’Etat africain renonçait à un monopole ancien et concédait à des tiers une part notable de son droit longtemps exclusif d’informer.

Voilà le contexte qu’il convient de restituer. En effet, c’est dans ce contexte et par rapport à ce contexte que se comprend et que s’analyse la décision de réduire au silence RFI sur la bande Fm sur toute l’étendue du territoire béninois. Une telle décision, au jour d’aujourd’hui, nous renvoie aux temps tristes de l’embrigadement des journalistes et de la linéarité de l’information. La suspension de RFI ne peut que nous laisser dubitatifs sur nos acquis démocratiques.

Mais, avant toutes choses, qui s’est arrogé le droit de suspendre RFI ? L’institution qui a la prérogative constitutionnelle exclusive en la matière, à savoir la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) botte en touche. Elle décline toute responsabilité au sujet d’une telle suspension. Dans un communiqué de presse conjoint des associations professionnelles des journalistes et des patrons de presse, on peut lire (Citation) : « Il nous revient que c’est le gouvernement, en violation des lois de la République qui a pris l’initiative de suspendre RFI, sans s’en référer à la HAAC » (Fin de citation). S’il devait en être ainsi, autant admettre que ça cafouille fort au sommet de l’Etat.

Qui a pu conseiller le gouvernement à prendre une telle décision ? Quand le Bénin suspend RFI sur son territoire, il ne réduit pas pour autant cette radio au silence dans le monde. RFI continue d’être écoutée partout sur les cinq continents. RFI, au cas où on l’oublierait, est une radio mondiale. La décision de suspension, loin de pénaliser cette radio, a plutôt réduit notre pays, l’espace de cette action liberticide, à n’être qu’un îlot obscurantiste dans l’immensité de l’océan.

Faisons remarquer qu’une radio mondiale, comme RFI, a la possibilité, hors la bande FM, d’être captée en ondes courtes. Ne parlons pas de l’Internet qui lui offre et lui ouvre l’espace d’une diffusion alternative. Laquelle n’a rien à envier aux autres canaux de réception de la radio. Cela veut dire en clair que la décision du gouvernement, en définitive, ne prive de leur radio qu’une part des 15,4% des auditeurs de RFI dans l’agglomération de Cotonou. (Voir l’étude d’audience cumulée des stations de radios, étude réalisée par Canal France international en décembre 2009). Par rapport à quoi, l’action du gouvernement de réduire RFI au silence est un peu à l’image d’un filet à grosses mailles. Il ne peut que laisser passer beaucoup de poissons.

Reste le revers de la médaille que le Bénin, notre pays, assume seul. C’est, d’abord, l’attrait du fruit défendu. La décision de suspendre RFI a décuplé l’intérêt d’un large public, hors du Bénin, pour cette affaire ICC Services. Un intérêt affecté des questions suivantes : le gouvernement ne cherche-t-il pas, dans cette affaire, à cacher quelque chose ? Si c’est si clair et si c’est si limpide qu’on veut le faire croire, pourquoi mettre une sourdine à tout débat sur le sujet ? C’est, ensuite, le retour de la manivelle. Dans le monde sans frontières qui se construit sous nos yeux, on ne touche pas impunément à des denrées aussi sensibles que la liberté. Car une radio que l’on suspend, c’est la libre expression que l’on bouscule. C’est bon à savoir pour éviter d’aller au devant de gros ennuis. Car la biche qui ne suit pas sa mère, disent les sages de Côte d’Ivoire, finit toujours en peau de tambour. Et le tambour Bénin, par les temps qui courent, partout dans le monde, résonne mal, très mal.

Jérôme Carlos

Laisser un commentaire