Présidentielles centrafricaines : rançon à la paix ou prime à la crise ?

En d’autres temps, cela aurait été considéré comme un affront. L’affront suprême. L’affront de trop. En d’autres contrées, certains d’entre eux auraient été lynchés depuis déjà bien longtemps et leur souvenir éteint. En d’autres circonstances, quelques uns eurent été jetés en prison sans autre forme de procès. La justice des hommes n’est décidément plus ce qu’elle était. Celle des centrafricains, encore moins.

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Ange-Félix Patassé se représente face au peuple centrafricain pour solliciter son suffrage et reprendre les rênes de l’Etat. Martin Ziguélé pense son heure venue de prendre en main le destin de ses compatriotes. Jean-Jacques Demafouth a tronqué son manteau de chef de guerre contre celui de leader politique et aspire à la même fonction suprême. Et enfin, le chef de l’Etat sortant, le Général François Bozizé ne pense non plus qu’à cela : se faire réélire. C’est à cette multiplicité de candidats au passé pour le moins abject, au présent douteux et à l’avenir incertain que l’on mesure la rançon que paye la république centrafricaine à la paix. A la paix et à l’histoire. Tous ont été adoubés, validés et peuvent concourir sur un certain pied d’égalité. Et pourtant.

L’ancien Président de la république centrafricaine Ange-Félix Patassé a un lourd passif devant le peuple centrafricain. Ancien collaborateur du dictateur Jean-Bedel Bokassa, l’homme est arrivé au pouvoir comme le premier président démocratiquement élu de la Centrafrique en 1993. Très tôt, il a accumulé les écarts. Résultat, trente-six mois d’arriérés de salaire, une corruption généralisée, une administration informelle, une armée à la dérive, plusieurs mutineries et tentatives de coup d’Etat. Avec son lot de répressions et d’exactions. La cerise sur le gâteau fut cette invitation adressée aux troupes du rebelle congolais Jean-Pierre Bemba en 2002 à l’effet de sauver son régime en proie à une rébellion conduite par son ancien chef d’Etat-major, le général François Bozizé. Les crimes contre l’humanité commis à cette occasion valent aujourd’hui à Jean-Pierre Bemba de comparaître devant la Cour pénale internationale de la Haye pendant que Patassé, bénéficiaire d’une loi d’amnistie dans son pays, se représente ‘’joyeusement’’ à une élection présidentielle.

Martin Ziguélé quant à lui est présenté comme un « bon gestionnaire » et à ce titre, pense pouvoir offrir par son élection un autre type de gouvernance à la Centrafrique malade. Malade de son passé et de son présent. Ce peut être vrai. Mais Martin Ziguélé a deux torts : le premier, d’avoir contribué au système nocif d’Ange-Félix Patassé dont il a été le Premier Ministre d’avril 2001 à mars 2003, et donc durant la terrible intervention des miliciens de Jean-Pierre Bemba à Bangui. Le second péché de Ziguélé, ou plutôt son second défaut, c’est d’être le candidat du MLPC, l’ancien parti de Patassé.

Le leader de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD), Jean-Jacques Demafouth est un autre cas atypique de candidature à la magistrature suprême de la Centrafrique. Prendre les armes à tout propos, provoquer la déstabilisation de l’Etat ou d’une portion du territoire, se tailler des avantages sur mesure pour enfin se lancer en politique, cela ressemble au parcours tumultueux qui a mené Jean-Jacques Demafouth aux portes de la présidence dans son pays, pour autant qu’il ait une infime chance de se faire élire. Ce qui est loin d’être garanti.

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Enfin François Bozizé, le président en exercice doit à son pays de l’avoir sorti d’un système contestable pour l’introduire dans un autre. La bonne gouvernance de son régime ne crève pas les yeux et les régulières insurrections dans plusieurs régions du pays sont là pour le prouver.

C’est donc entre autres candidats, parmi cette brochette bien singulière que les centrafricains, appelés aux urnes ce dimanche 23 janvier avaient à choisir leur président. Dans des conditions qui elles aussi, sont celles d’un scrutin à haute intensité de risques. Après déjà plusieurs reports, avec une couverture incomplète du territoire national pour cause de rébellion, des accusations de fraude à l’encontre du président en place… La Centrafrique vient d’organiser un scrutin à la gloire de la paix. Auquel tout le monde a pu prendre part sans discriminations ostensibles.

Mais cette opération pacification a-t-elle réellement toutes les chances de remplir les fonctions vertueuses qui lui sont assignées ? Bien malin qui pourra y répondre. A mon sens, les germes d’une nouvelle crise politique, voire politico-militaire ne sont pas totalement à exclure de ce scrutin, au vu d’abord du profil des challengers, compte tenu des conditions de déroulement du vote et enfin dans la perspective de la proclamation de résultats que certains candidats, sur la base de leur discours actuel, s’apprêtent sans doute à remettre en cause.

Les élections en Afrique, sont devenues des équations complexes. A risque. Dangereuses. La Côte d’Ivoire fait école, mauvaise école.

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