Redoutable et invalidante, l’Ulcère de Buruli sévit toujours au Benin. Plein feu sur un mal dont le mode de transmission et les séquelles restent à percer.
Salle d’hospitalisation du centre de santé Gbèmontin, des Sœurs de Zangnanado. A 42 Km de la ville de Bohicon, 6 enfants de moins de 15 ans et deux femmes accompagnées de bébés, occupent les lits d’hospitalisation. Le bras, le pied et la figure couverts de bandes pour les uns, et le torse pour les autres. Les membres affectés sont maintenus en position verticale, accrochés aux sommiers des lits. Les yeux hagards, les hospitalisés broient en silence leur douleur. La salle, plongée dans un silence inquiétant, troublée de temps à autre par les pleures des bébés et des quintes de toux, présente un aspect lugubre. Ce spectacle donne à penser que les occupants sont des victimes d’un grave accident de circulation. Pourtant, tel n’est pas le cas. Tous souffrent d’une même maladie : l’ulcère de Buruli. « L’ulcère de Buruli est une maladie cutanée de nature infectieuse due à une mycobactérie et caractérisée par de vastes ulcérations », explique Sœur Julia Aguiar, directrice de ce. Le mal a été identifié pour la 1ère fois en 1948 par Mac Callum en Australie. Il a pris le nom de Buruli en 1958, lors de l’apparition de nombreux cas chez les réfugiés Rwandais dans le district de Buruli en Ouganda. Mais la maladie semble récente au Bénin où les premières manifestations remontent à 1980.
Les yeux rivés sur les plaies béantes d’un patient, la Sœur complète : « l’ulcère de Buruli se rencontre près des zones d’eaux stagnantes dans les régions humides à savoir : Zou, Ouémé, Mono, Atlantique c’est la 3ème forme de bactérie la plus fréquente dans le monde après la lèpre et la tuberculose. Cette maladie touche les populations rurales, principalement les enfants et ces modes de transmission sont encore inconnus. Le contact direct prolongé ou répété d’une partie du corps avec le lieu infectant est souvent la cause. Et, on suspecte également Les petits-traumatismes. La contamination inter humain n’a jamais été prouvée ».
Le temps d’incubation n’est pas bien déterminé. Il varie de quelques semaines à plusieurs mois. La maladie commence véritablement par une vaste plaie, peu ou pas douloureuse. Sur une durée de 36 mois, la maladie évolue avec des complications et des surinfections. Actuellement, le mal se traite au moyen des médicaments spécifiques, ou par la chirurgie. Pour les cas de nodule ou de petites plaques, le médecin procède à une opération chirurgicale suivie de suture. « En ce qui concerne les séquelles, on doit avoir recours à une chirurgie réparatrice », souligne la directrice du centre. Les répercussions de la maladie sont multiples et de nouveaux cas ne cessent d’être détectés.
Une maladie qui appauvrit
Dans les centres de prise en charge des patients, les soins coûtent chers. On distingue : Les frais directs qui recouvrent le coût des services assurés pendant la période d’hospitalisation (l’hospitalisation, chirurgie, les analyses de laboratoire, pansements quotidiens, les médicaments et les frais divers). En se fondant sur des données concernant 203 cas d’ulcère de Buruli traités dans son centre en 2009. Sœur Julia Aguiar précise : «l’hospitalisation dure en moyenne 32 jours et le coût du traitement est estimé à près de 760.000 CFA par patient. Les frais indirects s’élèvent à plus de 220.000CFA. Ces dépenses contiennent le coût de la main d’oeuvre. Les frais indirects sont calculés en se basant sur les pertes de productivités encourues par le patient et le parent qui s’en occupe. le coût de revient de la nourriture pour le patient et le parent, ainsi que des frais divers estimés à 25% du total des pertes de productivité et des frais de nourriture. Le coût des médicaments, des pansements et de l’hospitalisation a représenté 90% du total des dépenses directes. Celles-ci dépendent de la durée d’hospitalisation qui actuellement est prolongé. Les dépenses de nourritures pour le patient et le parent qui s’en occupent représentant 49% du total du coût indirect suivi des pertes de productivité et des frais divers. « Si les pertes de productivité sont faibles, c’est parce que la majorité des patients sont des enfants qu’on ne considère pas comme faisant partie de la population active. A mesure que la maladie affecte d’avantage d’adultes, les pertes de productivité et les conséquences augmentent. Les frais de nourriture sont un élément important pour les patients hospitalisés, notamment lorsque la durée d’hospitalisation est longue», justifie sœur Julia. De cette analyse, on peut déduire que l’ulcère de Buruli est une maladie qui coûte très cher. La plupart des patients, et donc à fortiori les plus démunis, n’ont pas la possibilité d’assumer financièrement le coût moyen du traitement. Les frais indirects représentent environ 70% des dépenses malgré une estimation prudente du revenu et des frais de nourriture par jour et par patient. A Zangnanado, les responsables du centre estiment, qu’en dehors d’une infime partie des patients qui se présentent dans les services de santé au stade précoce, 79% viennent consulter à un stade avancé, lorsqu’ils présentent une ulcération cutanée qui nécessite une hospitalisation de plus de 100 jours. 22% dans des cas d’incapacités fonctionnelles chroniques qui nécessitent amputation et déformation. Les coûts de ces traitements sont très élevés.
70 % des enfants de moins de 15 ans exposés
L’ulcère de Buruli frappe au Bénin les populations pauvres des zones rurales isolées comme Ouinhi, Zogbodomey, Adjohoun, Bonou, Lalo, Lokossa, où l’accès à des services de santé est difficile. La durée moyenne de l’hospitalisation est de 3 mois dans le centre Gbèmontin de Zangnanado. Le protocole de traitement requiert en même temps l’hospitalisation d’un parent en bonne santé pour s’occuper du malade (faire la cuisine, laver ses vêtements, aller chercher de l’eau, etc.). Au Bénin où il n’y a pas de programmes sociaux pour s’occuper des handicapés, les familles constituent une protection sociale et, dans le cas d’une maladie ou d’une incapacité, la charge leur revient, même si elles sont démunies. Les soins à long terme que les personnes handicapées par la maladie demandent à leur famille entraînent souvent une grande perte de productivité et aggravent la pauvreté. Les enfants de moins de 15 ans représentent près de 70% des cas d’ulcère de Buruli. Les conséquences directes sur ces enfants sont d’abord la morbidité prolongée qui entraîne souvent une longue interruption ou même l’abandon de la scolarité. Ensuite, les complications comme les amputations ou les déformations sont fréquentes et les enfants handicapés n’arrivent plus travailler dans les champs. Alors, une fois adultes, ils constituent une charge pour la société.
Les femmes subissent durement l’ulcère de Buruli, avec des problèmes physiques et esthétiques. L’affection a des effets similaires à la tuberculose et à la lèpre (opprobre, isolement social et diminution des perspectives de mariages). Les femmes jouent un rôle considérable dans les communautés rurales. Elles participent aux travaux agricoles et aux activités génératrices de revenus. L’incapacité permanente résultant de la maladie réduit considérablement cette participation. Elles ne peuvent plus se livrer aux activités comme le commerce, l’agriculture, les travaux domestiques et l’allaitement. L’incapacité d’effectuer toutes ces tâches a un effet négatif sur les revenus potentiels ainsi que sur la santé et le bien-être des enfants. Compte tenu du nombre des cas recensés ces dernières années et des économies qu’il est possible de réaliser sans parler d’atténuation de la souffrance, la solution résiderait dans l’intensification des efforts conduisant à dépister et traiter les cas au stade précoce. Il conviendrait d’instaurer une politique conduisant à diminuer les conséquences économiques de cette endémie en s’attachant à réduire la durée d’hospitalisation grâce à une détection et à un traitement précoce de la maladie.