Syrie / Bachar al-Assad : coups de canif dans le printemps arabe

Le printemps arable tourne à l’hiver. Sans transition. Gelé. Depuis que derrière les murs de béton du palais présidentiel algérien, Abdelaziz Boutéflikha et sa cour de généraux ont étouffé dans l’œuf la contestation. Depuis que du haut de ses avions et de ses chars, le colonel Kadhafi a en Libye refusé de se soumettre au diktat de la rue. Depuis que barricadé derrière son carré de fidèles et de soldats, le Président yéménite Ali Abdallah Saleh ploie, mais ne rompt pas. Le vent de révolte ne s’en est pas arrêté de souffler pour autant. La Syrie, après d’autres a été touchée. Un mois déjà. Et le saupoudrage et la fermeté qui ont permis aux prédécesseurs de tenir, semble ici mieux qu’ailleurs, faire recette.

« Damas lâche une carotte, mais pas le bâton », titrait ce 20 avril un quotidien libanais. L’image est éloquente. Elle fait référence à la levée de l’état d’urgence et à l’abolition de la Haute cour de sûreté de l’Etat. C’est là la carotte. Cela faisait en effet partie des revendications de la rue. Le bâton, qui frappe encore, c’est la ferme mise en garde faite par le Ministère de l’Intérieur aux manifestants. Et depuis, l’arrestation de personnalités illustres de l’opposition. Sans compter que la répression des émeutiers continue de faire des morts, des blessés et de nombreuses arrestations. C’est la méthode al-Assad. La machine de la répression tourne à plein régime. Brutale. Meurtrière. Parmi les discours, certains sont conciliants. Mettent en exergue la légitimité des revendications du peuple. Mais s’insèrent dans une expression globale plus rigoriste. Toute la question, dans de telles circonstances est de savoir qui, avant l’autre, finira par céder à l’usure.

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Les contestataires du régime de Bashar al-Assad ont de qui tenir. Il est vrai qu’elles sont de plus en plus lointaines dans les mémoires, les chutes vertigineuses de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et de Hosni Moubarak en Egypte. Il est vrai aussi que dans ces deux cas, une large partie de l’armée s’est refusée à se retourner contre le peuple. Et depuis, plus rien. De Sanaa à Rabat, d’Alger à Amman, de Manama à Téhéran, chacun a su contenir les récriminations de la rue et la joue à l’usure. Même Tripoli sous une pluie de bombes occidentales balancées au nom des insurgés pour la liberté ne donne pas les signes d’une rupture plausible.  Alors, Bachar al-Assad n’a pas de raison de plier. D’autant mieux que son retour en grâce auprès de la communauté occidentale ne date pas de si longtemps pour que l’ostracisme le touche déjà à nouveau.

La stratégie du président syrien semble en tout cas, comme d’autres, payer. En faisant payer le prix fort au peuple. En nombre de morts, de blessés, d’embastillés. Elle diffère en quelque chose de celle de celui qui, sans ménagement a estimé que contester son pouvoir, c’est être « drogué » ou « terroriste ». Celui qui a pensé que vaincre la contestation doit se faire dans une « rivière de sang ». Doit prendre la forme d’une « dératisation ». Mouammar Kadhafi. La répression syrienne n’en fait pas moins son lot de victimes. Mais à travers son attitude, Bachar al-Assad voudrait faire passer un double message. D’abord à la communauté internationale de son consentement à répondre dans une certaine mesure aux récriminations des protestataires. C’est à cela que répondent la levée de l’état d’urgence et les autres mesures prises dans ce sens. Ensuite à ces mêmes contestataires que leur action est vénale. Et tout au moins qu’elle ne parviendra pas à saper les bases du régime.

De mon point de vue, le pari de Bachar est risqué. D’abord, il faut noter que c’est contraint et forcé que l’homme a fini par consentir, ces jours derniers, à effectuer quelques concessions. Et la levée de l’Etat d’urgence, si elle n’est pas le moindre des compromis, ne se trouvera traduite en actes que si la volonté politique du clan al-Assad et des barons du régime est sincère. Et c’est là le risque : le peuple le sait. Les émeutiers ne sont pas dupes de ces réformes cosmétiques qui peuvent ici et là venir tenter de dévoyer la contestation et de lui retirer un de ses principaux motifs d’existence. Là où la répression aveugle n’a pas émoussé les ardeurs des manifestants, ce n’est sans doute pas des mesures inachevées qui vont y réussir. Le propre des peuples arabes, ils le démontrent depuis le début de leur printemps, est d’être tenaces. Et prêts à tous les sacrifices.

Il y a enfin à mon sens un goulot qui étrangle la révolution en cours dans le monde arabe. Un goulot qui peut sauter dans deux pays au moins : le Yémen et la Libye. La chute de l’un ou de l’autre de ces régimes confrontés de longue date désormais à la fronde, va galvaniser les autres peuples frondeurs. Et libérer de nouvelles énergies contestatrices. Autrement, je l’annonçais au début de cette chronique, le monde arabe va simplement passer des braises du printemps aux givres de l’hiver.

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