« Vivement la Lépi… même si elle est imparfaite » Joseph Gnonlonfoun

Il sonnait 22h 15 mn, ce samedi 5 Février 2011. Le président de la Commission électorale nationale autonome (Cena), M. Joseph Houessou Gnonlonfoun, nous reçoit dans son bureau pour un entretien exclusif.  Magistrat de haut rang et ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice dans l’un des gouvernements de Mathieu Kérékou, l’homme a un court passé de journaliste qui fait de lui, l’ami de la presse dont il connait les arcanes.

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Lucide, convaincu et résolu dans ses prises de positions, ce natif de la région Ouémé-Plateau frontalière du géant voisin de l’ouest, le Nigeria, nous livre sa lecture de l’introduction de la Liste électorale permanente Informatisée (Lepi). Cet instrument controversé de gestion des élections prochaines est prévu pour accompagner les principaux rendez-vous de renouvellement des institutions de la République à savoir, le président de la République et les honorables députés à l’Assemblée nationale -la présidentielle étant couplée aux législatives, pour la première fois au Bénin. Sans détours, M. Gnonlonfoun, membre désigné par le chef de l’Etat à la Cena (dont il a pris la tête), reste confiant que les élections auront lieu avec succès, malgré les imperfections qui pourraient entacher la confection de la Lepi.

 

La Nouvelle Tribune: M. le président, quel est votre état d’esprit à tête de la Céna mise en place dans les conditions de précarité de temps qui sont les siennes aujourd’hui?

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Joseph Gnonlonfoun: Mon état d’esprit est celui d’un vainqueur, d’un gagneur. Je le souhaite d’ailleurs. Je voudrais gagner parce que ces élections constituent pour moi…, c’est comme si en auteur de la loi, on m’envoie à la tête de cette institution pour voir comment elle se présente. Pour moi, c’est un défi et je sais que les conditions sont extrêmement difficiles sur tous les plans: la situation politique dans le pays, la situation sociale, la situation sécuritaire. Je viens d’apprendre qu’il y a eu un braquage à Abomey. Nous sommes dans la situation où ces élections doivent se dérouler dans de bonnes conditions et si vite pour que chacun soit situé sur la conduite du pays. On s’est mis dans cette situation de campagne électorale qui ne dit pas son nom,  et cela  fait peur aux gens dans le pays. Nous organisons ces élections pour permettre au pays de fonctionner et d’être géré, qu’il recommence à tourner afin que nous soyons véritablement des citoyens dignes.

Est-ce que vous croyez avoir du temps -en moins de trois semaines- de prendre l’outil de gestion des élections en main afin de pouvoir vous en servir?

J. G. Dans cette Cena de 11 membres, il y a, je crois 9 à 10 qui ont déjà été membres des autres Cena ou de leurs démembrements. Donc, ils savent comment les choses se déroulent. Comment les choses sont menées, donc j’ai confiance. Chacun jouera sa partition. Mais, je ne doute pas que les uns et les autres soient poussés par la volonté de bien conduire les choses. La preuve, c’est qu’aujourd’hui même (NDLR: hier), nos coordonnateurs départementaux ont déjà installés les CED, les chefs dans les 12 départements. Donc, vous voyez que les choses continuent et c’est pour cela que je vous disais que, nous sommes animés de bonne volonté pour conduire à bonne date ces élections. Au sein de la Cena, nous formons  un seul corps, bien que nous provenions de différents camps politiques. L’équipe est constituée de personnes qui veulent réussir. En ce qui concerne la Lépi, nous nous sommes réunis avec les responsables pour qu’ils nous fassent le point, la situation de là où ils en sont. Ils nous ont rassurés qu’après la première réunion, nous les reverrons ce lundi, dans l’après-midi, pour faire à nouveau le point avec eux. Nous ne doutons pas et nous n’avons pas des raisons de douter de ce qu’ils nous ont dit, les explications et les informations qu’ils nous ont données et nous verrons bien.

Comme vous le dites, la liste sera prête, même si dans votre esprit, c’est dans un futur proche. La prise en main de la Lépi, disons des données techniques, nécessiteront que vous vous armiez avant de les manipuler?

J. G. Les responsables de la Lépi distribuent les cartes pendant une vingtaine de jours. S’ils n’arrivent pas à distribuer toutes les cartes, nous aviserons pour terminer l’opération. Ce que la loi dit, et c’est sur cela que nous nous sommes entendus. C’est pour cette raison que nous nous sommes d’ailleurs rapprochés d’eux une fois déjà pour faire le point que nous referons lundi. Tout est au futur, parce qu’il n’ils n’ont pas encore déposé les documents. Ces documents sont en voie d’achèvement  et de parachèvement. Et vous vous souvenez que quand la Cour constitutionnelle nous installait, elle nous a donné comme consigne de faire tout pour que les élections aient lieu à la date du 27 février. Là non plus, nous n’avons pas de raison de dire que nous n’allons rien faire pour que ces élections aient lieu le 27 février. En tout cas, nous voulons jouer notre partition. Nous prenons même les devants pour des lacunes commises par d’autres institutions en saisissant les instances qui peuvent nous aider à trouver des solutions pour que l’on ne dise pas que la Cena n’a pas fait son travail, afin qu’on ne nous impute aucune faute que ce soit, quelle que légèreté que ce soit. C’est pour cela que les collègues qui sont partis à l’intérieur comme coordonnateurs se sont défoncés pour que les CED soient installés. Si vous vous souvenez, certains sont allés le vendredi jusqu’à Kandi, après avoir officié à Parakou. C’est vous dire que la bonne volonté y ait, le nationalisme y ait, le patriotisme aussi. Le reste, c’est que la classe politique fasse son boulot et nous laisse la possibilité de temps de travailler.

Finalement, quelle liste électorale vous aurez à exploiter? Est-ce celle qui n’est pas expurgée des doubles inscriptions, des inscriptions de mineurs, d’étrangers… et qui est toujours en confection?

J.G: En parlant de doubles inscriptions, c’est comme si vous étiez resté 10 ans en arrière. Les inscriptions d’étrangers, les doubles inscriptions, les inscriptions des mineurs, se retrouvaient plus souvent sur les listes manuelles. Dans ce qui est fait, il y a l’informatique. L’informatique, c’est une arme à double tranchant. Mais, elle vaut mieux quand même que ce que nous faisions. N’oubliez pas que je suis d’une une région où les gens traversent allégrement les frontières bien que fermées pendant les élections pour venir faire n’importe quoi dans notre pays. Ce n’est pas loin. Donc, ce qui est fait, ne sera pas parfait, il faudrait le parfaire. Mais cette situation vaut mieux que celle qui existait avant la mise en place de la Lepi.

Ma réflexion vient de la lettre et de l’esprit de la loi qui veut qu’une fois la liste confectionnée, on l’expurge car, on l’a vu des listes de l’Atacora se sont retrouvées dans l’Atlantique. N’aurions-nous pas gagne en sérénité, en quiétude et finalement en transparence si la confection de la Lépi avait été d’une démarche consensuelle plutôt que ce que nous observons?

J.G: Je crois que si un compatriote allait à la Cps-Lépi ou écouter ce que leur disent les responsables de la Cps-Lépi, ou avaient foi ou se faisaient confiance, je pense que beaucoup de choses ne passeraient plus allègrement qu’elles le sont aujourd’hui. Je pense qu’il y a trop de méfiance dans ce qui se fait. Et en politique, on ne peut pas donner la communion les yeux fermés. Mais, quand même, devant la technique nous devons avoir un peu confiance parce que moi j’ai confiance à ce que l’informatique produit qu’en inscription manuel. Nous sommes à un stade où nous ne pouvons plus reculer. Il faut avancer et n’oubliez pas que la Lépi aurait dû être mise en  place avant les élections de 2005.  Je faisais partie d’une commission présidée par M. Charles Djrèkpo avec certaines personnalités comme Pierre Badet; et nous avions tout préparé pour que cette Lépi ait lieu avant les élections qui ont conduit le candidat Boni Yayi au pouvoir. Mais cela n’a pas été fait. Si cela avait été fait, on serait en train de parfaire maintenant la Lepi. On n’a pas voulu la faire, pourquoi je n’en sais rien. Mais je dis, laissons tomber le passé et allons vers l’avenir. J’ai la conviction que cette Lepi ci ne sera pas parfaite, parce que la perfection n’est pas de ce monde. Mais il est essentiel que nous l’expérimentions, que nous la commencions pour que les failles d’aujourd’hui soient corrigées demain. C’est ma conviction et personne ne peut me l’enlever, d’une part parce que je sais que c’est la bonne voie. D’autre part, il est inadmissible que le Bénin qui avait été a la pointe du processus démocratique, je ne dis pas de la démocratie, ne veuille pas avancer en adoptant des outils performants qui nous honorent. Le Bénin doit être parmi les derniers pays ayant rechigné, en trainant les pas devant la mise en place de la Lepi. On dit consensus, consensus… mais, si la science s’impose à vous, il faut avoir la sagesse de dire qu’elle s’est imposé à moi, je l’adopte et chercher à la perfectionner demain.

Qui sait qui a la légalité de faire passer la Lepi? L’opposition dit qu’il faudra attendre. L’outil est aussi un instrument de développement, or il y a beaucoup d’imperfections que vous reconnaissez. Si on devait passer la Lépi dans ses conditions, n’y aurait-il pas problème?

J.G: Aucun élément de la classe politique n’est à négliger. Dans le même temps, face à cet outil de développement, nous ne devons pas reculer. Actuellement, j’ai l’impression que nous nous braquons les uns et les autres. Si on ne fait pas aujourd’hui la Lépi, si on la laisse tomber, on retournera à l’inscription manuelle. Ceux qui ont été sur le terrain voient les inconvénients énormes des inscriptions manuelles. J’ai été sur le terrain et je crois que les inscriptions manuelles sont plus dangereuses aujourd’hui, en ce début du 21è siècle, que ce qui est en train de se réaliser.

Mais, notre pays n’est pas toujours aux normes. Si on veut le mettre aux normes à partir de cet outil …

J.G: Est-ce que cela veut dire que notre pays soit installé dans l’anormalité? La Cour Constitutionnelle a défini ce qu’est le consensus. Le consensus ne signifie pas l’unanimisme. Donc, pour moi, la Lépi est un moyen plus intéressant, moins rudimentaire que le système que nous adoptions. Moi, je n’accepte pas qu’en 2011 le Bénin continue, sous-prétexte de consensus qui n’est pas unanimisme, je n’admets pas que nous continuions cette ancienne formule qui a été préjudiciable à beaucoup  de nos compatriote. Même à ceux qui aujourd’hui disent consensus pour la Lépi, beaucoup d’entre eux ont été victimes du système de l’inscription manuelle hors de leurs régions parce que quand c’est leur région, il n’y a pas de problème. C’est cela qu’il faut éviter. Que celui qui a été élu soit bien élu, et ne soit pas l’élu seulement de son petit patelin, mais soit plutôt un élu national. On considère les députés comme des élus du peuple. Avec la Lépi, nous connaitrons mieux le visage de nos élus.

M. Président, que diriez-vous à ceux qui vous soupçonnent de partie pris pour avoir été désigné par le chef de l’Etat pour aller à la Cena?

J.G: Si vous connaissez mon parcours politique, mes prises de position à propos de ceux avec qui j’ai eu à travailler vous ne le penseriez pas. Surtout pas que je puisse être  inféodé à celui qui m’a désigné. Jusqu’à maintenant, Boni Yayi ne m’a pas dit d’aller dans tel ou tel sens.

Je fais souvent ce que ma conscience me dicte et ça m’a amené loin. J’ai été de l’opposition au début du processus démocratique. Ça ne me gène pas de parler avec des gens qui sont mes amis et ça ne gène pas vraiment de leur dire, je ne suis pas avec vous. Tout ce que j’ai à gagner, c’est de travailler avec conscience. Ce lui qui m’a nommé, l’en je remercie de m’avoir nommé. Mais il devra me laisser faire mon travail tel que je le comprends. J’ai eu à dire à un homme politique de haut rang: «si j’étais à votre place, et que je vous dis quelque chose, c’est ça que je ferai. Que cela vous plaise ou non, je le ferai». Il faut savoir prendre l’engagement de faire ce qu’il y a à faire et comme il faut. Quoi que cela vous coûte.

Au 21e coup de canon… Antoine Dayori apparait

Sur la fin de l’entretien avec M. Joseph Gnonlonfoun, le vice-président de l’organe chargé des élections, M. Jérôme Alladayè, nous rejoint dans le bureau. Et de sa voix légèrement roque, il annonce spontanément le dépôt de la candidature de M. Antoine Dayori, ancien ministre du Tourisme, lui aussi, sous Kérékou. C’est le 21e candidat déclaré sur les 23 définitivement cristallisés dans les archives de la Cena. Comme à la 21e salve de canon! Son dossier reçu vient ainsi en appui au 18e sur la liste, celui de son compère et président de la même formation politique du Groupe des 13 (G13), Issa Salifou, dit «Salé». Les deux sont connus notoirement pour être de caciques frondeurs au candidat Boni Yayi, dont ils tiennent à perturber le fief électoral traditionnel logé dans la partie septentrionale du pays. Ils ont aussi pu s’entendre sur la stratégie qui leur permettra de se mettre en orbite par rapport à n’importe quel autre candidat du 2e tour.

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