Des frères et des sœurs morts pour une question de sous. Non parce qu’ils ont volé l’argent de quelqu’un. Non parce qu’ils doivent de l’argent à quelqu’un. Mais parce qu’ils sont les victimes innocentes et collatérales d’une grève des agents paramédicaux du service public. Ceux-ci, pour plier le gouvernement à leur verser des primes de risque ont déclenché une grève sans service minimum.
Ainsi, pour 72 heures, à compter du 9 novembre, conformément au mot d’ordre du Front uni des organisations syndicales de la santé, ces agents ont déserté les hôpitaux et les centres de santé. Ils ont abandonné blouses et bistouris. Ils ont laissé leurs patients face au mal qui les ronge, face à la mort. Ainsi, des dizaines d’êtres humains sont morts ou vont mourir. Cela vaut une exécution sommaire, en règle et dans état d’âme.
Requiem pour tous ces frères et sœurs. Ils étaient partis pour recouvrer la santé. Mais ils ont rencontré la mort sur leur chemin. Ils n’ont pas eu le temps de réaliser ce qui leur arrivait. Ils auront été piégés trois fois. Piégés, d’abord, par la maladie qui les a conduits vers un centre de santé où les attendait un peloton d’exécution en blouse blanche. Piégés, ensuite, par une grève assassine dont la motion a pris brutalement les accents tragiques d’une sentence, d’un arrêt de mort. Piégés, enfin, par la pauvreté qui ne leur a donné aucune possibilité de repli vers une clinique, vers un centre de santé privé.
Avant de situer les responsabilités dans cette série de meurtres sur commande ou de meurtres télécommandés depuis une grève, attardons-nous sur ces mots d’André Malraux (Citation) : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». (Fin de citation). Cette phrase est à faire méditer par tous. Cette phrase est à faire graver au fronton, de tous nos centres de santé. Cette phrase doit marquer nos consciences pour que la vie ne soit plus banalisée, pour que l’homme reste à la place qui ne doit jamais cesser d’être la sienne dans nos préoccupations : la première.
Ceux qui sont morts n’ont plus voix au chapitre. Que pensent et que disent les vivants quant aux responsabilités engagées dans cette triste affaire ?
Argument N°1 : si le gouvernement, depuis des années, n’avait pas fait la sourde oreille, ne s’était pas assis sur les primes de risque dues aux praticiens hospitaliers, ceux-ci ne seraient pas allés en grève et nous n’aurions pas eu à déplorer des morts pour fait de grève. Pour les grévistes, voilà une manière élégante de botter en touche, en déclinant toute responsabilité. C’est le gouvernement qui a ouvert et qui a refermé la tragique parenthèse. Qu’il y ait des morts, ils n’en ont rien à cirer !
Est-ce que des hommes et des femmes, liés par le serment d’Hippocrate, face à la souffrance de leurs semblables, face à la mort dans ses œuvres, du fait d’une grève qu’ils ont déclenchée, peuvent-ils se dédouaner aussi facilement, peuvent-ils se dégager aussi légèrement ?
Argument N° 2 : on peut s’arrêter à l’idée, en s’y accrochant comme la chauve- souris à sa branche, à savoir que la grève est légale. En effet, L’article 31 de notre constitution dispose : « L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. » Ce qui est assorti de cette autre disposition : «Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi. »
Aucune loi n’autorise un citoyen à mettre en péril la vie d’un autre citoyen. L’article 8 de la constitution souligne que « La personne humaine est sacrée et inviolable »
Argument N°3 : on peut invoquer le fait que, pour l’instant, aucune disposition légale n’impose d’observer, dans une grève, un service minimum. Peut-on pour autant, sachant qu’on sème des morts derrière soi, se permettre d’aller en grève le cœur léger, sans se poser de questions ? Le silence de la loi sur un aspect des choses nous empêche-t-il d’exercer notre bon sens ? Quel honneur, quelle fierté y –a-t-il à obtenir des primes au prix de la vie d’innocents patients ? Si l’argent, dit-on, n’a pas d’odeur, avouons que les primes des agents de santé risquent d’en avoir une : l’odeur des cadavres de ces personnes envoyées à la mort.