La Libye s’en retournera-t-elle sous la coupe de Mouammar Kadhafi ? Longs et meurtriers sont les jours qui s’égrènent depuis le déclenchement de l’insurrection armée qui, au pays du Guide, a pris la place des manifestations populaires plus ou moins pacifiques en faveur de réformes démocratiques. Face à un peuple qui a « osé » réclamer un peu de dignité et de liberté, les forces spéciales du Colonel n’ont jugé bon que de tirer dans le tas. C’était supposé être dissuasif. Le peuple, épaulé par une partie de la soldatesque, a riposté. De révolte, on est passé à guerre civile.
On a cru la fin de Kadhafi arrivée. On s’en est même réjoui outre Méditerranée et outre Atlantique. Trop tôt ? Certains indices portent à le croire.
C’est celui qui a dit qu’« il ne faut pas vendre la peau de Kadhafi avant de l’avoir destitué » qui avait raison. Le Guide Libyen en a en effet vu d’autres. Du déluge de feu de l’aviation américaine qui a couté la vie à sa fille adoptive en 1986 aux embargos économiques et militaires qui ont ostracisé son pays de nombreuses années durant, le Colonel Mouammar Kadhafi a su résister à toutes sortes d’adversités. Au surplus, dès le déclenchement de cette présente crise, l’homme a voulu montrer très fermement qu’il n’avait rien en commun avec ses deux compères qui à ses frontières avaient été déboulonnés. Zine El Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak avaient en effet d’abord voulu répondre par des réformes, ne serait-ce que cosmétiques aux revendications de la rue. Il leur a fallu pour cela se montrer face au peuple et faire des promesses. Promettre et encore promettre. A l’insatiable foule qui, dans les cohortes de manifestants Avenue Bourguiba et place Tahrir, en demandait toujours plus. Et à force de promettre, ils avaient fini par fragiliser leurs propres positions. Et tomber… naturellement.
Mouammar Kadhafi n’a lui, rien voulu céder. Pour ne pas en arriver là sans doute. Mais aussi parce qu’il n’entendait rien céder. Quelles que puissent être les circonstances. Ne dit-il pas n’avoir pas de démission à donner en raison du fait que son poste de Guide de la révolution n’en est pas un véritable ? La vérité, c’est que le Colonel se dit n’avoir rien à perdre. Et face à des émeutiers qui se sont mués en révolutionnaires armés prêts à en découdre avec les puissantes milices du clan, les cibles sont désormais distinctes, identifiables et destructibles. C’est ce que Mouammar Kadhafi a su faire de ses adversaires afin de les mieux combattre. Et ces derniers jours donnent gagnante la stratégie du pire ainsi mise en branle. Kadhafi regagne du terrain. Le port stratégique de Ras Lanouf, la ville de Misrata et le QG de Benghazi sont si intensément pilonnés par l’aviation que l’insurrection en perd son latin.
En dépit des condamnations venues non seulement d’Europe et d’Amérique, mais aussi du monde arabe et de l’ensemble de ses institutions d’intégration sous-régionales, le Guide marche comme promis dans les « rivières de sang » de son peuple et donne l’impression de consolider son pouvoir… ne serait-ce que sur les régions dont il conserve le contrôle. Et si le rapport de force devait s’inverser à un tel point qu’il devait reprendre possession de l’ensemble du territoire libyen, c’est à un déchirement de la communauté internationale que nous risquons d’assister. D’un côté, les Etats qui, pour s’être engagés ouvertement pour la cause des rebelles, continueront à dénoncer les exactions dont Mouammar Kadhafi s’est rendu coupable. Parfois à leur corps défendant. Ensuite nous compterons les profiteurs d’une situation de vide économique, qui se dépêcheront de remplacer les grandes compagnies pétrolières, minières et gazières qui plient actuellement bagages. Au milieu, les piteux africains, dont je ne vois pas d’autre prise de position qu’un renouement avec le Guide et ses pétro-dinars.
Fort heureusement, on n’en est pas encore là. Même si la possibilité de décréter une zone d‘exclusion au-dessus de la Libye afin de limiter les frappes aériennes de l’aviation du Guide sur les rebelles semble de moins en moins plausible, il y a dans la révolte du peuple libyen de ces dernières semaines un sentiment de défiance qui va au-delà semble-t-il des peurs que peuvent susciter les bombardements. Au-delà, au rendez-vous de l’histoire, Mouammar Kadhafi sera catalogué comme un dirigeant ayant massacré son peuple pour continuer à le gouverner.
Et plus tard, il se trouvera de pseudo-nationalistes africains pour estimer que la Cour pénale internationale ne s’intéresse qu’à l’Afrique. Avons-nous seulement été capables d’instituer une cour pénale africaine pour régler ici sous les tropiques ce type de problème ? En attendant haro ! Haro sur le baudet Kadhafi. Et sur ceux qui encore aujourd’hui, le soutiennent ostensiblement ou non. Haro !
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