La Jarre Trouée

Même si la notion ne paraît pas forcément liée au concept démocratique ni même à celui de l’alternance, la question du développement de l’Afrique se pose avec encore plus d’acuité pendant les périodes électorales. On se demande souvent si l’élan économique impulsé par untel sera poursuivi par le nouvel arrivant ou si untel pourra relever le pays de la décadence dans laquelle le sortant le laisse. Ou encore si l’actuel chef de l’Etat se succédant à lui-même pour un prétendu dernier mandat, ne sera pas encore plus obnubilé par la recherche du prestige et de l’opulence en s’en mettant plein les poches et en laissant les finances publiques encore plus exsangues.

Plus que sur leur régime politique, les pays actuellement ‘avancés’ ont eu à compter sur des grands hommes, des visionnaires, qui lors de leur passage à la tête de ces Etats, ont su impulser un essor qui se sera chaque fois révélé irréversible. Chez nous au Bénin, même si des intellectuels de haute qualité se trouvent sur l’échiquier politique actuel, il semble que nous manquions d’un leader de cet acabit. A défaut d’un visionnaire pouvant initier la marche en avant, une ‘vision’ élaborée soutenue par tous ceux qui souhaitent bâtir un grand Etat pourrait être une alternative.

L’idée est d’envisager un vaste projet multisectoriel sur le long terme (30 ans ou plus), pouvant servir de ‘programme’ quels que soient les gouvernements qui seraient en place. Un tel projet, s’il doit couvrir tous les grands secteurs tels que l’éducation, la santé, la sécurité, les femmes et la jeunesse, les affaires sociales, les relations avec les autres Etats, les infrastructures…, il devra avant tout avoir un socle fortement économique ; l’économie étant le moteur de tout développement. Le terme, forcément long, sera défini par les penseurs du projet.

Cette idée est née d’un constat simple. Contrairement aux grands pays où les tendances politiques sont clairement tranchées, démocrates vs républicains ou gauche vs droite par exemple, au Bénin (en Afrique plus généralement) ce clivage n’existe guère et les motivations des leaders sont souvent d’ordre personnel ou clanique. Un tel projet pourrait éviter les pertes de productivité subies lors des périodes électorales et en particulier lors des alternances. Ainsi, lors des dernières échéances, même si Yayi Boni avait été remplacé, le nouveau chef d’Etat, pour autant qu’il ait souscrit au projet, poursuivrait des actions dans le sens de l’achèvement de ce projet commun : le développement du Bénin.

Dans sa conception, c’est un ambitieux projet qui devra associer toutes les ‘têtes pensantes’ du pays souhaitant bâtir ce « Bénin développé », toutes tendances sociales confondues. Tous les intellectuels des quatre coins du pays, de l’intérieur comme de l’extérieur, seraient conviés, un peu à l’image de la Conférence Nationale de 1990.  Ce projet, s’il voit le jour, pourra prendre la forme d’un « Pacte Républicain des Bâtisseurs» auquel toutes les personnes désireuses d’œuvrer pour cette vision du développement du pays pourront adhérer ; en particulier les prétendants à la Présidence de la République pourront le signer, et avant leur candidature à la Magistrature Suprême, devront expliciter leurs apports pour la réalisation de ce Projet Commun. Ce projet pourrait aussi prendre la forme d’une loi-cadre afin d’être encore plus contraignant. Mais la forme définitive sera validée par la « Conférence Nationale des Bâtisseurs ».

Il sera institué, en même temps que la conception de ce projet, un Organe chargé d’évaluer périodiquement, de façon objective, l’état d’avancement du projet, secteur par secteur. Cet Organe sera constitué exclusivement d’experts reconnus dans les différents grands domaines que couvre le projet. Pour préserver une certaine impartialité ou neutralité, ils pourront par exemples être désignés sur le modèle des ‘jurys populaires’. Mais ici aussi, il appartiendra à la Conférence de déterminer un mode rigoureux de désignation des membres de cet organe. En fonction du résultat de chaque évaluation, le projet sera chaque fois recadré ou ajusté en fonction des conditions macro-économiques courantes.

Cette idée va sans doute, légitimement, soulever des réticences ou questionnements. Je vois d’ailleurs deux objections évidentes que je peux d’ores et déjà essayer de lever. D’abord, ce projet semble se limiter aux intellectuels, et donc seulement à une certaine élite. L’idée n’est en aucun cas d’exclure du processus de développement la majorité de nos compatriotes analphabètes (environ 80%), mais je pense définitivement que la conception du développement ne peut être que l’apanage de personnes instruites. Une fois l’idée conçue, tout le monde sera mis à contribution pour sa réalisation et personne ne se sentira écarté ; l’allégorie de la Jarre Trouée de Guézo, un temps raillée par nos politiques, reprendra alors tout son sens.

La deuxième objection que j’entrevois est inhérente à la taille du projet qui se veut multisectoriel et étatique : il ne s’agira absolument pas d’un retour à la planification à la soviétique. Le système économique restera résolument l’économie de marché et la propriété privée des moyens de production restera de rigueur. Le challenge sera donc aussi de concevoir ce projet sans tomber dans le piège de la socialisation.

Article proposé par un internaute

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *