C’est une exigence légale que nos partis doivent avoir une assise nationale. Au-delà des efforts pour rassembler les membres fondateurs dans tous les départements, dans la réalité, il y a encore loin de la coupe aux lèvres entre le vœu de représentativité nationale de nos formations politiques, et l’effectivité de cette aspiration.
En effet, toutes ces formations politiques justifient souvent d’un fief plus ou moins consistant, qui ne va pas très au-delà de la région d’origine ou de l’ethnie de leurs leaders. Faut-il, dans ces conditions, continuer à parler de partis nationaux ? Si, juridiquement, ils satisfont aux exigences des textes de loi, du point de vue de la couverture nationale en termes de membres fondateurs, objectivement, il faut avouer qu’ils ne sont point des partis nationaux. Des partis dont la voix porterait d’un point à l’autre du pays, même si ce n’est pas à la même enseigne. Des partis qui lèveraient conséquemment des militants dans tout le pays. Certes, ce n’est peut-être pas faute de le vouloir, mais le caractère régional voire ethnique du vote est encore si prononcé que, certainement, ces partis se disent qu’ils perdraient leurs temps et moyens à aller à la conquête d’autres régions du pays, où ils sont assurés d’avance d’aller prêcher dans le désert.
Le raisonnement, quoique réducteur, n’en est pas moins réaliste. A quoi bon, en effet, aller perdre du temps à convaincre des gens dont la religion est, depuis longtemps, faite quant à leur choix, au lieu de s’employer à entretenir sa base sur laquelle l’on peut compter quasiment les yeux fermés ? En 2006, un candidat ayant son fief dans la partie méridionale du pays a écumé le septentrion pendant une dizaine de jours de campagne officielle sur quinze, et l’on dit qu’il travaillait depuis des années déjà à s’y implanter à travers diverses actions et libéralités, pour des résultats sans rapport avec l’énergie et la fortune englouties. Un autre avait le soutien déclaré de certains grands leaders politiques du septentrion, qui s’étaient franchement engagés pour sa cause, mais pour des résultats pas plus encourageants que ceux du premier. L’inverse n’est pas toujours justifié. Faut-il alors y comprendre que nos partis politiques se recroquevillent sur leurs arrière-bases ? Ou que certains leaders manquent de charisme pour s’imposer à l’échelle nationale ? Faut-il comprendre qu’ils aient peur de faire la promotion de cadres de leurs rangs mais d’une région autre que celle d’influence de leur formation pour ne pas risquer d’être trahis ?
En termes clairs, un parti influent au sud par exemple doit-il craindre de promouvoir ses cadres originaires du nord, sous un président du nord, parce que, sur la base de l’affinité régionale, ceux-ci risquent de rompre les amarres pour battre pavillon du président en place ? Inversement, un parti influent dans le nord doit-il craindre de promouvoir des cadres du sud, sous un président du sud, parce que ces cadres pourraient, pour les mêmes raisons, quitter ses rangs ? Il me semble que, pour sortir de l’hypocrisie générale, nous devons reconnaître que de telles considérations régionalistes ont souvent cours dans nos formations politiques. Celles-ci devraient, à mon avis, veiller à l’équité dans la promotion des leurs. Par ailleurs, le réflexe identitaire semble si prononcé encore et, la stigmatisation de ceux qui se mettent en travers de cette logique, si cruelle que certains n’osent pas s’engager franchement dans des partis ayant leurs fiefs ailleurs que dans leurs régions d’origine. Ils paraîtraient des traîtres en osant porter un idéal autre que celui dominant dans leur localité.
Mais, dans le fonds, il me semble que soit aussi en cause dans ce défaut d’engagement, l’absence d’idéologie qui porte nos partis politiques. Une idéologie qui transcende les clivages régionalistes et ethniques. De même que ces pratiques régionalistes traduisent, et c’est un euphémisme de le dire ainsi, le fait que nous n’ayons pas encore une nation béninoise. Car, nous serions une nation que ces considérations n’auraient pas droit de cité ou qu’elles n’existeraient qu’en proportion résiduelle. Le défi, me semble-t-il, c’est de travailler à cela. Aujourd’hui plus que jamais où les clivages politiques sont manifestes, où le langage est carrément à tendance régionaliste, promettant de faire voler en éclats ce qui reste du pays, si rien n’est fait. Gageons que nous ne franchirons pas le Rubicon. Car, après les promesses du début du Renouveau démocratique, où des partis pouvaient se targuer de compter des élus à travers le pays, le pire serait qu’ils ne puissent plus bientôt aligner des candidats dans certaines régions sans exposer ceux-ci aux représailles de toutes sortes. Face au régionalisme, dans ses états de plus en plus préoccupants et menaçants, nous devons savoir raison garder sans être les dindons de la farce.
Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI (Source :http:/commentvalebenin.over-blog.com)