Les multiples facettes de l’ethnocentrisme et du régionalisme au Bénin (suite)

La question du régionalisme est devenue une donnée rémanente de notre vie nationale. Il n’y a pas de jour qu’elle ne revienne comme un leitmotiv lors de nos fora.

Dans une chronique précédente, j’ai tenté de montrer que ce que nous appelons régionalisme au Bénin, n’est en fait que l’ethnocentrisme,  même s’il est d’essence régionale ; c’est la vraie variable déterminante de notre dynamique sociale. En effet, nous nous gargarisons de mots en parlant de régionalisme au Bénin lors donc qu’on ne peut rencontrer chez nous une région homogène : un Nord culturellement et politiquement typé revendiquant son autonomie et sa différence face à un Sud tout aussi campé dans son irrédentisme. Au Bénin, nous ne pouvons en toute rigueur que parler de proto ou de crypto-régionalisme, pour la simple raison qu’il n’y a ni homogénéité ethnique, socioculturelle ou politique dans tout le Nord face au Sud. Il n’y avait guère une seule ethnie au Nord pour qu’on ait pu parler comme Hubert MAGA en 1951 d’un Groupement Ethnique du Nord ! Aussi le « régionalisme » au niveau des élites est-il une stratégie d’instrumentation de la conscience ethnique comme moyen de conquête ou de conservation du pouvoir d’Etat. Il se présente alors sous deux formes : offensif au niveau des congénères de la même ethnie dont l’un des leurs est au pouvoir, défensif chez les ethnies qui se sentent exclues des avantages du pouvoir. Il se présente donc de nos jours comme l’expression de sentiments de frustration des élites de la partie méridionale du pays, les Fons en l’occurrence, face à ce qu’elles perçoivent comme une monopolisation inacceptable des hauts-postes politico-administratifs par les cadres du Nord. Voilà donc l’origine d’une forme de « régionalisme » que j’appellerai stratégique : une compétition interethnique au niveau des élites pour s’accaparer des hauts-postes. Actuellement, la question du « régionalisme » refait surface avec une acuité plus grande ; ceux qui paraissent ici Gros Jean comme devant sont les élites de la partie méridionale du pays, en l’occurrence les Fons.
Je vais maintenant décrire une autre forme de « régionalisme », celui qui existe au niveau des masses populaires, surtout dans certaines villes du Bénin. Ainsi, les grandes métropoles du Bénin que sont Cotonou et Parakou notamment, mettent en contact toutes les grandes ethnies du pays, qu’elles soient de la partie méridionale ou septentrionale du pays. Cependant, l’ethnocentrisme d’essence régionale qui met en scène les ethnies de la partie sud du pays qui semblent ainsi taire leurs propres adversités ethniques et les ethnies du Nord, tend à diminuer et même à disparaître. Avant, un Fon qui a pourtant une sérieuse prévention contre un Nagot, un Adja, un Toffin ou un Aïzo, ferait taire cette animosité au profit de sentiments d’exclusion contre les « gens du Nord » ; mais cette forme de « régionalisme » tend à disparaître au Nord comme au Sud, au fur et à mesure que se prolongent et s’intensifient les contacts interethniques. Le plus grand instrument de mesure de cette tendance à la disparition de l’ethnocentrisme, d’essence régionale ou non, est la fréquence des mariages interethniques en général. Dans un passé récent, il est impossible de parier sur les chances de succès d’un mariage entre un Fon et un Adja, un Fon et un Nagot ; idem pour un Fon et un «tomènou » ! De nos jours, il suffit de consulter les registres d’Etat-civil de la Mairie de Cotonou et de ses arrondissements pour se rendre compte que les mariages interethniques en général sont en nette progression ; si bien qu’il est fréquent de voir sur nos écrans de télévision des femmes dont le patronyme ou le nom du mari est indifféremment d’une ethnie de la partie méridionale, centrale ou septentrionale du pays. Ce progrès dans les brassages interethniques qui augure d’un progrès de l’intégration et de l’unité nationales, peut certes être mis à mal par les tentatives d’instrumentation du facteur ethno-régional par les élites politiques, mais il est irréversible. Nous finirons par développer mutatis mutandis la même identité culturelle, nationale et linguistique comme tous les pays civilisés du monde ! Il est heureux de constater que l’affaire ICC-services et ses conséquences néfastes n’a pas connu une dérive crypto-régionaliste. Personne à ma connaissance, n’a encore osé insinuer  que :
1)    ce serait les ministres du Sud qui sont malmenés par un Président de la République originaire du Borgou ;
2)    il serait  sélectif dans ses limogeages des ministres selon qu’ils sont du Nord ou du Sud ;
3)    lui-même ne serait voué aux gémonies que parce qu’il est un Chef d’Etat du Nord !
Que Dieu nous en garde ! Nous ne souhaitons plus de telles turbulences pour notre nation, comme celles que nous avons connues en 1963 avec la chute du Président Hubert MAGA. 

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