C’est quoi le régionalisme ? Le dictionnaire Le Petit Larousse 2010 le définit joliment, au sens premier, comme étant « Mouvement ou doctrine affirmant l’existence d’entités régionales et revendiquant leur reconnaissance ». Ça, c’est pour le bon côté des choses.
Dans la pratique, chez nous, il s’agit moins de mouvement ou de doctrine, que d’un penchant débridé et suranné à réfléchir par rapport à sa région de provenance. A en faire le centre du monde. Observons comment, lorsque nous nous retrouvons en groupe, certains, parce qu’ils se connaissaient, par réflexe, parlent non pas la langue officielle de travail, mais la langue nationale qu’ils ont en commun, la langue de leur région. Et ceci, sans tenir compte des autres qui ne comprennent pas ladite langue et qui peuvent être frustrés de ce comportement. Observons comment, quand un cadre est nommé dans une fonction officielle (ministre par exemple), il engage d’abord ses collaborateurs immédiats parmi les gens de la région dont il est ressortissant. A telle enseigne que la langue qu’ils ont en commun devient comme la langue de travail dans ce ministère, dans cette administration. Et il ne s’agit pas d’une discrimination positive. Non !
Cette pratique qui voudrait que l’on privilégie les gens de chez soi en croyant se rendre populaire auprès d’eux n’apporte pourtant pas grand-chose au pays en termes d’efficacité voire même de construction. En effet, le régionalisme à tout crin ne permet pas de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, ne permet pas de valoriser les cadres. L’appartenance à la région étant devenue le principal étalon à l’aune duquel les promotions sont faites. Dans ces conditions et tant que des mesures drastiques ne sont pas prises, comment ne pas considérer les beaux discours sur la dépolitisation de l’administration, sur l’administration de développement, comme des vœux pieux ? Quand je discute de la question avec nos compatriotes, notamment les gens de ma génération, je suis toujours meurtri. Les « victimes » de la pratique ne comprennent pas qu’ayant fait les classes avec certains, qu’ils battaient copieusement du reste, ils ne trouvent pas du travail, ne réussissent pas aux concours alors que ceux-là sont facilement recasés parce que leur appartenance à telle ou telle région serait plus déterminante que leurs diplômes et leurs capacités réelles à occuper les fonctions qu’on leur confie. Or, qu’on se le dise bien : le régionalisme nuit à l’efficacité, met la conscience professionnelle en valeur absolue et fait la nique au patriotisme.
Le Bénin de nos grands parents et de nos parents, c’est-à-dire le Dahomey, était-il déjà comme cela ? Beaucoup d’anciens répondent qu’il y avait des manifestations du régionalisme mais qu’elles n’étaient pas aussi exacerbées qu’aujourd’hui. Aujourd’hui où, au nom d’une certaine préférence régionale, l’on sacrifie aisément le besoin de qualité et d’efficacité sur l’autel de la complaisance. Complaisance et clientélisme sur fond de régionalisme, qui font qu’on peut vous balancer comme chef dans une administration où la notion de hiérarchie existe pourtant, quelqu’un qui n’a de mérite que sa proximité régionale d’avec le chef. Car son parcours est vierge de toute référence mais son visage, sa langue, son identité sont les paramètres qui indiquent sa compétence. En clair, l’origine régionale, dans ce contexte, confère la compétence. Sous Nicéphore Soglo, l’on a parlé de « pouvoir clanique et familial » et cela a été rudement dénoncé. Sous Mathieu Kérékou, il y a eu aussi régionalisme. Mais lui semblait exceller dans ce qu’on appelait « équilibre régional », une trouvaille pour faire en sorte que toutes les composantes du pays se sentent impliquées dans la gestion au haut niveau du pays. Sous Boni Yayi, il y a toujours régionalisme. Certes, les ministres sont nommés en tenant compte du souci de représentativité des départements pour ne pas dire des régions. Mais en descendant dans leurs cabinets, dans l’administration, c’est là où l’on voit le régionalisme dans ses mensurations les plus protubérantes. A un moment donné, il a été relevé que pas moins de 75% des directeurs généraux de sociétés ou offices d’Etat nommés sous Yayi étaient tous de la même aire régionale !!!
A la présidence de la République, n’en parlons plus. De tout temps, semble-t-il, la langue officieuse de travail, celle que l’on parle naturellement, c’est celle du chef. C’était comme cela hier, c’est comme cela aujourd’hui avec une exagération consommée. Ce sera ainsi demain si rien n’est fait. Une situation qui, à elle seule, suffit à traduire le drame du Bénin. Un pays sans doute, pas vraiment un Etat au sens plein, et surtout pas une nation. Or, l’idéal est de construire une nation. Comment prétendre lorsque par réflexe l’on pense et agit région, construire une nation alors que cette pratique crée des Béninois de première zone et d’autres de seconde zone ? Nous avons besoin de tourner cette page. Radicalement. Pour donner à tous les fils de ce pays, les mêmes chances. C’est un impératif catégorique ! Cela justifie le récent « Appel des cent contre le Régionalisme et l’Ethnocentrisme », à l’initiative de l’ONG ALCRER qui constate qu’en cette veille d’élections, les acteurs politiques « fondent leurs discours de terrain, leurs actes et leurs stratégies politiques d’exercice ou de conquête du pouvoir sur l’exploitation vénéneuse du sentiment d’appartenance régionale et ethnique des populations ». Comment ne pas s’en inquiéter et agir pour tourner la page ?
Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI (Source : http:/commentvalebenin.over-blog.com)