Accusé de complicité avec les dirigeants de Icc-services et jeté en prison le 17 Juillet 2010 à la suite d’une procédure expéditive, l’ex-procureur général, Georges Constant Amoussou, n’est pas au bout de ses peines. De sources proches de l’administration pénitentiaire, le 12 janvier dernier, à cinq jours de son expiration, le mandat de dépôt l’ex pg a été prorogé de six autres mois, sans autre forme de procès. L’instruction du dossier étant terminée depuis le 9 septembre, la question qu’on est en droit de se poser est de savoir pourquoi l’on continue de maintenir en prison sans jugement un magistrat de si haut rang. Ce dernier présente, en effet, toutes les garanties de sécurité et de solvabilité qui ont permis à d’autres détenus de bénéficier d’une mise en liberté provisoire.
La famille de l’illustre pensionnaire de la prison civile d’Akpro Missérété et les avocats de la défense n’en reviennent pas. Six longs mois sont déjà passés, sans que leur parent ou client ait connu le bout du tunnel dans cette scabreuse affaire dite Icc Services, laquelle, après les péripéties rocambolesques liées à l’interpellation de l’ex-ministre de l’Intérieur Armand Zinzindohoué et les joutes verbales à l’hémicycle semble jetée aux oubliettes. Oubliées aussi, les menaces proférées à l’encontre du premier magistrat du pays sur sa possible comparution devant la Haute Cour de justice. Oubliées enfin, toutes les rumeurs liées à la publication du mémorandum de l’ex-ministre de l’Intérieur et les menaces de révélations fracassantes. L’orage, disons plutôt, l’ouragan de l’affaire du siècle qui a fait vaciller le fauteuil présidentiel semble passée. Il n’est guère que la pauvre Madame l’Agent judiciaire du trésor qui monte au créneau, de temps à autre, pour rappeler que l’affaire n’est pas réglée et que les clients des différentes sociétés dites de placement d’argent ne sont pas toujours dédommagés. Armand Zinzindohoué lui-même, présenté naguère comme complice des dirigeants de Icc services est, depuis, libre de ses mouvements et a repris même du service en politique … aux côtés d’une certaine opposition. Georges Constant Amoussou, lui, ci-devant procureur général près la Cour d’appel de Cotonou, est toujours maintenu dans les liens de la détention préventive à la maison d’arrêt d’Akpro Missérété depuis un certain 17 juillet 2010. Depuis, toujours d’après nos sources, il est passé à plusieurs reprises devant le procureur général près la cour suprême, juridiction seule compétente à juger les magistrats de ce rang pour les fautes commises dans l’exercice de leur fonction. Les différents interrogatoires et contre interrogatoires auxquels il a été soumis seul ou en présence des dirigeants de Icc services n’ont nullement permis, selon les mêmes sources de fournir la moindre preuve des accusations portées à son encontre. D’où l’étonnement sur la prorogation de son mandat de dépôt. Aux dernières nouvelles, l’ex pg aurait fait usage de l’article 119 du code de procédure pour obtenir, via son avocat, copie de l’arrêt de prorogation du mandat de dépôt pour en connaitre les motifs. Mais depuis, cette demande est restée sans réponse. Georges Constant Amoussou est maintenu en prison et sa maison en construction depuis cinq ans et dans laquelle il s’apprêtait à emménager avant son interpellation est mise sous scellé.
Le parfait bouc émissaire
«Qui veut tuer son chien, l’accuse de rage», ce proverbe français illustre bien la volonté du gouvernement à vouloir plonger Georges Constant Amoussou dans cette affaire, histoire de montrer aux victimes de la plus vaste escroquerie du siècle qu’un «gros poisson» est déjà dans les mailles du filet. Un procureur qui n’aurait pas exécuté les ordres de son ministre de tutelle et dont on affirme sans preuve qu’il est le conseiller juridique des escrocs, voilà le profil parfait du bouc-émissaire recherché par le gouvernement pour se dédouaner d’avoir complaisamment fermé les yeux sur les activités fort lucratives des disciples tropicaux de Bernard Madoff. Vous voulez un coupable? En voici ! Ainsi épinglé, Georges Constant Amoussou peut être accusé de tous les péchés d’Israël. La parodie de justice qui se fait autour de l’affaire a simplement laissé les vrais fautifs et les complices en liberté. En effet, il ressort du rapport de la Banque mondiale(Bm) que l’affaire Icc-services a bénéficié de deux niveaux de complicité: la Bceao et le ministère des finances. Le ministre Pascal Iréné Koupaki et Marcel de Souza qui étaient à la tête de ces deux institutions bancaires au moment où ces activités ont démarré n’ont jamais été écoutés. Quant au Pdg, Guy Akplogan, nos enquêtes révèlent qu’il jouit partiellement de sa liberté et officie de temps en temps le culte de dimanche dans son église logée dans sa résidence cossue du quartier de la Zopah à Abomey Calavi. La plupart de ses maisons mises sous scellé continuent de faire l’objet d’usage habituel par les siens. Depuis, la confrontation entre lui et l’ex-ministre de l’intérieur Armand Zinzindohoué tarde à être organisée. La plénière de la Cour suprême n’a jamais pu siéger pour statuer sur son cas. Pour le gouvernement, en tout cas, c’est la victime expiatoire, condamnée à boire le calice jusqu’à la lie dans une affaire où sa complicité est loin d’être établie. Tout se passe comme si quelqu’un avait décidé que le pg Georges Constant Amoussou devrait croupir en prison, le temps de se faire oublier, le temps surtout de passer les échéances électorales où il pourrait toujours être brandi comme un trophée de guerre, en attendant un éventuel non-lieu. Entre-temps on aura impunément sali une réputation et brisé une carrière. Ainsi va la moralisation de la vie publique dans notre pays! Une moralisation sélective qui ne frappe que les plus vulnérables.
En monnaie de singe
A l’ère du changement, la prison serait-elle la rançon du travail accompli avec dévouement? Les déboires de Georges Constant Amoussou en donne l’illustration. Jadis, procureur général, il a exercé avec loyauté et beaucoup d’engagement. Ce qui l’a amené à être étiqueté comme un serviteur zélé du pouvoir en place. On se rappelle l’interpellation et la détention des certains cadres de la Rb dans une prétendue affaire de vol de cartes d’électeur et plus récemment l’incarcération prolongée de Simon Pierre Adovèlandé. Dans les deux cas, une certaine opinion a vilipendée le procureur général d’être au service du Prince. Sa gestion de ces deux dossiers lui a valu de fortes inimitiés dans les milieux judiciaires. Et si aujourd’hui son cas ne préoccupe pas outre mesure, c’est bien parce qu’il est accusé, à tort ou à raison, d’être un des plus grands défenseurs du changement au prétoire. Aujourd’hui, hélas, c’est le même pouvoir qu’il aurait servi qui le maintient au frais.